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INFERNO (1980)
Dario Argento

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Avec les années 80, le monde de l'image entre dans une nouvelle ère marquée par l'excès et la superficialité; le cinéma post-moderne se découvre une nostalgie pour son propre passé et de grands réalisateurs se lancent tête première dans le jeu condamné de l'exercice de style. Les décors gagnent en décadence ce qu'ils perdent en sens. Le prototype des images numériques désincarnées qui noient aujourd'hui notre imaginaire remonte à cette période charnière du clinquant et du néon, marquée par le passage des modes et des oeuvres de genre toujours plus fascinées par leur propre essence clichée. Avec les années 80, le mouvement punk est absorbé puis dépossédé de son esprit contestataire; ne reste plus, alors, qu'une excentricité prédigérée et prête-à-porter. Le commerce s'approprie une fois de plus la parure des marges. Mais, au-delà de sa propre histoire et des styles criards, ce que va pousser dans ces années le septième art est une rapprochement à une autre pratique synthèse plus ancienne: l'opéra. En ce sens, le cinéma italien de la décennie précédente prédispose à cette tendance formelle généralisée: l'orchestration symphonique de genres tels le giallo et le western spaghetti jette les bases d'un cinéma composé à la manière d'une pièce de musique plutôt que d'une pièce de théâtre. Tensions et relâchements s'y dessinent au gré d'un montage en « chocs » et des émotions que dicte une bande son survoltée.

Par leurs connotations baroques marquées et leur souffle lyrique ambitieux, les premières oeuvres de Dario Argento constituent déjà un paroxysme du style pur et pourraient, d'emblée, être apparentées aux effusions cosmétiques du néo-formalisme. Néanmoins, le cinéma du maestro italien va repousser ses propres frontières à la fin des années 70, avec Suspiria d'abord, puis au cours des années 80. Délaissant le giallo, Argento va alors s'intéresser à l'horreur et au fantastique. Durant cette période charnière quoiqu'inégale de sa carrière, son cinéma se penchera de plus en plus sur l'exacerbation esthétique et les thématiques surnaturelles. En ce sens, le Suspiria de 1977 marque chez lui une véritable transition qui culminera de manière beaucoup plus raffinée, en 1980, avec l'avènement de sa suite Inferno. Sous-estimé là où son prédécesseur embryonnaire est somme toute surestimé, Inferno cultive l'expression à l'état pur; son imagerie incroyablement léchée est à la fois une fin en soi ainsi qu'une ouverture symboliste à la réflexion sur soi, une recherche surréaliste finement ciselée. Ici, le cinéma n'est plus qu'une extension du royaume des rêves; la dissolution des impératifs narratifs s'opère au profit d'une construction dramatique aléatoire où chaque séquence fonctionne en tant que cauchemar autonome d'une redoutable efficacité.

En fait, Inferno délaisse définitivement toute logique hitchcockienne pour s'abandonner aux glorieuses possibilités de l'incohérence assumée; le parti pris, audacieux, permet à Argento d'explorer en toute liberté cet onirisme déchaîné que ses oeuvres précédentes ne pouvaient qu'effleurer. Seule une mise en situation romanesque articule la ténébreuse légende des « trois mères », d'ailleurs sans trop s'en encombrer dans les faits. Le synopsis n'est qu'un prétexte servant à enchaîner, avec une fluidité plus visuelle et musicale que narrative, divers degrés d'une véritable descente aux enfers. La continuité conventionnelle est excisée du film au profit d'un agencement de formes et d'impressions, une suite de libres-associations qui s'emboîtent au-delà du rationnel selon la logique - ou plutôt l'absence de logique - propre au rêve. Le mode de progression du « récit » n'est donc pas sans rappeler certains des exercices plus éclatés de David Lynch, en ce sens où il est centré sur la récurrence de motifs visuels forts et évocateurs: des objets investis d'une conscience propre - seul lien concret aux allégeances hitchcockiennes d'antan - ou alors ces couleurs primaires saturées et omniprésentes.

En ce sens où il constitue un cinéma de forme à l'expression purement matérialiste, Inferno se rallie dans l'esprit au courant néoclassique cinématographique: il ne fait aucun doute que le film, et ses élans ouvertement pompeux exacerbés par une musique progressive signée Keith Emerson, témoigne d'un maniérisme absolu. Avec Inferno, tout comme dans les années 80 en général, le réel n'existe tout simplement plus. D'où cette anti-narration, fonctionnelle au niveau émotionnel et subconscient, qui cherche à plonger le spectateur dans une pure fabrication, une illusion cinématographique voire une théâtralité à laquelle le film fait par ailleurs explicitement référence. Que ce soit en levant littéralement le rideau ou en plaçant ses propres mains dans le rôle d'agent manipulateur tout-puissant, Argento souligne constamment que la « magie » du cinéma n'est qu'une opulente supercherie. En ce sens, sa réflexion sur le médium retient plus de la pensée moderne que post-moderne. Or Argento croit encore en la possibilité d'une « pureté » dans l'art, d'un cinéma dont le principal intérêt est la distillation de ses propres préoccupations: c'est pourquoi Inferno cherche à expliciter le désir de confronter la mort propre au cinéma d'horreur, comme le révèle une finale un peu escamotée mais malgré tout pertinente.

Bien qu'il ne fasse pas l'unanimité, Inferno se doit d'être réévalué puis rangé parmi les incontournables de l'oeuvre de Dario Argento car il constitue, malgré quelques défauts bénins, l'aboutissement d'une démarche de remise en question de l'expérience cinématographique entamée dès The Bird with the Crystal Plumage. Même le son est devenu matière palpable dans ce cinéma des sens Avant tout, Inferno est une riche composition visuelle où la géométrie torturée des édifices et l'étrangeté des éclairages plonge le spectateur dans une incertitude viscérale: Argento illustre ici les craintes de l'inconscient sous la forme d'un ballet, d'un opéra, d'une longue symphonie outrancière. Oubliez le récit, de toute manière anecdotique dans la plupart des films d'horreur, et vous trouverez une belle interprétation, très personnelle, de ce qui motive l'esprit à s'intéresser au morbide et au macabre: cette envie de faire face à l'inconnu et de déjouer l'incompréhensible qui anime l'humain osant pousser son questionnement jusqu'aux limites de ses propres dogmes.




Version française : Inferno
Scénario : Dario Argento
Distribution : Leigh McCloskey, Irene Miracle, Eleonora Giorgi, Daria Nicolodi
Durée : 107 minutes
Origine : Italie

Publiée le : 4 Avril 2007