A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

HIGH NOON (1952)
Fred Zinnemann

Par Louis Filiatrault

Si tel s’avère le désir d’un auteur, le territoire du western a de quoi se prêter – et s’est très souvent prêté – à un festival d’action bête et simple. Tous les ingrédients sont à portée de main : un bandit se trouve toujours dans les parages afin de permettre à un représentant de la loi d’affirmer une fois de plus son parfait contrôle sur les situations de crise. Le règlement de comptes se fait par les armes, en espaces ouverts ou dans des rues rendues désertes le temps d’un affrontement. Le western, c’est la formule rêvée pour une canalisation de la vieille croyance en le rétablissement de l’ordre, pur, incorruptible, par la violence, et si une portion ne s’avère pas assez consistante, il demeure toujours possible de la saupoudrer allègrement d’une pincée de romance légère. Le dialogue, dans un western alimentaire, consistera en un commentaire relativement négligeable sur les revirements dramatiques et sur leur impact sur les personnages. Il dut être difficile, au début des années 50, d’envisager un film du genre qui saurait transcender son univers clos et offrir une réflexion dépassant ses éléments les plus convenus. Et c’est alors que débarqua High Noon de la grande diligence hollywoodienne.

High Noon, film de facture classique entièrement au service d’un scénario brillant de Carl Foreman, c’est le moment où le western dépasse le domaine de la psychologie qu’il a arpenté, non sans éclairs de génie, depuis son entrée dans la respectabilité à la fin des années 30, une oeuvre intelligente sur le devoir et le besoin de fonctionner en collectivité solidaire dans laquelle l’action constitue la dernière des priorités. Suite d’affrontement verbaux francs et vibrants, c’est un film d’une intensité dramatique surprenante mené par une distribution de haut calibre.

Le jour de son mariage avec la jeune et belle Amy (Grace Kelly), le shérif nouvellement retraité Will Kane (Gary Cooper) a vent du retour imminent, par le train de midi pile, du criminel notoire Frank Miller (Ian MacDonald), attendu à la gare par trois de ses acolytes (dont un certain Lee Van Cleef, dans une de ses premières apparitions). Coupant court à un départ précipité par l’annonce de la nouvelle, Will décide de retourner accomplir une dernière tâche, à savoir chasser ou éliminer Miller ; car sinon, qui le fera? Au même moment, le député spécial (Lloyd Bridges, excellent) remet en question sa fidélité, tandis que son amante fièrement mexicaine (Katy Jurado, autoritaire) prépare ses valises.

Ce qui distingue d’abord ce récit pouvant sembler relativement simpliste et convenu au premier abord, c’est l’unité de temps restreinte, sans ellipses ou presque, qu’il commande. Avec High Noon, Fred Zinneman réalise donc un exploit considérable : l’un des premiers long-métrages en temps « réel », une sorte d’ancêtre de 24 sans tout le remplissage (ceci n’étant pas de la télévision). Ici, chaque minute compte, et pour renforcer ce sentiment, preuve ultime d’une rigueur exceptionnelle, le réalisateur insère à de nombreuses reprises des horloges, synchronisées à quelques minutes près au minutage du film, à même ses décors. Le film est donc monté au tournage, réglé au quart de tour, et il en résulte une tension hautement prenante.

Naturellement, comme c’est le cas pour toute production dramatique, une dramatisation efficace ne vaut bien que ce qu’elle a à nous raconter, et c’est certainement de là que le film tire la plus grande part de son intérêt. High Noon, c’est le récit d’une communauté divisée dont la conception du bien et du mal varie selon les individus. Recherchant désespérément des compagnons d’armes pour l’affrontement décisif avec les bandits, Kane est bien forcé de constater que Frank Miller possède beaucoup plus de partisans qu’il ne l’aurait cru. Il y a complaisance et suffisance au sein de la ville, et le film atteint un sommet dans une longue scène centrale à l’église où la parole est attribuée à la population, qui s’empresse de faire le procès de la situation. Tout au long du film, les arguments des différents partis sont traités équitablement, sans mépris, mais il en ressort une conclusion essentielle : sans solidarité, une société se condamne elle-même à vivre dans la confusion (symbolisée par la bagarre absurde entre Will et le jeune député). Apprenant avec étonnement que Kane n’a su rallier d’autres compatriotes à sa cause, un homme honnête et volontaire se désiste au dernier moment de manière tout à fait compréhensible, et laisse le héros à sa peur et à sa vulnérabilité – variante très originale pour l’époque. Quelle qu’en soit l’issue, la fusillade finale, bien que tout à fait divertissante, devient chargée d’une amertume (déjà annoncée par la mémorable chanson-thème, répétée en leitmotiv) et même d’une ironie étrangement insoutenable, la véritable valeur de l’héroïsme d’un individu en action ayant été questionnée tout au long du film.

Fred Zinneman a déjà dit : « Il y a trois choses importantes dans un film : le scénario, le scénario et le scénario. » C’est donc sans surprise qu’il nous livre une mise en scène dépouillée, concentrée sur les personnages, leurs mots et leurs gestes. Les mouvements d’appareil sont rapides et précis, les raccords entre les différents lieux sont bien gérés et visuellement stimulants. L'utilisation de l’occasionnel gros plan est fulgurante et toujours juste, faisant résonner avec ampleur les bonnes répliques aux bons moments. À ce titre, une Grace Kelly encore débutante étonne par son jeu vibrant malgré son grand classicisme. Délayant l’action ultime aussi longtemps que possible, Zinneman signale l’arrivée du train par une séquence de montage qui aura sans aucun doute inspiré plus que légèrement Sergio Leone, et comble les attentes avec une fusillade au découpage dramatique et excitant. Il s’agit d’un travail parfaitement admirable, parce que tout à fait conscient, avec modestie, de sa fonction d’illustration.

Classique du western classique, High Noon se distingue néanmoins des conventions du genre en accordant bien plus d’importance à la discussion des enjeux d'une action significative et symbolique qu’à l’action elle-même. L’opposant principal se fait étrangement distant et devient la communauté elle-même, avec nuance et justesse, transformant ce western en allégorie sociale et politique de premier ordre. Film-phare de la dramatisation classique par l’intensité de ses intrigues multiples, sa rigueur formelle et les prestations exceptionnelles de ses interprètes, c’est un spectacle intelligent, n’ayant rien à envier aux œuvres des grands maîtres du genre, de la trempe de ce que nous offriraient dès les années 60 les meilleurs westerns révisionnistes. Un triomphe.




Version française : Le Train sifflera trois fois
Scénario : Carl Foreman, John W. Cunningham
Distribution : Gary Cooper, Thomas Mitchell, Lloyd Bridges, Grace Kelly
Durée : 85 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 4 Juillet 2007