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IN THE VALLEY OF ELAH (2007)
Paul Haggis

Par Mathieu Li-Goyette

«Saül et les hommes d’Israël se rassemblèrent et campèrent dans la vallée d’Élah, et ils se rangèrent en bataille face aux Philistins. […] David ceignit aussi l’épée de Saül par-dessus ses habits et essaya en vain de marcher, car il n’était pas entraîné. David dit à Saûl: «Je ne pourrai pas marcher avec tout cela, car je ne suis pas entraîné.» Et David s’en débarrassa. Il prit en main son bâton, se choisit dans le torrent cinq pierres bien lisses, les mit dans son sac de berger, dans la sacoche, et, la fronde à la main, s’avança contre le Philistin.». (Samuel 1. 17: 2, 39-40)

À l’aube du retour des derniers soldats québécois d’Afghanistan, nous sommes en raison de nous demander ce qu’il advient des morales américaines lorsque celles-ci croisent la mythologie chrétienne dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Sans nécessairement y répondre, cette allusion reste la comparaison la plus proche du combat initié par Hank Deerfield (Tommy Lee Jones), père de soldat et lui-même retraité de l’armée. Vivant dans la typique banlieue américaine, il apprend que son fils (étant revenu d’Irak sans avertir sa famille) est porté disparu depuis quelques jours. Souhaitant mener sa propre enquête, Deerfield, ex-membre de la police militaire, prend motel près du camp de l’armée et débute ses investigations. Rapidement aidé par Emily Sanders (Charlize Theron), jeune détective recherchant une ascension plus rapide au sein du corps de police, Deerfield retrouvera le corps de son fils découpé en morceaux et calciné aux abords d’un terrain appartenant à l’armée.

Mené par l’amour paternel et puis la vengeance, Deerfield se voit contraint de se plier aux conditions de travail de la police militaire et des autorités du conté. Souhaitant mener l’enquête à sa façon, les entraves de la justice (relevant autant des restrictions législatives que du complot) restreignent le père de famille à retracer les dernières semaines d’activités de son fils à travers les photos et les vidéos de son téléphone cellulaire. Convaincu que son fils n’a pas donné 18 mois de sa vie à sa patrie pour que sa disparition ne donne suite à des poursuites judiciaires, Deerfield convint la détective de la priorité plus symbolique qu'émotive que représente l’appréhension du meurtrier. À l’image des autres parents américains, Hank ne demande qu’à ce que justice soit faite. Intrigue à première vue on ne peut plus simple, elle rattrape cependant le spectateur au détour lors de l’identification des causes réelles du meurtre.

À l’image de son précédent film, Crash, Haggis met le doigt sur une des plaies ouvertes des États-Unis. Cette histoire d’apparence banale révèle un brillant dilemme de génération entre les baby-boomers et celles des jeunes d’aujourd’hui. En d’autres mots, la génération au pouvoir et celle qui tente de se forger sa propre vie. Discours au deuxième degré du récit, les valeurs et les habitudes des «anciens» reviennent hanter la nouvelle génération qui, née dans un contexte socio-politique complètement différent, se voit forcer d’adhérer à une mentalité datant de plusieurs décennies. Qu’on fasse ainsi allusion aux relations qu’entretient Deerfield avec Sanders, l’armée, les serveuses ou le drapeau américain, cette dualité se propose ouvertement comme l’une des causes possibles à la débandade que connaissent actuellement nos voisins du Sud.

Supporté par une distribution éclatante et une réalisation fluide, voire invisible, c’est le rôle de Tommy Lee Jones en père rattrapé par le temps et paralysé par la prise de conscience qu’il se voit obligé d’adopter en regard à son défunt fils qui attire le plus l’attention. Ex-militaire, Deerfield est ici mieux placé que quiconque pour rendre compte de l’immense contraste entre faire parti de ces «Philistins» ou se considérer comme un simple représentant du peuple. Devant avouer l’influence maladive que la guerre entraîne auprès de ses recrues, il ne peut que se résoudre à accepter le sort de son fils (méconnaissable dans ses vidéos cellulaires) et rendre des comptes à sa femme, victime sous-estimée du film, à qui il a enlevé son deuxième fils (l’histoire suppose que le premier était lui aussi une victime de la guerre). Sans se contenter d’aborder les conséquences affectées au psyché humain lors de la guerre, on y traite donc aussi du regret de cette ancienne génération d’avoir servit de modèle à celle des jeunes d’aujourd’hui. Soustrait à ces autorités parentales, le fils ne pouvait avoir l’impression d’être un homme et un américain accompli que s’il s’engageait à défendre son pays à l’image de son père. Ce dernier, figure du mentor bafoué par ses exigences, ne peut qu’affronter sa défaite dans la honte et le silence.

Sous ses allures de film d’enquête, In the Valley of Elah, troisième long-métrage du scénariste-réalisateur Paul Haggis, est, somme toute, une brillante «note en bas de page» au coeur du cinéma américain des dernières années. Cette vallée d’Élah où se combat Deerfield, allégorie de milliers de parents de soldat, n’est autre que les États-Unis où le Goliath du gouvernement écrase la résistance futile de ses citoyens désarmés. Décomposant la problématique tabou de la guerre en Irak, Haggis s’attaque à ses conséquences sur la génération qui se devra de reconstruire le pays et son économie à la fin du présent conflit. Finalement réaliste dans sa proposition, le cinéaste ne se fait pas pessimiste en se contentant d’avancer les faits et de les laisser nous choquer par leurs dénouements. Suggéré comme une crise interne commune par la banalisation de ses personnages, ce combat éternel entre l’opprimé David et son bourreau Goliath se transpose ici dans l’Amérique d’aujourd’hui sans avoir d’autre prétention, au bout du compte, que de nous faire prendre conscience que les États-Unis sont, eux-aussi, un pays en détresse.




Version française : Dans la vallée d'Élah
Scénario : Paul Haggis, Mark Boal
Distribution : Tommy Lee Jones, Charlize Theron, Susan Sarandon, Josh Brolin
Durée : 121 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 21 Mars 2008