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THE LAST STATION (2009)
Michael Hoffman

Par Louis Filiatrault

En tant que drame historique, The Last Station aurait pu accomplir bien des choses. Il aurait pu s'en tenir à dépeindre l'intimité de l'écrivain russe Léon Tolstoï au soir de sa vie, accompagné de sa partenaire maritale Sofia. Il aurait pu offrir un regard décalé sur une période riche en brassages intellectuels, préférant l'angle sentimental aux usages de la haute société. Il aurait pu au contraire proposer une réflexion plus cérébrale, dénonçant l'hypocrisie aveugle d'un culte aux fondements erronés. Et comme de fait, c'est un peu de tout cela qui se retrouve dans ce film que l'on saurait difficilement taxer de mauvaise volonté. Dans un effort que l'on imagine bien senti, le réalisateur et co-scénariste américain Michael Hoffman y va en effet d'une reconstitution soignée, aux aspirations didactiques bien dosées. Malheureusement, la rigueur et l'inspiration manquent à l'appel ; généralement guilleret, sporadiquement dramatique, The Last Station se laisse regarder sans déplaisir, mais sans non plus toucher au fond de vérité caractérisant les fresques mémorables.

Les bonnes nouvelles étant toujours plus agréables à formuler que les mauvaises, écartons pour l'instant les manquements qui s'avèrent somme toute assez diffus. De ce film dont le principal argument de vente se veut une distribution de haut calibre, il faut reconnaître d'emblée l'harmonie qui se dégage d'une direction d'acteurs en tous points respectable. Aussi, toute l'esthétique semble-t-elle dévouée à les mettre en valeur : plutôt spirituels, voire étonnamment pétillants vu le contexte austère, les dialogues font mouche, livrés d'aplomb, tandis que la mise en scène demeure posée, ordonnée en déplacements élégants et parcimonieux. Christopher Plummer, dans le rôle du paternel Tolstoï, hérite par ailleurs de plusieurs réparties savoureuses, et leur impartit une dose d'humanité fort convaincante. C'est sans doute là un des mérites les plus admirables de la production : largement redevable de cette interprétation sympathique, le portrait d'un monument culturel des XIXe et XXe siècle, dont le film s'attarde bien à décrire l'importance, évite de sombrer dans l'hagiographie béate à penchant divinisante. Fort de contradictions, l'écrivain se présente ici comme une personne accessible, fermement conscient des limites de sa propre pensée. Le talentueux Paul Giamatti, pour sa part, se charge bien de rendre les desseins de son personnage obséquieux aux idéaux mal avisés, tout en se gardant de lui conférer une aura de pure malice.

Ces qualités sont immédiatement apparentes, et se laissent apprécier sans trop de résistance. Mais c'est un peu là où le bât blesse dans cette entreprise à la mécanique plus ou moins bien dissimulée : jamais exactement sotte ou manichéenne, l'écriture n'y est pas non plus assez mordante pour subvertir quelque mythe, ni assez unifiée pour monter un récit cohérent, à commencer par un ancrage psychologique solide. Parfaitement capable de susciter l'attachement à des héros masculins remplis de bonnes intentions, James McAvoy s'offre d'emblée comme principal médiateur entre le film et le spectateur, mais se fait reléguer à l'arrière-plan lorsque la trame se complique, emportant avec elle son immédiateté. L'idylle de son personnage avec une espiègle baroudeuse, dont les premières phases déboulent de manière bien trop précipitée pour emporter la conviction, ne semble ni pleinement assumer la forte sensualité s'en dégageant à l'occasion, ni enrichir la thématique tolstoïenne au-delà d'un élémentaire message d'amour sans tabous. Quant à l'épouse Sofia, dont Helen Mirren rend les tourments avec intensité, mais sans grande fraîcheur, celle-ci se fait imposante sans pour autant déterminer en profondeur la direction narrative du film, si ce n'est qu'une ou deux scènes à la fois. Entre fantaisie légère et mélodrame de luxe, l'impression que laisse donc The Last Station est de vouloir faire flèche de tout bois, et de ne pas savoir où donner de la tête.

Le foyer de Tolstoï étant situé en retrait des grandes villes et autres bassins de population, l'on ne saurait trop reprocher au film de ne pas figurer davantage les comportements sociaux de son époque. Mais malgré ce théâtre isolé, l'on ne peut s'empêcher de sentir un manque : suspectement dépourvue d'activités domestiques, la rustique demeure du maître est négligée par les auteurs, s'en tenant aux banales conversations de parloir au lieu d'imaginer des situations aptes à mettre le lieu en valeur ; les quelques scènes se déroulant sur les terres d'une commune « tolstoïenne », de leur côté, s'appliquer avant tout à fabriquer de toutes pièces des enjeux intimes bien spécifiques plutôt qu'à les faire émerger naturellement d'un ensemble plus large. Même la surprenante omniprésence d'un entourage médiatique important, passant près d'alimenter un développement narratif intéressant, ne constitue qu'une donnée historique à peine exploitée par le scénario, et n'enrichit finalement moins le portrait que les quelques bandes d'actualité incluses au générique de fin. Concluant un film autrement plutôt bien mené, la séquence d'agonie donnant au film son titre s'éternise en étapes trop nombreuses, faisant éprouver l'insuffisance et l'éparpillement des pistes semées jusqu'alors. Elle résume aussi bien la proposition esthétique du film entier : trop littérale, à peine mystique, son imagerie se révèle trop satisfaite des seuls visages peuplant ses cadres, du strict minimum d'effort déployé dans sa réalisation.

De façon générale, et ce, malgré toute la bonne foi que l'on pourrait lui prêter, il faut bien admettre que The Last Station faisait face à des obstacles considérables. À commencer par l'implicite obligation de mettre en valeur sa distribution, il importait aussi de rendre crédible la Russie d'avant-guerre dans un style renvoyant bien plus à la tradition britannique, en plus de rendre hommage à une icône qu'un seul film suffirait difficilement à contenir. Mais au-delà de ces impératifs le dépassant quelque peu, le plus grand défaut de Michael Hoffman à la conduite de son film est sans doute de ne jamais tendre vers un idéal plus stimulant. Ordonné, statique, en tout point modelé sur le récent travail de Roger Deakins (The Reader, Revolutionary Road...), son emploi de la caméra semble carrément apeuré à l'idée de produire le moindre choc, les images mémorables se comptant sur les doigts d'une main, au même titre que les tensions dramatiques. En tout et pour tout, le public le plus susceptible d'y trouver son compte est probablement celui des admirateurs modérés de Léon Tolstoï ; une clientèle à même d'apprécier la connivence avec un esprit lui étant familier, mais dont le principal sujet d'intérêt demeure ici trop peu exploré pour faire naître de nouvelles passions. Aussi consensuel qu'oubliable, le plus grand délit dont souffre The Last Station est de ne pas en demander plus de son spectateur.




Version française : -
Scénario : Michael Hoffman, Jay Parini (roman)
Distribution : James McAvoy, Christopher Plummer, Helen Mirren, Paul Giamatti
Durée : 112 minutes
Origine : Allemagne, Russie, Royaume-Uni

Publiée le : 22 Février 2010