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LE NÈG' (2002)
Robert Morin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Dans la campagne québécoise, un jeune noir détruit le nègre en plâtre d'une vieille dame. Des voisins en état d'ébriété, attirés par la commotion, décident de se faire justice. Aveuglés par une haine injustifiée, ils commencent à maltraiter le jeune homme. Les événements dérapent. La vieille Cédulie est atteinte par un coup de feu et le jeune noir est abattu par un policier lorsqu'il tente de s'échapper. Le lendemain des événements, deux policiers enquêtent et tentent de démêler quelques témoignages confus et plutôt douteux.

Le Nèg' serait-il le film de fiction classique le plus abouti qu'a réalisé Robert Morin à ce jour? Polar percutant s'articulant autour du thème de la xénophobie, Le Nèg' arrive à asséner un commentaire social cinglant sans pour autant alourdir le mécanisme fluide de son scénario. Retour de l'effet Rashomon dans le cinéma de Morin, ce Nèg' exploite avec une habileté maintes fois décuplée certaines des stratégies narratives qu'arborait déjà Requiem pour un beau sans-coeur. Mais Morin a de toute évidence gagné en expérience et en confiance au cours des dix années qui séparent ces deux films. Alors que l'intrigue de Requiem semblait parfois légèrement décousue, Le Nèg' est une machine époustouflante que l'on sent réglée au quart de tour prêt. Certains pourraient détecter quelques signes d'assagissement au sein de cette expérience plus léchée, mais nous retrouvons au fond le même critique féroce qui livrait quelques années plus tôt un film comme Quiconque meurt, meurt à douleur...

Différence majeure s'il en est une, Morin fait ici confiance à des acteurs connus tels qu'Emmanuel Bilodeau et Béatrice Picard pour donner vie à ses personnages. Morin, habitué de travailler avec des non-professionnels auquel il associe une certaine véracité, aurait-il fait fi de certains de ses principes pour rejoindre un plus large public? En fait, sa direction d'acteurs est carrément époustouflante. Le réalisateur québécois désamorce le réflexe professionnel de ses comédiens et soutire d'eux des performances d'un réalisme vibrant. Au premier coup d'oeil, Tâton (Robin Aubert) et Canard (Bilodeau) sont deux imbéciles de fond du rang desquels il est facile de rire. Devant notre regard horrifié, Morin les transformera progressivement en monstres repoussants. Notre mépris amusé se transforme en crainte réelle. L'idiotie n'est pas matière à rire. C'est un fléau dangereux.

Tant au niveau des idées que de la forme, Le Nèg' est un film remarquablement complet. La réalisation de Morin s'adapte ingénieusement au ton des événements. Une suite de plans fixes impartiaux vient filmer objectivement le témoignage hautement subjectif - et fantaisiste - de Tâton. Dans le même ordre d'idée, la caméra de Morin perd le contrôle au même moment que les protagonistes de son histoire. Le Nèg' avance à un rythme ferme et confiant. Au niveau purement technique, il s'agit fort probablement de son oeuvre la plus accomplie. Mais c'est par sa démonstration décapante de l'intolérance que le film se démarque des autres du même genre.

Même de par son titre, Le Nèg' aborde la question du racisme sans compromis au bon goût. Ce n'est pas une réflexion étouffée par les carcans de la rectitude politique, mais un coup de poing bien franc. D'emblée, Morin affirme que le problème subsiste encore chez nous malgré ce que nous tentons d'entretenir comme illusion collective à ce sujet. L'hypocrisie est encore une fois un point central de la vision du monde que présente le réalisateur. Ainsi, les policiers n'hésiteront pas à tordre les faits pour protéger l'un des leurs. Tous mentent pour arriver à leurs fins. Il émane bien sûr de l'univers que dépeint Morin un profond malaise. Passé maître dans l'art de rendre ce malaise contagieux, Morin force son spectateur à devenir le témoin d'un crime à la fois sordide et tragique. Sa grande réussite à titre de créateur est d'être parvenu à bâtir une intrigue prenante autour de sa démonstration terriblement efficace. Mais en tant que commentateur social mordant, son accomplissement est autrement plus intéressant.




Version française : -
Scénario : Robert Morin
Distribution : Robin Aubert, Emmanuel Bilodeau, Vincent Bilodeau, Jean-Guy Bouchard
Durée : 92 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 10 Mars 2006