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THE INCREDIBLE HULK (2008)
Louis Leterrier

Par Louis Filiatrault

Qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, il faut reconnaître au Hulk de 2003, réalisé par Ang Lee, son statut empirique d'étrangeté majeure. Tandis que ses superbes flashs de montage bédéiste et sa photographie stylisée en faisaient un film à l'esthétique passablement audacieuse, le scénario dirigé par James Schamus taillait à même le mythe du célèbre personnage un drame psychologique aux rouages souvent lourds, mais d'une ambition artistique tout à fait légitime ; une décision qui se heurtait cependant de façon bien peu harmonieuse aux impératifs traditionnels de la superproduction d'action. En somme, cet effort des plus particuliers s'efforçait de scruter la matière enfouie du monstre incompris ; son côté « Frankenstein ». Cette seconde version cinématographique en préfère manifestement l'aspect « King Kong », et dévala sur les écrans avec la ferme intention de rappeler au monde entier (comme si cela était nécessaire) la puissance indétrônable du bon gros blockbuster bien fait. Heureusement, ce qui aurait pu ne s'avérer qu'une aberration commerciale d'une pauvreté ludique parfaitement oubliable se révèle en fait une production d'une limpidité et d'une solidité des plus respectables. Il s'agit, tout simplement, d'un « bon gros blockbuster bien fait », dans le meilleur des sens que peut connoter cette expression.

S'agit-il d'une suite à proprement dit ou d'un nouveau départ? Dans tous les cas, The Incredible Hulk bénéficie d'une double avance, à savoir la tâche relativement facile de redorer l'image d'un héros « massacré » par un premier opus très mal reçu, ainsi que de poursuivre une histoire que tout le monde connaît déjà (à travers les bandes dessinées, ladite précédente mouture, ou les multiples incarnations télévisuelles). Le générique d'ouverture de Hulk était une exploration visuelle en force détails d'un phantasme scientifique touffu, un film expérimental en miniature ; celui de l'opus signé Louis Leterrier est un film de deux heures en superaccéléré, un rappel des revirements de base que furent la création du monstre, sa traque et sa fuite. Un plan aérien sur une favela brésilienne (soutenu pendant plus de trente secondes!) et quelques scènes rapides suffisent à situer Bruce Banner dans un contexte nouveau, tandis que le personnage du général Ross est bien vite ramené en service afin que puissent reprendre les hostilités entre le pauvre cobaye victime du sort et le vil militaire soucieux de supprimer les traces des projets manqués sous sa direction. Mais aucun enjeu sérieux concernant l'éthique ou la légitimité scientifique ne sera ici abordé ; The Incredible Hulk est sans surprise un film tout en surface, fait de grands mouvements et de guidage dramatique lourd. Mais cette superficialité s'avère néanmoins d'une maîtrise peu commune dans le domaine du divertissement estival, et ce sur presque tous les plans.

Hulk comptait un défaut de premier plan, qui portait ombrage à plusieurs de ses qualités: Eric Bana. Le visage lisse de l'acteur australien, ses yeux grands mais peu expressifs, rendaient son interprétation de Bruce Banner d'une puissance de conviction à peu près nulle. Son physique musclé rendait la mutation presque normale, là où la minceur et le visage émacié d'Edward Norton constituent la base d'un contraste saisissant (et d'autant plus spectaculaire). Sans procurer au personnage une profondeur que le scénario ne lui fournit pas, l'Américain connu pour bien choisir ses rôles insuffle au héros une intensité tout à fait appropriée, une nervosité et un sentiment d'urgence qui font du bien après les angoisses latentes du film de Ang Lee. Il est solidement épaulé par un William Hurt fidèle à lui-même et par une Liv Tyler parfaitement convenable dans le rôle de Betty Ross, malgré un Tim Roth présentant des signes de fatigue évidents. Mais c'est la réalisation de Louis Leterrier qui remporte la palme des qualités inattendues. De toute évidence, le disciple de Luc Besson connaît sa technique d'action jusqu'au bout des doigts: sa première poursuite dans des rues bondées n'a absolument rien à envier à la série Bourne, la résolution de celle-ci dans une usine d'embouteillage impressionne par sa solidité digne de Die Hard, tandis que la séquence centrale sur un terrain de campus universitaire étonne par son orchestration de chaos dans un décor parfaitement banal. L'efficacité percussive de l'ensemble et des passages de narration proprement visuelle surclasse aussi toute la compétition, incluant le travail correct mais généralement peu enlevant de Jon Favreau sur Iron Man. En somme, le Français a su réunir ses acquis de réalisation (le découpage rigoureux de Transporter 2, la conduite plus souple d'Unleashed...) afin d'apporter à Hulk toute la force de frappe qu'il méritait.

Bien sûr, The Incredible Hulk n'est pas exempt de défauts. Le scénario comporte quelques trous béants et raccourcis douteux, tandis que les moments les plus captivants s'opposent à des scènes plutôt banales et pauvrement dialoguées (leur auteur fut après tout responsable du texte de plusieurs chefs-d'oeuvre, comme Elektra ou Inspector Gadget...). Malgré une baisse de rythme considérable après le premier tiers, l'enchaînement et la construction d'ensemble s'avèrent cependant très satisfaisants. On pourra aussi reprocher au film de s'achever sur des scènes qui ne s'avèrent rien de bien plus qu'une variation sur les duels de Transformers ; reléguant au second plan la présence humaine fondant l'énergie primale des scènes d'action plus traditionnelles, ce genre de déversements de violence numérique demeurera toujours la cible de critiques tout à fait légitimes, condamnant l'abrutissement généralisé sous la pétarade artificielle. Mais il faudrait être têtu pour ne pas remarquer ici la démonstration d'un savoir-faire et d'un sens du spectacle à tout casser ; le mérite en revient à nouveau à la mise en scène, et le parallèle avec l'apothéose platement standard (et similaire) d'Iron Man s'avère encore plus révélateur. Certains préfèreront encore ce dernier film pour des raisons qui leur seront personnelles (la qualité des interprètes, l'élément d'humour bien dosé...). Mais au bout du compte, le film de Favreau ne s'avère rien d'autre que l'application confortable d'un modèle confirmé, accompagné d'une idéologie fortement discutable, tandis que le présent Hulk semble à tout le moins animé par l'ambition d'envoyer promener la concurrence, de s'imposer avec autorité (à l'image de son héros, fabulerons-nous...). Quoiqu'il en soit, ces deux films et leurs dénouements-surprises respectifs affirment un seul et même constat: les studios Marvel sont de retour, en grand ; ils ont le public dans leur poche, et celui-ci n'a qu'à bien se tenir car la suite des événements risque de le faire jubiler comme jamais. Le temps nous dira si le standard créatif et technique sera maintenu, ou si cette assurance débouchera sur une nouvelle succession de produits médiocres et complaisants...




Version française : -
Scénario : Zak Penn
Distribution : Edward Norton, Liv Tyler, Tim Roth, William Hurt
Durée : 112 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 3 Décembre 2008