HANDLE ME WITH CARE (2008)
          Kongdej Jaturanrasamee
          
          Par Mathieu Li-Goyette
          
          De nos jours, la notion d’une beauté intérieure 
          capable de rivaliser avec les défauts d’un physique compromettant 
          attire vite la foudre des matérialistes, des esthètes 
          du corps et des blondes stéréotypées. Dûment 
          exploité au cinéma sous le drame (Elephant Man), 
          la comédie (Nutty Professor, Shallow Hal) et même 
          le film de super-héros (la sélection y est abondante), 
          la superficialité ne semble avoir tiré son épingle 
          du jeu que sous la tutelle du maître de la beauté dissimulée 
          : David Lynch. Handle Me With Care, s’il suit véritablement 
          cette tendance, met en scène une recherche désespérée 
          de reconnaissance de soi chez un jeune Thaïlandais « armé 
          » de trois bras. Puisqu’il est phénomène de 
          foire, Kwan n’est reconnu que pour son deuxième bras gauche, 
          le reste de son corps demeurant aussi normal (banal?) que n’importe 
          quel autre. En route vers le sud de la Thaïlande pour y subir une 
          opération d’envergure visant à le séparer 
          de sa bien-aimée protubérance, Kwan sera amené 
          à partager son périple aux côtés d’un 
          jeune hippie chauffeur d’autobus et d’une femme de bonne 
          chaire choyée par la nature. C’est une invitation dans 
          l’univers d’humour douteux de Jaturanrasamee. Univers qui, 
          comme son héros hélas, fait bien de se vanter des anomalies 
          qu’on lui reproche puisqu’au fond, il reste, lui aussi, 
          bien habituel.
          
          Handle Me With Care s’offre comme un cheminement de ces 
          deux futurs amoureux à accepter d’être perçus, 
          étiquetés sous leurs principaux traits physiques (l’un 
          est maudit par son membre en surplus, tandis que l’autre est enviée 
          pour sa poitrine abondante). La faille majeure de la comédie 
          romantique réside justement dans cette paresse de remettre le 
          récit dans les mains d’une opposition méthodique, 
          d’une acceptation contraire et mutuelle que ses protagonistes 
          éprouvent. Elle ne pousse leur développement que par des 
          mésaventures relevant du déjà-vu et du gag sexuel 
          répété (les seins de la femme, la possibilité 
          d’une troisième main, etc.). Le rire reste majoritairement 
          en surface, ne plongeant dans la psyché de Kwan et de sa partenaire 
          qu’en l'occasion de scènes amoureuses. Si ces dernières 
          s’avèrent inventives de flirt inspirants, elles ne restent 
          enfin qu’éphémères face à l’ensemble 
          qui se prouve rapidement ancré à un noyau central bien 
          copieux. Atome mort autour duquel plus rien de convaincant ne semble 
          graviter.
          
          Avec ses maigres allures de road trip (le voyage ne supportant le symbole 
          qu’en vu du « cheminement »), ce Handle Me With 
          Care doit effectivement se faire prendre avec des pincettes; beaucoup 
          plus anodin qu’il n’en a l’air, il pourrait s’écrouler 
          sous trop de pression. Des rencontres avec des poissons et des fruits 
          difformes, un troisième bras devenant mort-vivant et le sauvetage 
          in extremis de trois pauvres innocents (idée bien plaisante au 
          départ), le scénario semble s’essouffler vainement 
          dans une tentative de secourir ce que la première partie du récit 
          tentait de mettre en place. Où l’on croyait pouvoir interpréter 
          le membre en plus comme un prétexte à faire évoluer 
          une romance originale qui dénoncerait ces injustices, on s’aperçoit 
          plutôt que le cinéaste en fait vulgairement l’enjeu 
          principal : le personnage souhaite réellement se faire opérer 
          et il réussit! Débarrassé de ses angoisses, il 
          se permet de rejoindre (dans un épilogue rose bonbon à 
          souhait) sa bien-aimée en plein coeur d’un champ fleurissant 
          d’agriculture, endroit du renouveau, de la nouvelle souche. En 
          créant un enjeu qui ne cesse de tourner autour d’une absurdité, 
          Handle Me With Care refuse d’atteindre un certain degré 
          d’esprit qui aurait bien pu être l’intérêt 
          même d’une comédie romantique autrement bien insignifiante 
          et flouée de ses objectifs.
          
          Au minimum, la touche de Kongdej Jaturanrasamee s’y retrouve encore. 
          Bien qu’il se soit offert ici un projet de commande, le réalisateur 
          de Midnight my Love (2005) ne déçoit pas dans 
          ses prouesses à mettre en scène le bras mutant de Kwan. 
          Se contentant parfois d’un technicien hors-champ pour y reproduire 
          les bons mouvements, d’autres fois en usant d'effets numériques, 
          l’arnaque est bien huilée et ne peine aucunement à 
          se prouver crédible. Les comédiens appliquent d'ailleurs 
          avec brio une interprétation classique du genre sans prendre 
          des raccourcis normalisés en se servant de la comédie 
          romantique comme exercice de pince sans rire; ils se trouvent visiblement, 
          eux-mêmes, dans un univers où ils ont peine à y 
          croire (réflexions qui nous parviennent dans un dialogue de la 
          pensée sur fond noir). Bien que satisfaisant le temps d’un 
          visionnement, le style très quelconque de la photographie ramène 
          aussitôt l’envie d’assister à un étalement 
          d’idées bien plus psychédéliques (compte 
          tenu du sujet!). Tout comme le gimmick du film, elle revient 
          à être trop ordinaire quand l’extraordinaire s’y 
          serait pourtant si bien prêté; elle ne tend pas le piège 
          souhaité au spectateur imprudent d’être au-dessus 
          de ses attentes. Comme Kwan le fait remarquer si souvent: « Je 
          souhaite de tout coeur être normal, être comme tout le monde 
          ». C’est une demande très honorable, mais dont on 
          aurait très bien pu se passer de la préméditation 
          appliquée.
         
          
        
        Version française : -
        Version originale : 
Kod
        Scénario : 
Kongdej Jaturanrasamee
        Distribution : 
Kiatkamol Latha, Supaksorn Chaimongkol
        Durée : 
119 minutes
        Origine : 
Thaïlande
        
        Publiée le : 
28 Juillet 2008