A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

THE LIVES OF OTHERS (2006)
Florian Henckel von Donnersmarck

Par Jean-François Vandeuren

Il vaut mieux en rire qu’en pleurer. Ce dicton bien connu s’applique étrangement à la façon dont le cinéma allemand déterre périodiquement son passé national depuis quelques années, en particulier en ce qui a trait à toute la problématique entourant la République démocratique allemande. Cette initiative donna lieu par exemple au doux-amer Good Bye, Lenin! de Wolfgang Becker et à l’héroïque Der Tunnel de Roland Suso Richter. L’Allemagne semble ainsi vouloir exorciser de vieux démons en les confrontant sur la place publique. Bizarrement, le cinéma a aussi tendance à se montrer beaucoup plus clément envers l’Allemagne de l’Est et à s’éloigner volontairement de l’ampleur du sujet. « Au fond, ce ne fut qu’un dur moment à passer », semble penser certains. Ce relâchement fait d’autant plus contraste avec la manière beaucoup plus stricte (difficile de faire autrement de toute façon) dont le cinéma allemand médite finalement sur les événements de la Seconde Guerre mondiale afin de régler ses comptes une bonne fois pour toute avec l’une des périodes les plus sombres de son histoire.

Les films historiques portant sur ces deux époques abondent depuis le début du nouveau millénaire. Une fois de plus, c’est l’Allemagne de l’Est que nous sommes invités à revisiter à l’occasion de la sortie de ce premier long-métrage de Florian Henckel von Donnersmarck. Des techniques d’interrogation des plus épuisantes de la Stasi en passant par une atmosphère de paranoïa souvent insoutenable, ce dernier nous replonge avec une rigueur écrasante dans le quotidien de cette partie isolée de Berlin durant la première moitié des années 80. Le cinéaste s’intéresse plus précisément au cas de Gerd Wiesler (Ulrich Mühe), un officier de la Stasi assigné à la surveillance du dramaturge Georg Dreyman (Sebastian Koch) que l’état soupçonne d’infidélité envers le parti.

Ce qui frappe dès les premières minutes de The Lives of Others c’est l’exactitude avec laquelle le cinéaste allemand dépeint cette période. Von Donnersmarck ne tente pas de rendre ses personnages plus grand que nature ou de leur faire traverser des séquences tragiques et héroïques à n’en plus finir. Le quotidien existait à Berlin-Est et c’est ce dont s’imprègne avec une remarquable lucidité The Lives of Others. Le cinéaste allemand traite d’une manière d’autant plus modeste ce portrait d’un gouvernement envahissant par le biais d’une mise en scène particulièrement méticuleuse, laquelle nous ramène continuellement à ce sentiment de méfiance. Von Donnersmarck confère également une importance considérable à la création d’atmosphères grâce auxquelles il recréé cette grisaille ambiante d’une façon tout à fait prodigieuse sans que celle-ci ne devienne trop écrasante. Le film ne cherche pas non plus à rendre gloire à l’Ouest ou à dénigrer complètement l’essence même du système qui régissait la RDA. Ainsi, plutôt que de fuir, les personnages de The Lives of Others tente plutôt de révéler au grand jour une des lacunes d’un régime avec lequel ils ne sont pas forcément en désaccord, mais qui en dit néanmoins long sur le moral de la population vivant à l’intérieur de ces murs.

Le scénario de The Lives of Others s’avère également des mieux ficelés et documentés et utilise de manière formidable l’ironie dramatique tout en plaçant le personnage de Gerd Wiesler au centre de tous les enjeux du récit. C’est autour de ce dernier que l’étau se ressert constamment. Cela donne évidemment lieu à des situations de plus en plus tendues dont le cinéaste souligne l’urgence en rendant palpable la charge psychologique que doivent encaisser et soutenir sans arrêt ses personnages. Le tout est d’autant plus appuyé par la performance éblouissante d’Ulrich Mühe, l’ancien protégé de Michael haneke dont on a pu admirer l’intensité du jeu dans des films comme Benny’s Video, Funny Games et The Castle. Son personnage n’a d’ailleurs rien du héros type et Florian Henckel von Donnersmarck marque son changement de mentalité beaucoup plus par ses gestes que son comportement. L’interprétation de Mühe épate ainsi de par sa sobriété exemplaire, formant un héros réservé à l’expression impartiale et souvent muette, mais qui laisse néanmoins transparaître l’état de son esprit en constante agitation tout en réussissant à le rendre sympathique.

The Lives of Others se veut donc un film sur le courage et la détermination en temps de crise comme on aimerait en voir plus souvent. L’effort de Florian Henckel von Donnersmarck ne nous ramène pas continuellement à la gloire d’un mouvement et célèbre plutôt l’importance du geste le plus anodin qui, sans nécessairement mener à une vague de changements, peuvent permettre aux individus concernés de célébrer une victoire personnelle sur le plan moral. La vie est une roue qui tourne après tout. Dans le même ordre d'idées, plutôt que de terminer son film sur la chute du mur de Berlin, le cinéaste allemand préféra continuer encore quelques miles pour souligner hors de tout doute l’appartenance de son personnage principal à la réalité du quotidien beaucoup plus qu’aux rouages de la fiction. Après avoir soutenu cette idée pendant un peu plus de deux heures, le cinéaste allemand met un point final à son œuvre par le biais d'une séquence d'une incroyable modestie qui n’aurait pu rendre plus justice autant à l’essence de son discours qu’à la force de son protagoniste.




Version française : -
Version originale : Das Leben der Anderen
Scénario : Florian Henckel von Donnersmarck
Distribution : Ulrich Mühe, Sebastian Koch, Martina Gedeck, Ulrich Tukur
Durée : 137 minutes
Origine : Allemagne

Publiée le : 24 Octobre 2006