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GRINDHOUSE (2007)
Robert Rodriguez
Quentin Tarantino

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Les cinémas ne sont plus ce qu'ils étaient. Les petites salles de quartier, balayées par l'apparition de multiplex hideux qui quant à eux se vident, sont converties en églises ou en centres sportifs. Le « cinéma » pur, ce par quoi on entend pellicule et diffusion publique, s'éteint lentement; nos modes de vie atomisés et sédentaires, tout comme les lois du marché, semblent vouloir l'étouffer pour de bon. Recroquevillés dans nos salons, nous avons substitué le grand écran par nos télévisions, ce qui implique immanquablement une relation nouvelle à l'image-film. Mais la salle elle-même a changé: envahie par des publicités de tous acabits ou au contraire embourgeoisée au point d'en devenir intimidante, la salle de cinéma est en quelque sorte architecte de sa propre déchéance. Avec Goodbye, Dragon Inn, le cinéaste chinois Tsai Ming-liang traitait sur le mode poétique de cette agonie; les gradins, vides, assistaient à la dernière représentation d'un classique de King Hu. Quoique le ton soit radicalement différent, c'est la même nostalgie d'une époque révolue qui est articulée par le Grindhouse du duo Tarantino/Rodriguez. Rendant hommage aux fameux programmes doubles des salles « grindhouse » des années 70, spécialisées dans la projection de films d'exploitation, ce projet d'un iconoclasme admirable célèbre plus encore qu'un genre cinématographique l'esprit d'un lieu.

Bien plus qu'un film, Grindhouse est un événement visant à envahir la salle de cinéma moderne pour mieux la convertir, l'instant d'une vraie « bonne affaire » qui parle le langage du porte-feuille, en un nouvel environnement: la publicité ringarde d'un film fictif complètement débile, Hobo With A Shotgun, s'immisce à même les bandes annonces dites sérieuses alors qu'un gérant d'estrades imaginaire s'excuse du fait que certaines bobines des films que l'on s'apprête à nous présenter ont été perdues. Jamais l'anonymat cru de ces complexes impersonnels que nous fréquentons ne nous a paru plus évident, justement parce que les deux réalisateurs s'efforcent par tous les moyens artificiels mis à leur disposition de le sublimer. On est presque surpris que l'Odorama et les lunettes 3D, auxquelles Rodriguez a par ailleurs déjà eu recours, aient manqué le rendez-vous. D'emblée, l'impact de Grindhouse est lié à cette notion d'une expérience totale conçue en opposition directe à la banalisation du film dans un monde où les images abondent; c'est dire que sa durée de vie réelle est incertaine, une fois le produit final vidé de son sens par sa diffusion en format DVD. Que restera-t-il alors de ce programme double?

Planet Terror, de l'imprévisible tâcheron mexicain Robert Rodriguez, n'est en rien un hommage exact aux films de zombie de Lucio Fulci ou aux mythiques et très mauvais splatters d'Hershell Gordon Lewis. Au contraire, le film tient du fantasme notamment par le rythme effréné auquel il se déploie; fidèle à son habitude, Rodriguez nous livre en fait un film d'action sur les stéroïdes qu'il sert cette fois à la sauce gore pour satisfaire les attentes préétablies du grand public se dirigeant vers Grindhouse sans connaissance préalable du genre qu'il honore. Mais, à notre grande surprise, l'excessif Planet Terror fonctionne autrement mieux que les malhabiles From Dusk Till Dawn ou Once Upon A Time In Mexico qui ont fait la gloire du cinéaste. Ici, les facilités parfois aberrantes du style Rodriguez sont justifiées par un contexte thématique favorable aux frasques qu'il implique. Sa stupidité juvénile incroyable, cette fascination pour les seins et les fusils qu'il a toujours arboré avec fierté, est ici bonifiée par sa portée méta-cinématographique boiteuse: son film juteux à souhait devient exposition délirante des plus bas instincts du cinéphage moyen, servant en un festival sans relâche d'explosions organiques et métalliques la définition caricaturale du divertissement. Dans ce contexte, le fait que sa caméra reluque les courbes généreuses de la plantureuse Rose McGowan et les visages dégoulinants de ses infectés grouillants tient presque de la blague post-moderne. Sauf qu'il est fort probable que Rodriguez n'en soit pas conscient.

Quant à lui, Quentin Tarantino nous pond avec Death Proof un hommage révisionniste beaucoup plus posé et pensé au cinéma d'exploitation des années 60 et 70. Si Planet Terror masquait sous les traits d'un personnage de « femme forte » l'étalage de fantasmes purement mâles, la contribution de Tarantino s'amuse à l'instar des deux volets de Kill Bill à orchestrer une authentique vengeance féministe à même le milieu éminemment masculin du film de genre. Castré pour les besoins de la cause, Kurt Russell n'est plus l'archétype viril et macho qu'avait érigé John Carpenter dans les années 80 avec des films tels qu'Escape From New York et The Thing. Devenu une épave névrosée, il est par le fait même relégué au rang de méchant faible et primitif par une époque dans laquelle il est en tout point un anachronisme. Russell est l'incarnation de toutes les préoccupations de Tarantino, son passé de cascadeur renvoyant - une réplique ingénieuse le souligne - au thème central de Grindhouse qu'est cette nostalgie pour un « âge d'or » très relatif du cinéma.

Aussi bavard qu'à l'habitude, Tarantino s'entiche en quelque sorte de la narration déficiente des films d'exploitation classiques pour aller habiter ses temps morts des tics formels bien connus qui ont fait le succès de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction. Le réalisateur de Jackie Brown a toujours été un auteur moderne prisonnier d'un habit post-moderne, ses personnages définis par une myriade de référents culturels populaires évoluant dans un univers auto-critique au-delà de son aspect auto-référentiel. À ce niveau, le cinéaste se gâte vraiment avec Death Proof; la myriade de renvois et de citations s'aborde presque à la manière d'une liste d'épicerie, la forme du collage s'appropriant tous les espaces cinématographiques possibles, du dialogue à la forme en passant par les murs tapissés d'affiches. Tarantino s'institue constamment en tant qu'autorité absolue sur le bon goût, cherchant de manière obsédée à définir le « cool ». Mais il se cache derrière cet enthousiasme exubérant de cinéphile - et de mélomane, autre aspect essentiel de son cinéma - un authentique désir de remise en question des codes et conventions qui le distingue de son camarade Rodriguez, simplement hédoniste.

Ainsi, Death Proof se lit comme une suite de clins d'oeil - aucune prise de position, que des poses prises - qui ne se limite pourtant pas à l'émulation simple des « films de chars » des années 70 tels Vanishing Point ou Dirty Marry Crazy Larry qu'il cite explicitement. Tous les stratagèmes sont bons pour souligner une «conscience du film» constante chez les protagonistes. À cet égard, c'est un regard complice qu'échangent Kurt Russell et l'auditoire à mi-chemin qui vend le mieux la mèche: le carnage, enfin, va débuter. En faisant se languir le spectateur venu pour un bain de sang, Tarantino se permet avec son public une certaine relation d'antagonisme. Ce sont les vrais amateurs de son style qui se délecteront, tandis que les autres resteront déstabilisés et déçus par la structure étonnante de son film. Élan ludique admirable au sein d'une filmographie consacrée au concept du « plaisir cinéphilique » pur, Death Proof n'est que moteurs hurlants, dialogues mordants et divertissement sans calories. Et, comble du bonheur, la poursuite automobile finale n'a rien à envier à celle de Bullit...

Si il y a chez les personnages de Tarantino « conscience du film », Grindhouse en tant que totalité immisce une « conscience du lieu » à même l'esprit de son public. Le cinéma, ici, ne se définit plus simplement par l'objet-film. Il est immanquablement associé à tout un rituel et à un espace particulier. Dans ce contexte, les fausses bande-annonces jouissives que signent Rob Zombie, Eli Roth, Rodriguez et Edgar Wright ne sont plus que compléments mais bien partie intégrante du spectacle. Dans cette optique, Grindhouse pousse avec ingéniosité une certaine vision du cinéma, en tant qu'art inévitablement dépendant du commerce et de la notion d'événement. Somme toute, il importe peu que Rodriguez nous livre un divertissement endiablé mais vain et que Tarantino assume avec une assurance formidable le mode mineur. Ce qui compte, c'est que Grindhouse ait su un instant créer la commotion au sein de nos habitudes de consommation d'image. Que le sens de ce geste soit neutralisé par son inévitable mise en marché pour le confort de votre foyer, cela va de soi...




Version française : Grindhouse
Scénario : Robert Rodriguez, Quentin Tarantino
Distribution : Rose McGowan, Freddy Rodriguez, Kurt Russell, Zoe Bell
Durée : 191 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 29 Mai 2007