A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

MARIE ANTOINETTE (2006)
Sofia Coppola

Par Jean-François Vandeuren

Il n’aura fallu que deux films à Sofia Coppola pour dissocier son nom de famille du riche héritage cinématographique de son père et l’associer à une toute autre signature dont le mérite lui revient entièrement. Plutôt que de donner dans la même veine épique et profondément mythique des plus ambitieuses fresques de Francis Ford Coppola, la jeune réalisatrice privilégia la mise en scène de récits beaucoup plus personnels et simples en apparence, ayant tous en commun cette même quête du bonheur dans les méandres de toutes les déceptions et les inquiétudes qu’implique la vie moderne. La grande finesse de son approche à la fois lucide et teintée d’élans poétiques lui aura d’ailleurs valu l’Oscar du meilleur scénario original pour son formidable Lost in Translation. La décision de Coppola après coup de remonter le temps pour donner dans le drame historique fut un choc pour plusieurs, voire même une amère déception. Coppola aurait-elle pris goût à la gloire au point de ne vouloir travailler que dans le but de séduire l’Académie? Ce n’est pas comme si ce soudain changement de cap ne s’était jamais produit à Hollywood auparavant. Pourtant, malgré l’époque à laquelle se déroule ce Marie Antoinette, le style visuel ainsi que les thèmes abordés demeurent pour leur part foncièrement actuels.

Ce qu’il faut savoir dans un premier temps est que le troisième long-métrage de Sofia Coppola porte parfaitement son nom. La cinéaste américaine ignore volontairement la hargne du peuple français à l’égard de la monarchie ainsi que tout élément politique relié au règne de Louis XVI (mis à part quelques références à la Guerre d’indépendance des États-Unis) pendant la majeure partie du film pour se concentrer uniquement sur ce qui se trame à l’intérieur du palais de Versailles et, par le fait même, du cercle fermé de la grande bourgeoisie. Coppola forme du coup un huis clos autour de son personnage d’éternelle adolescente, à laquelle Kirsten Dunst confère toute la candeur désirée, mais aussi les traits d’une jeune femme profondément blasée par ses obligations royales et matrimoniales. Coppola porte également un regard beaucoup plus observateur que critique sur la folie dépensière de ladite «reine de l’endettement» tout en soutenant que le comportement de cette dernière n’était pas sans fondement. Comme la Charlotte qu’interprétait Scarlett Johansson dans Lost in Translation, la Dauphine vivra un certain choc culturel avant de faire face au même type de déceptions et de pressions émanant d’un univers qui tentera de l’exclure tout en la forçant à s’intégrer. La Marie Antoinette de Sofia Coppola cherchera du coup un moyen de s’évader et finira par trouver refuge dans la mode et les plaisirs mondains.

La facture visuelle de Sofia Coppola reste également très ancrée dans la modernité. La réalisatrice met ainsi superbement en valeur ses décors et costumes par le biais d’une caméra plus instinctive et vivante que l’approche d’ordinaire plus statique et calculée à laquelle le genre nous a habitué. Coppola éprouve toutefois quelques difficultés à organiser son récit de façon cohérente. Cette dernière tente de répéter les prouesses narratives de Lost in Translation par le biais d’un scénario elliptique et fragmenté en séquences d’assez courte durée. Mais si la cinéaste prouva la grande force de cette forme de montage pour mettre en scène une histoire ne durant que quelques jours, son utilisation s’avère beaucoup plus chaotique dans un cas comme celui-ci où le récit s’étale sur plus de dix ans. Il devient du coup difficile de se situer précisément sur une ligne du temps, d’autant plus que les personnages du film, en particulier Marie Antoinette que l’on nous présente alors qu’elle n’est âgée que de 15 ans, ne semblent jamais vieillir.

La cinéaste prit également un risque considérable en accompagnant son effort d’une trame sonore particulièrement anachronique composée de pièces pops, rocks et électroniques. Marie Antoinette vibre ainsi au rythme des formations New Order, The Cure, Siouxsie and the Banshees, The Strokes et Aphex Twin, pour ne nommer que ceux-ci. Le ton est d’ailleurs donné dès les premières notes de la trépidante Natural’s Not In It de Gang of Four lors d’un générique d’ouverture qui valide rapidement l’exercice de style. Coppola ira même encore plus loin en intégrant littéralement ses choix musicaux à l’univers de son film lors d’une séquence de bal masqué où la bourgeoisie française de l’époque semblera s’être donnée rendez-vous à l’intérieur d’une boîte de nuit au beau milieu des années 80.

Sofia Coppola signe ainsi un troisième opus dont elle cerne parfaitement chaque enjeu malgré les difficultés qu’elle éprouve à les rassembler en un tout fluide et équilibré. Nous devons évidemment accepter le fait que la jeune réalisatrice s’intéresse davantage à la psychologie de son personnage principal qu’à la situation politique et sociale d’une France en pleine période de crise. Les riches s’enrichissent tandis que loin de leurs regards les pauvres s’appauvrissent. Coppola dresse tout de même un parallèle fort pertinent avec la situation dans laquelle est plongé le peuple américain en ce moment alors que l’administration Bush se retrouve aux prises avec une population de plus en plus insatisfaite et une guerre qu’elle n’a pas les moyens de financer. Marie Antoinette peut donc être considéré comme une réussite qui, sans atteindre la stature du pourtant moins complexe Lost in Translation, prouve une fois de plus la grande créativité et l’intelligence d’une cinéaste qui n’a pas peur de jouer avec les fondements d’un genre aussi rigide que le drame historique et les attentes du public pour arriver à ses fins. La cinéaste fonce la tête haute, plus confiante que jamais, parfois même un peu trop.




Version française : Marie Antoinette
Scénario : Sofia Coppola
Distribution : Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Steve Coogan, Rip Torn
Durée : 123 minutes
Origine : États-Unis, France

Publiée le : 7 Décembre 2006