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MILK (2008)
Gus Van Sant

Par Louis Filiatrault

Pourquoi faire des films historiques? Certains répondront que les sujets véridiques font simplement de bonnes histoires, mais d'autres avanceront que le passé recèle des notions et leçons qui réaffirment les principes d'une société, contribuent à bâtir son futur. Ce point de vue trouve une application particulièrement vive au sein d'un cinéma américain qui depuis toujours carbure aux mythes d'une histoire encore courte, et surtout nourrie de spectaculaire. Cependant, il existe plusieurs façons de traiter l'histoire ancienne ou récente au cinéma: certains la relatent comme on raconterait une fable à des enfants, faisant primer le « message » sur la mise en forme ; d'autres n'en conservent que les éléments décoratifs et en font des festins de nostalgie pour un public ayant (ou non) vécu l'époque. D'autres, finalement, choisissent leurs sujets avec soin et se les approprient comme on enfilerait un vêtement. C'est précisément ce à quoi s'exerce l'Américain Gus Van Sant dans ce Milk venant de la tête mais aussi (et surtout) du coeur, produit d'une énergie vitale et d'une conviction totale canalisées par un Sean Penn au sommet de son art.

Milk, pour en arriver rapidement aux conclusions, est d'abord l'oeuvre d'un maître du cinéma, mais aussi l'aboutissement suprême d'un corpus imprévisible, fondé sur des brusques changements de direction. Lui-même homosexuel déclaré, Van Sant débuta sa carrière de réalisateur de longs-métrages avec des incontournables du cinéma de la marginalité, avant de s'exécuter comme ouvrier sur quelques projets à succès, puis de replonger dans l'indépendance pour des explorations plus singulières. D'un film à l'autre se dessine un continuel reni esthétique et thématique, un goût évident pour le renouvellement. Milk constitue ainsi, à tous les égards, le moment de convergence des diverses expériences du cinéaste à ce jour, une sorte d'harmonie inédite: s'aventurant sur le terrain miné du drame biographique, Van Sant apporte au genre un naturel et une légèreté dont peu seraient capables, dosant anecdote et illustration par un travail de mise en scène tout bonnement virtuose.

Il serait faux, toutefois, de croire que Milk est l'oeuvre d'un seul homme. Relatant les actes politiques et l'intimité du premier grand activiste homosexuel d'Amérique du Nord, le film doit infiniment à la recherche et au travail colossal du jeune scénariste Dustin Lance Black. Qu'il soit inspiré d'un document authentique ou non, le recours à un Harvey Milk relatant lui-même son histoire sur un magnétophone constitue un point d'entrée tout à fait approprié à cette reconstitution attentive aux détails de l'époque, mais surtout aux relations des personnages qui s'y animent. Enchaînant les scènes courtes et dynamiques, l'écriture de Black parvient à captiver tout en équilibrant on ne pourrait plus adroitement les scènes de chambre entre Milk et ses amis, les développements des diverses campagnes politiques menées par l'éventuel conseiller municipal de San Francisco, ainsi que les scènes de foule plus mouvementées qui trouvent sous l'oeil de Gus Van Sant une charge émotionnelle d'une grande puissance. Le cinéaste rend aussi la pareille à son équipier en filmant simplement, souvent à distance et sans grand découpage, les épisodes plus calmes, laissant ses interprètes s'échanger un dialogue de grande qualité.

Car Milk, c'est aussi des prestations d'acteurs, à commencer bien sûr par un Sean Penn trouvant l'un de ses plus grands rôles au sein d'une feuille de route déjà plus qu'enviable. Affichant dès sa première apparition une gestuelle et un parler caractéristiques, tout sauf caricaturaux, l'acteur sidère en se pliant à tous les tons, insufflant néanmoins un fond d'humour et de fantaisie à toutes les situations. Son jeu s'avère donc extrêmement souple, mais tout sauf dominant, trouvant au contraire un formidable prolongement dans celui de ses partenaires masculins remarquablement bien choisis. De ces quelques « sex-symbols » triés sur le volet, Emile Hirsch affiche une énergie particulièrement admirable, de toute évidence habité par son personnage actif et dévoué. Après avoir interprété George W. Bush, Josh Brolin trouve également un autre rôle des plus difficiles en Dan White, principal rival politique de Milk, personnage rationnel mais confus auquel le scénario réserve un traitement tout en ambiguïtés. Ensemble, la troupe d'acteurs et la direction de Van Sant réussissent à entretenir un ton mobilisateur, à rendre compte de l'évolution psychologique engendrée par les développements politiques, mais surtout de l'espoir qui animait chacun de ces révolutionnaires improvisés.

L'espoir. C'est ce mot qui résonne en conclusion de ce Milk infiniment optimiste et engagé sous ses moindres angles. C'est là que se trouve le « message » de ce Harvey Milk dont les accomplissements furent plus que symboliques et contribuèrent à un réel progrès social. C'est la persévérance et l'intégrité qui menèrent le New-Yorkais à rassembler ses hommes, puis à gagner son siège et sa visibilité. Mais c'est aussi son arrogance qui mena plus ou moins directement à son assassinat (que Van Sant accompagne d'un écho fort peu subtil, mais parfaitement approprié, aux éléments formels de son Elephant). Ce sera la grande habileté des artistes à l'oeuvre que de faire sentir le remou national subsistant comme en toile de fond et ne cessant de prendre de l'ampleur (à ce titre, le contraste entre le début du film, tout en étouffante proximité, et sa bouleversante conclusion, est saisissant). L'intégration régulière de matériaux d'archives à l'ensemble y est sans doute pour quelque chose: s'adressant à l'intelligence, Milk laisse parler par elles-mêmes les déclarations subtilement meurtrières des chrétiens radicaux, les hésitations des politiciens chevronnés, ainsi que l'enthousiasme de tous face au respect des droits de l'homme. C'est une profonde conviction en la validité de sa cause qui le mène à la réussite de son projet.

S'il existe une justice en ce bas-monde, Milk sera un jour nommé parmi les classiques d'un cinéma américain à la fois politique, populaire et personnel, aux côtés de Malcolm X et de JFK. De cette grande tradition démocratique inaugurée par l'oeuvre engagée de Frank Capra, Van Sant conserve l'idéalisme, mais apporte sensibilité, intelligence et esprit d'équipe, n'attirant jamais davantage l'attention sur lui-même que sur son sujet intemporel. L'aisance et l'impression de foisonnement qui caractérisent sa synthèse d'un matériel abondant forcent l'admiration, tout comme la retenue et l'absence de voyeurisme auxquelles pourrait sembler s'opposer le flamboyant sujet de l'homosexualité. Leçon d'histoire, Milk est aussi une leçon d'amour, de respect et d'humanité, marquée par une foi profonde en les vertus du dialogue. Il s'agit de l'un des grands films de 2008.




Version française : Milk
Scénario : Dustin Lance Black
Distribution : Sean Penn, Emile Hirsch, Josh Brolin, James Franco
Durée : 128 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 16 Janvier 2009