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NIGHTWATCHING (2007)
Peter Greenaway

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Peter Greenaway est une petite peste pleine de contradictions, les deux jambes en pleine Renaissance et les yeux rivés vers l'avenir. Encore récemment, il affirmait qu'« un Bill Viola vaut bien dix Martin Scorsese » avant de repousser une question qui lui était posée sous prétexte qu'elle n'était pas intelligente. Bref, le réalisateur gallois n'a pas la langue dans la poche, ce qui nous vaut à intervalles réguliers des commentaires tels que ce notoire « le cinéma est mort » prononcé plus tôt en octobre au Festival international du film de Pusan. Esthète provocateur issu du monde de la peinture, cherchant jusqu'à redéfinir la notion même de cadre, Greenaway est adepte d'un métissage des formes d'art parfaitement post-moderne de par sa démarche intellectuelle. Or, c'est justement dans ces racines d'artiste visuel qu'il faut chercher la raison pour laquelle Greenaway n'est pas vraiment un cinéaste. Car s'il a souvent des allures de peintre ayant troqué ses pinceaux pour une caméra, c'est qu'il n'a pas nécessairement saisit toutes les subtilités propres à cet objet que plusieurs maîtrisent autrement mieux que lui. Voilà qui ne l'empêche pas d'avoir accouché, avec Nightwatching, d'une splendide peinture (animée) sur le thème de la peinture.

La pertinence du plus récent Greenaway s'explique d'abord par la pertinence du sujet choisi. Art de lumière, le cinéma s'avère un parfait complément à l'oeuvre de Rembrandt dont l'éclairage était aussi le principal souci. Une scène splendide, placée au tout début du film, souligne avec un indéniable flair visuel l'importance qu'ont les tons et la couleur tout au long de ce périple plastique abouti, préoccupation chère à l'auteur. Laissant les rayons de l'aube envahir sa scène, Greenaway pousse ses personnages à connoter physiquement le rouge et le jaune qui s'immiscent dans la pièce. Mais, déjà, la réalisation statique trahit l'autre axe de la représentation - plus problématique, celui-là, quoique justifié - privilégiée par le Britannique tout au long de son film: une théâtralité assumée qui, si elle trouve sa résonance dans la réflexion qu'il porte sur la célèbre Ronde de nuit (1642) de l'artiste néerlandais, agace néanmoins le regard cinématographique. Décortiquant le fameux tableau, d'abord en le décomposant grâce au pouvoir d'abstraction du plan, le cinéaste orchestre par la suite tout un complot criminel à partir de sa mise en scène intrigante.

Ironiquement, cette méthode s'inscrit en quelque sorte aux antipodes de ce que clame Greenaway lorsqu'il s'insurge contre le cinéma de narration qui fait la loi depuis D.W. Griffith. Non seulement Nightwatching est-il un film narratif, bien qu'à cet égard atypique, mais c'est par un exercice de « narrativisation » qu'il insuffle dans un premier temps un sens à la toile sur laquelle il s'attarde. Greenaway dramatise La ronde de nuit, inscrivant à même ses moindres détails les clés d'une intrigue policière grâce à laquelle il fait avancer son film un peu comme il l'avait fait dans The Draughtsman's Contract. Ce n'est qu'en fin de parcours que le réalisateur pousse sa réflexion sur le terrain de l'abstrait, dévoilant alors une lecture théâtrale de la mise en scène de Rembrandt qui le définit en tant que directeur d'acteur iconoclaste. À cet instant précis, Nightwatching provoque et prend tout son sens. L'arrogance et la prétention de Greenaway, la lourdeur volontaire de sa réalisation, s'effacent au profit de cette intelligence manifeste qui, méticuleusement, crée un propos finalement si cohérent.

Puisque Nightwatching s'efforce de reproduire formellement le style Rembrandt, il est tout naturel qu'il en épouse les nuances non-cinématographiques - voire celles qui sont opposées à la conception du cinéma que défend Greenaway: « He is figurative, unheroic, republican, a democrat, humanitarian, postFreudian, pro-narrative, antimisogynist, pro-feminist and certainly postmodernist. » Bref, Greenaway dépeint Rembrandt en tant qu'idéal personnel de l'artiste; provocateur engagé, libre et férocement intelligent, avant-gardiste au service d'un certain humanisme. Son film sombre cependant dans un certain pessimisme lorsqu'il s'efforce de comprendre la déchéance de son protagoniste principal, victime à la fois de la critique et de la puissance de ses cibles. Non content de présenter avec Nightwatching sa vision de l'art, Greenaway s'efforce d'y dresser l'ébauche d'une lecture historique de l'art par l'entremise d'un jeu formel à la limite alambiqué.

Si nous sommes ici à des lieux des incrustations et des surimpressions de The Pillow Book, c'est que l'approche de Greenaway s'étire vers l'avenir et le passé à la fois dans un double mouvement qui ne laisse somme toute que peu de place au présent. C'est parce que sa compréhension de l'art n'est pas restreinte au cinéma que le Britannique en dépasse les bornes de manière parfois géniale. Mais, pour cette même raison, son « cinéma » semble légèrement maladroit ou, du moins, quelque peu forcé. Indéniable triomphe esthétique, Nightwatching atteint parfaitement son objectif de ressusciter sur grand écran l'esprit de Rembrandt. À cet égard, l'attention portée à l'illustration est tout simplement époustouflante: Reinier van Brummelen, directeur de la photographie, s'est surpassé en cherchant à imiter les fabuleux clairs-obscurs du peintre baroque. Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser que le cinéma se trouve quelque peu délaissé au sein de ce va-et-vient hautement conceptuel entre tous les autres arts qui tient de la haute voltige intellectuelle plus que du septième art. Greenaway croit-il le cinéma mort, ou tente-t-il plutôt de le tuer?




Version française : -
Scénario : Peter Greenaway
Distribution : Martin Freeman, Emily Holmes, Michael Teigen, Agata Buzek
Durée : 134 minutes
Origine : Pologne, Allemagne, Pays-Bas

Publiée le : 14 Octobre 2007