HIGH NOON (1952)
          Fred Zinnemann
          
          Par Louis Filiatrault
          
          Si tel s’avère le désir d’un auteur, le territoire 
          du western a de quoi se prêter – et s’est très 
          souvent prêté – à un festival d’action 
          bête et simple. Tous les ingrédients sont à portée 
          de main : un bandit se trouve toujours dans les parages afin de permettre 
          à un représentant de la loi d’affirmer une fois 
          de plus son parfait contrôle sur les situations de crise. Le règlement 
          de comptes se fait par les armes, en espaces ouverts ou dans des rues 
          rendues désertes le temps d’un affrontement. Le western, 
          c’est la formule rêvée pour une canalisation de la 
          vieille croyance en le rétablissement de l’ordre, pur, 
          incorruptible, par la violence, et si une portion ne s’avère 
          pas assez consistante, il demeure toujours possible de la saupoudrer 
          allègrement d’une pincée de romance légère. 
          Le dialogue, dans un western alimentaire, consistera en un commentaire 
          relativement négligeable sur les revirements dramatiques et sur 
          leur impact sur les personnages. Il dut être difficile, au début 
          des années 50, d’envisager un film du genre qui saurait 
          transcender son univers clos et offrir une réflexion dépassant 
          ses éléments les plus convenus. Et c’est alors que 
          débarqua High Noon de la grande diligence hollywoodienne.
          
          High Noon, film de facture classique entièrement au 
          service d’un scénario brillant de Carl Foreman, c’est 
          le moment où le western dépasse le domaine de la psychologie 
          qu’il a arpenté, non sans éclairs de génie, 
          depuis son entrée dans la respectabilité à la fin 
          des années 30, une oeuvre intelligente sur le devoir et le besoin 
          de fonctionner en collectivité solidaire dans laquelle l’action 
          constitue la dernière des priorités. Suite d’affrontement 
          verbaux francs et vibrants, c’est un film d’une intensité 
          dramatique surprenante mené par une distribution de haut calibre.
          
          Le jour de son mariage avec la jeune et belle Amy (Grace Kelly), le 
          shérif nouvellement retraité Will Kane (Gary Cooper) a 
          vent du retour imminent, par le train de midi pile, du criminel notoire 
          Frank Miller (Ian MacDonald), attendu à la gare par trois de 
          ses acolytes (dont un certain Lee Van Cleef, dans une de ses premières 
          apparitions). Coupant court à un départ précipité 
          par l’annonce de la nouvelle, Will décide de retourner 
          accomplir une dernière tâche, à savoir chasser ou 
          éliminer Miller ; car sinon, qui le fera? Au même moment, 
          le député spécial (Lloyd Bridges, excellent) remet 
          en question sa fidélité, tandis que son amante fièrement 
          mexicaine (Katy Jurado, autoritaire) prépare ses valises.
          
          Ce qui distingue d’abord ce récit pouvant sembler relativement 
          simpliste et convenu au premier abord, c’est l’unité 
          de temps restreinte, sans ellipses ou presque, qu’il commande. 
          Avec High Noon, Fred Zinneman réalise donc un exploit 
          considérable : l’un des premiers long-métrages en 
          temps « réel », une sorte d’ancêtre de 
          24 sans tout le remplissage (ceci n’étant pas de la télévision). 
          Ici, chaque minute compte, et pour renforcer ce sentiment, preuve ultime 
          d’une rigueur exceptionnelle, le réalisateur insère 
          à de nombreuses reprises des horloges, synchronisées à 
          quelques minutes près au minutage du film, à même 
          ses décors. Le film est donc monté au tournage, réglé 
          au quart de tour, et il en résulte une tension hautement prenante.
          
          Naturellement, comme c’est le cas pour toute production dramatique, 
          une dramatisation efficace ne vaut bien que ce qu’elle a à 
          nous raconter, et c’est certainement de là que le film 
          tire la plus grande part de son intérêt. High Noon, 
          c’est le récit d’une communauté divisée 
          dont la conception du bien et du mal varie selon les individus. Recherchant 
          désespérément des compagnons d’armes pour 
          l’affrontement décisif avec les bandits, Kane est bien 
          forcé de constater que Frank Miller possède beaucoup plus 
          de partisans qu’il ne l’aurait cru. Il y a complaisance 
          et suffisance au sein de la ville, et le film atteint un sommet dans 
          une longue scène centrale à l’église où 
          la parole est attribuée à la population, qui s’empresse 
          de faire le procès de la situation. Tout au long du film, les 
          arguments des différents partis sont traités équitablement, 
          sans mépris, mais il en ressort une conclusion essentielle : 
          sans solidarité, une société se condamne elle-même 
          à vivre dans la confusion (symbolisée par la bagarre absurde 
          entre Will et le jeune député). Apprenant avec étonnement 
          que Kane n’a su rallier d’autres compatriotes à sa 
          cause, un homme honnête et volontaire se désiste au dernier 
          moment de manière tout à fait compréhensible, et 
          laisse le héros à sa peur et à sa vulnérabilité 
          – variante très originale pour l’époque. Quelle 
          qu’en soit l’issue, la fusillade finale, bien que tout à 
          fait divertissante, devient chargée d’une amertume (déjà 
          annoncée par la mémorable chanson-thème, répétée 
          en leitmotiv) et même d’une ironie étrangement insoutenable, 
          la véritable valeur de l’héroïsme d’un 
          individu en action ayant été questionnée tout au 
          long du film.
          
          Fred Zinneman a déjà dit : « Il y a trois choses 
          importantes dans un film : le scénario, le scénario et 
          le scénario. » C’est donc sans surprise qu’il 
          nous livre une mise en scène dépouillée, concentrée 
          sur les personnages, leurs mots et leurs gestes. Les mouvements d’appareil 
          sont rapides et précis, les raccords entre les différents 
          lieux sont bien gérés et visuellement stimulants. L'utilisation 
          de l’occasionnel gros plan est fulgurante et toujours juste, faisant 
          résonner avec ampleur les bonnes répliques aux bons moments. 
          À ce titre, une Grace Kelly encore débutante étonne 
          par son jeu vibrant malgré son grand classicisme. Délayant 
          l’action ultime aussi longtemps que possible, Zinneman signale 
          l’arrivée du train par une séquence de montage qui 
          aura sans aucun doute inspiré plus que légèrement 
          Sergio Leone, et comble les attentes avec une fusillade au découpage 
          dramatique et excitant. Il s’agit d’un travail parfaitement 
          admirable, parce que tout à fait conscient, avec modestie, de 
          sa fonction d’illustration.
          
          Classique du western classique, High Noon se distingue néanmoins 
          des conventions du genre en accordant bien plus d’importance à 
          la discussion des enjeux d'une action significative et symbolique qu’à 
          l’action elle-même. L’opposant principal se fait étrangement 
          distant et devient la communauté elle-même, avec nuance 
          et justesse, transformant ce western en allégorie sociale et 
          politique de premier ordre. Film-phare de la dramatisation classique 
          par l’intensité de ses intrigues multiples, sa rigueur 
          formelle et les prestations exceptionnelles de ses interprètes, 
          c’est un spectacle intelligent, n’ayant rien à envier 
          aux œuvres des grands maîtres du genre, de la trempe de ce 
          que nous offriraient dès les années 60 les meilleurs westerns 
          révisionnistes. Un triomphe.
         
          
        
        Version française : 
Le Train sifflera trois fois
        Scénario : 
Carl Foreman, John W. Cunningham
        Distribution : 
Gary Cooper, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges, Grace 
        Kelly
        Durée : 
85 minutes
        Origine : 
États-Unis
        
        Publiée le : 
4 Juillet 2007