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THE GOOD GERMAN (2006)
Steven Soderbergh

Par Alexandre Fontaine Rousseau

En temps de crise, le cinéma américain a toujours eu tendance à se définir par rapport à sa propre histoire; il est sain pour une telle institution de démanteler périodiquement ses mythes, mais aussi de renouer par le biais de cette introspection critique avec son « âge d'or ». Cinéaste imprévisible et véritable touche-à-tout, Steven Soderbergh affiche ouvertement son affection pour le cinéma hollywoodien de la belle époque depuis longtemps. À l'instar de plusieurs autres réalisateurs majeurs de sa génération, notamment Quentin Tarantino, Soderbergh donne parfois l'impression d'être né quelques décennies trop tard; l'excellent Ocean's Eleven n'aspirait qu'à raviver l'esprit de pur divertissement des suspenses d'antan, désir que The Limey comblait pour sa part sur un ton autrement plus sérieux. La démarche, qu'il pousse plus loin encore avec The Good German, peut sembler à première vue essentiellement post-moderne. Car, après tout, les univers qu'il crée se bâtissent principalement à partir d'une série de références au passé et d'archétypes cinématographiques bien ancrés dans un bassin culturel commun. Sauf que si The Good German prend forme en s'articulant par rapport à d'autres films, dont l'inévitable Casablanca de Michael Curtiz ainsi que le classique de Carol Reed The Third Man, son hommage s'avère dans les faits fondamentalement révisionniste; il renvoie à l'actuelle « reconstruction » de l'Irak et aux soixante années d'impérialisme ayant fait suite aux événements ici racontés...

Dans les ruines d'un Berlin ravagé par la Seconde Guerre mondiale, Américains et Soviétiques se disputent la distribution du monde; alors que la Conférence de Potsdam bat son plein, les autorités militaires mènent quant à elles une enquête de fond sur les anciens collaborateurs du régime nazi. La ville rongée par le remords baigne dans un climat de méfiance absolue, comme si déjà le rideau de fer de la Guerre froide l'avait divisée en deux. Suite à un exil forcé par l'éclatement des hostilités, le capitaine Jake Geismer (George Clooney) revient dans la capitale allemande pour retrouver son ancienne flamme Lena (Cate Blanchett) aux bras d'un jeune soldat magouilleur (Tobey Maguire); mais c'est le mari de celle-ci, assistant d'un savant nazi notoire, qui monopolise pour sa part l'attention des Russes et des Américains. Plongé contre son gré dans une sordide affaire de meurtre et de corruption, Geismer va découvrir que son gouvernement cache de sombres intérêts personnels derrière ses nobles intentions et ses discours vibrants sur la liberté.

D'emblée, The Good German impressionne par la qualité de son imitation formelle: une musique insistante qui souligne la moindre variation de l'action, cette direction photo léchée qui relève d'un style rétro dont l'exactitude étonne. Esthétiquement, le pari de Soderbergh est en tous points relevé et le Film noir sur fond de guerre des années 40 est bel et bien ressuscité. L'élégant couple Clooney/Blanchett n'est pas étranger à cette réussite, renvoyant sans contredit au couple Bogart/Bergman de Casablanca; l'actrice australienne livre d'ailleurs une prestation magistrale qui allie la retenue à la gravité avec une aisance époustouflante. Toutefois, c'est l'impressionnante culture cinématographique, étayée par un Steven Soderbergh plus que jamais cinéaste cinéphile, qui retient l'attention. Dépassant le simple pastiche technique, The Good German accentue le cynisme acerbe du Film noir en conférant notamment à son discours une dimension politique fort pertinente. Tout comme dans The Third Man, le chaos engendre le profit; mais, comme l'a démontré l'Histoire, il n'y a pas que les contrebandiers qui ont profité de la guerre.

Mêlant enjeux politiques et romantiques à même une intrigue fort complexe, The Good German voit peut-être un peu trop grand pour son propre bien. Le scénario, un peu lourd, n'a pas la diabolique efficacité de ses modèles; mais Soderbergh semble s'intéresser à la substance morale du Film noir autrement plus qu'aux éléments de suspense qui lui sont associés. Ce pessimisme à l'égard de ce qui constituerait « la nature humaine » doublé de l'omniprésence du thème de la fatalité, du passé auquel il est impossible d'échapper, nous ramène à une phase du cinéma classique où le destin condamnait l'individu. Sauf que le Geismer de Clooney, non seulement victime de la toile de mensonges qui se tisse autour de lui, est aussi dupé par des illusions qu'il a lui-même érigé pour se protéger de la vérité. En ce sens, le film de Soderbergh démonte les complots propres au genre, paranoïaque, pour leur substituer une réflexion plus lucide sur ses principales obsessions.

Si, en tant que film de genre, The Good German laisse quelque peu à désirer, il s'agit d'une admirable réussite en tant que discours sur le film de genre. L'approche assez cérébrale que préconise ici Steven Soderbergh va aliéner le public espérant un pur bonbon dans la veine d'Ocean's Eleven, tandis que les cinéphiles auxquels il s'adresse lui en voudront de ne pas avoir su surclasser des classiques consacrés tels que The Third Man ou Out of the Past de Jacques Tourneur. Toutefois, le spectateur qui saura faire fi de ces attentes démesurées découvrira un hommage à la fois enthousiaste et intelligent à une période fascinante de l'histoire du cinéma américain. S'il procure quelques plaisirs immédiats, c'est sans contredit à la lumière d'une analyse en profondeur que The Good German s'avère le plus satisfaisant. Contrairement à Chinatown, auquel sa démarche s'apparente, ce Good German ne sera jamais sacré chef d'oeuvre du genre noir. Mais, à une époque où le cinéma de studio hollywoodien se ronge la queue sans relâche, cette critique formulée par le biais du passé éclipse sa propre nostalgie chaleureuse pour se démarquer principalement par son discours d'actualité. Le tour de force mérite d'être souligné.




Version française : L'Ami allemand
Scénario : Paul Attanasio, Joseph Kanon (roman)
Distribution : George Clooney, Tobey Maguire, Cate Blanchett, John Roeder
Durée : 105 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 29 Mai 2007