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MYSTIC RIVER (2003)
Clint Eastwood

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le film coup de poing est un genre difficile. Combien de fois avez-vous été malmené par un réalisateur durant deux heures pour finalement vivre l'amère déception d'avoir été bien brassé pour bien peu? La sensation est terrible, la frustration d'autant plus intense qu'elle frôle l'impression d'une trahison en bonne et due forme. En fait, le coup de poing gratuit, le choc sans réflexion post-traumatique, est le pire crime que puisse commettre un film à l'endroit de son public. C'est abuser de son spectateur que de le secouer superficiellement pour ensuite avouer que l'expérience n'avait rien de tangible à offrir. Or, le cinéma actuel semble souvent avoir été réduit à cette recherche de sensations fortes éphémères toujours plus intenses. Comme si l'on tentait de repousser les limites possibles du drame humain. Le nouveau Clint Eastwood est tout sauf gratuit.

Mystic River est un film sur l'Amérique mais, surtout, sur le cercle vicieux de la violence. Au niveau purement thématique, on peut le ranger aux côtés de Cidade de Deus, un autre des cinq ou dix meilleurs films des dernières années. Le film d'Eastwood, tout comme celui de Meirelles, traite de la violence qu'engendre irrémédiablement la violence. Mystic River se nourrit à même toute la haine humaine pour poser un dur regard sur la vengeance et la justice ainsi que sur la distinction parfois floue entre ces deux sentiments dans le coeur des hommes. De par la richesse de son propos, le vingt-troisième film du véritable vétéran qu'est devenu Clint Eastwood derrière la caméra mérite toute l'attention qu'on lui a porté.

Jeune, Dave est enlevé par deux pédophiles sous les yeux de ses meilleurs amis Sean et Jimmy. Il sera marqué à vie par quatre jours en enfer au bout desquels il s'échappe. Plusieurs années plus tard, Dave revient chez lui en pleine nuit couvert de sang et confus. Il explique à sa femme Celeste qu'il s'est défendu contre un brigand. Que l'homme est peut-être mort. Le lendemain, c'est la fille de Jimmy que l'on retrouve sans vie dans un parc, et c'est à Sean que l'enquête est confiée.

Avec Mystic River, Eastwood livre un film à la hauteur du potentiel qu'avait affirmé Unforgiven. Oeuvre sombre et d'une densité exceptionnelle, ce nouvel opus se révèle une extension de ses réflexions précédentes sur la nature de la justice. Des réflexions certes bien ancrées dans le mode de pensée américain qui arrivent pourtant à s'en distinguer. Comme si Eastwood avait développé la maturité nécessaire pour regarder sa terre natale en face et la juger pour ce qu'elle est. En étudiant les terribles répercussions de gestes commis par des hommes qui espèrent reprendre la justice en main, Mystic River se penche directement sur une certaine tendance américaine à ne pas croire en la justice des autres. Que le commentaire soit lu à un niveau sociologique ou même politique, le portrait n'en demeure pas moins beaucoup plus sombre que celui que dressent les films plus populistes d'Eastwood.

Les mêmes thèmes qu'à l'habitude, pourtant, se retrouvent encore une fois dans le collimateur: la responsabilité de l'individu face à l'honneur et à la vérité. En s'effaçant derrière la caméra, Eastwood élimine par ailleurs de son univers cette figure d'idéaliste désabusé qu'il a l'habitude d'incarner. Il n'y a pas de véritable héros dans Mystic River. Seulement des gens entrainés par la violence à régler leurs problèmes par la violence. Et pour qui il n'existe pas d'autre issue... Des personnages nuancés et complexes qu'une distribution tout simplement époustouflante incarne avec un brio incroyable. Tim Robbins, Sean Penn et Kevin Bacon sont tous trois simplement parfaits tandis que les rôles secondaires, confiés à des poids lourds tels que Laura Linney et Laurence Fishburne, sont campés avec une justesse impressionnante.

D'où l'aura fataliste qui émane de cette grandiose tragédie américaine aux proportions presque shakespeariennes où Eastwood perpétue la vision de son père spirituel Leone, qui voyait en l'Amérique une terre de violence où la justice avait été pervertie dès l'âge des pionniers. Mystic River est une suite indirecte à Unforgiven, un western de banlieue où des cowboys modernes s'entre-tuent autour de quiproquos. Une impression que viennent souligner quelques subtils clins d'oeil visuels à des films tel que Once Upon A Time In America de Leone. Cela dit, le style visuel exploité est tout sauf tape-à-l'œil. Quelques plans sublimes viennent malgré tout souligner le travail appliqué de Tom Stern.

En fait, sa caméra sobre se déplace subtilement, de façon toujours justifiée, et vient amplifier avec doigté les émotions fortes de ce drame humain puissant. On pourra comme toujours accuser Eastwood de ne pas faire dans la dentelle. Mais ce serait s'arrêter à la mise en situation presque mélodramatique de son film et oublier par le fait même la qualité du traitement et de la progression psychologique touffue que propose Eastwood.

Mystic River est fort probablement le film américain le plus important des dernières années car il se penche avec courage et franchise sur des débats philosophiques et moraux aussi intemporels qu'ils sont d'actualité. Si Eastwood a remporté un Oscar du meilleur film pour le somme toute inférieur Million Dollar Baby l'année suivante, c'est que celui qu'il méritait de toute évidence pour ce film lui avait été injustement volé par la razzia aux allures de règlement de compte organisée pour commémorer la fin de l'épopée du Seigneur des anneaux. Mais oubliez The Return of the King. L'histoire se souviendra de Mystic River comme du grand film américain de 2003.




Version française : Mystic River
Scénario : Brian Helgeland, Dennis Lehane (roman)
Distribution : Sean Penn, Tim Robbins, Kevin Bacon, Laurence Fishburne
Durée : 137 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 29 Novembre 2005