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THE GIRL NEXT DOOR (2007)
Gregory Wilson

Par Jean-François Vandeuren

Au début de son fracassant Blue Velvet, David Lynch prenait un bain de soleil dans les rues d’un petit coin de paradis comme nous n’en retrouvons que chez nos voisins du Sud. Évidemment, cette superbe carte postale assortie à un fond musical des plus enchanteurs ne servait en fait qu’à dissimuler une réalité beaucoup plus sordide – la vermine se terrant sous une pelouse d’un vert pourtant éclatant. À sa façon, The Girl Next Door de Gregory Wilson reprend sensiblement la même image, revisitant l’ère immaculée des années 50 pour déterrer l’un des récits les plus troublants de l’histoire des États-Unis. Ainsi, si en surface le voisinage où habite le jeune David semble tout à fait normal, sous terre, la cave sombre et lugubre de ses voisins immédiats est sur le point de devenir le théâtre d’un crime d’une rare cruauté. Ce cauchemar sera celui de Meg et de sa sœur cadette. Suite au décès de leurs parents, les deux frangines seront forcées d’habiter chez leur tante Ruth et leurs trois cousins. Pour des raisons nébuleuses, la mère on ne peut plus permissive de la maisonnée se montrera plutôt sévère à l’endroit de ses deux nouvelles locataires, en particulier l’ainée qui deviendra vite son bouc émissaire. Les choses déraperont toutefois d’une manière inimaginable lorsque la tension entre les deux filles et leur famille d’accueil atteindra son paroxysme. Sous le regard approbateur de leur mère, les trois frères soumettront alors Meg à un jeu de torture physique et psychologique qui dépassera vite l’entendement.

Aussi inconcevable que cela puisse paraître, le présent effort est inspiré d’une histoire vraie ; celle de la jeune Sylvia Likens qui fut séquestrée, torturée, violée et assassinée par une femme et une bande d’adolescents d’un quartier de l’Indiana au milieu des années 60. Un crime pour le moins sordide dont s’inspira l’écrivain Jack Ketchum pour écrire le roman The Girl Next Door, que l’on crut longtemps inadaptable pour le grand écran. Nous comprenons d’ailleurs pourquoi lorsque cette histoire insensée se met véritablement en branle dans cette lecture tout aussi dérangeante du cinéaste américain Gregory Wilson. Ce dernier préconise par contre une approche artistique beaucoup plus modeste et dramatique qu’horrifiante et graphique. Wilson nous laisse ainsi constamment imaginer le pire plutôt que de nous présenter explicitement les monstruosités commises à l’égard de Meg lors de cette démonstration de violence d’un sadisme sans précédent. La tension psychologique deviendra alors de plus en plus palpable entre la figure de bonté et d’innocence que représente David (interprété de manière parfaitement nuancée par le jeune Daniel Manche), à laquelle le cinéaste nous pousse évidemment à nous identifier, et les pratiques barbares de ses voisins et camarades qui n’hésiteront pas à lui faire goûter à la même médecine s’il ose se mêler de leurs affaires. Le réalisateur capitalise d’ailleurs d’une manière particulièrement brutale sur ce sentiment de malaise et d’impuissance total face à l’autorité maternelle de Ruth qu’il implante sournoisement dans l’esprit du spectateur afin de lui faire perdre tous ses moyens.

Il faut dire que les forces symbolique et dramatique du film de Gregory Wilson reposent presque entièrement sur les épaules du personnage de Ruth Chandler, interprétée de façon magistrale par l’actrice Blanche Baker. Cette femme, visiblement désabusée, demeurant plus souvent qu’autrement de glace, bien installée sur son trône, se servira de son statue de parent pour inculquer une série de vertus pour le moins douteuses à ses fils et certains de leurs comparses. Ruth tirera ainsi les ficelles de ce jeu grotesque auquel se prêteront plusieurs jeunes du quartier avec un détachement des plus irrationnels, exposant leur esprit malléable à une figure d’autorité pour le moins excessive, mais pourtant sympathique à leur sens, à un stade de leur développement où les notions de bien et de mal n’ont pas encore été complètement définies. Le cinéaste américain joue par contre de finesse en nous rappelant constamment que Ruth est en soi issue d’un mode de pensée dans lequel la femme était encore considérée comme étant inférieure à l’homme. Une idée dont Ruth ne parviendra d’ailleurs jamais à se dissocier et qui expliquera aussi pourquoi sa mauvaise fortune avec les hommes se transforma peu à peu en une profonde haine pour les femmes en général. The Girl Next Door remanie alors d’une manière extrêmement ingénieuse la figure de la mère castratrice en redirigeant littéralement le pouvoir d’handicap de celle-ci vers la gente féminine qu’elle croit désireuse de corrompre les nombreuses figures masculines peuplant cet univers qu’elle dirige d’une main de fer, mais dont elle demeure malgré tout prisonnière.

Il est évidemment difficile de mettre le point final à une histoire aussi invraisemblable. Ce sera notamment le cas pour David alors que les nombreux succès professionnels de ce dernier ne lui auront jamais permis d’oublier les événements tragiques de l’été 1958. Heureusement, le cinéaste américain ne se sert pas du sort de son protagoniste pour nous faire la morale, mais plutôt pour nous amener à nous questionner sur la façon dont nous aurions agi dans de telles circonstances. En particulier dans un monde où l’on nous encourage bien souvent à ne jamais nous mêler des affaires de nos voisins. La violence à la fois physique et psychologique dont il est question dans The Girl Next Door arrache évidemment en un rien de temps le spectateur à son confort d’observateur passif pour l’affliger des mêmes sentiments d’impuissance et de culpabilité avec lesquels le jeune David est appelé à composer. De son côté, Blanche Baker donne au cinéma l’un des monstres les plus marquants de son histoire grâce à une performance éblouissante dont la retenue et la froideur ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles ayant autrefois caractérisé la mythique infirmière Ratched qu’interprétait Louise Fletcher dans le One Flew Over the Cuckoo’s Nest de Milos Forman. D’un point de vue aussi rationnel qu’émotif, l’expérience que nous propose Gregory Wilson se veut si intense et le malaise qui s’en suit si profond qu’il serait réellement surprenant que plusieurs désirent la vivre une seconde fois. Une réticence qui, dans le cas présent, marque pourtant la réussite en tout point de cette adaptation troublante, mais néanmoins sobre et terriblement intelligente, de l’oeuvre de Jack Ketchum.




Version française : -
Scénario : Daniel Farrands, Philip Nutman, Jack Ketchum (roman)
Distribution : Blythe Auffarth, Daniel Manche, Blanche Baker, Graham Patrick Martin
Durée : 90 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 30 Septembre 2007