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        LA FILLE DU RER (2009)André Téchiné
 
 Par Mathieu Li-Goyette
 
 Bien que l'on souhaiterait en croire le contraire à lire les 
          textes manifestes des Cahiers du cinéma remontant aux années 
          50, le « cinéma de papa » n'a pas été 
          vaincu par la nouvelle vague (heureusement). En effet, ce « cinéma 
          de la qualité française » subsiste encore à 
          travers l'effort de cinéastes qui, passé l'apogée 
          de leur carrière, ont rejoint (par la force de leur art et du 
          temps) le rang d'un classicisme qu'ils ont eux-mêmes établi. 
          C'est dans cette catégorie bien large, mais pourtant bien ciblée, 
          que j'inscrirais l'oeuvre d'André Téchiné. Puisqu'avec 
          sa Fille du RER, le cinéaste français s'attaque 
          aux problématiques des médias de masse, mais établit 
          surtout une recherche d'identité de plus en plus révélatrice 
          d'une société en crise de nerfs. C'est grâce à 
          un mécanisme classique qu'il crée ce cercle vicieux: une 
          jeune fille, prisonnière d'un certain monde médiatisé 
          et conditionné aux idées généralistes, se 
          voit poussée au mensonge - appelons ça de l'auto-défense 
          - avant d'être lamentée sur la place publique par les médias 
          qui l'auront façonnée. Basé sur un fait vécu 
          qui relate l'histoire d'une femme qui a trafiqué une agression 
          antisémite dans le train du RER (qui a depuis été 
          adapté sous la forme d'une pièce de théâtre 
          par Jean-Marie Besset qui signe aussi le scénario), La fille 
          du RER reprend quelques uns des thèmes de prédilection 
          du cinéaste (quête identitaire, donc quête du vrai) 
          auxquels ce dernier appose une esthétique souvent classique, 
          jamais bête, pour faire éclater les perspectives des nouvelles 
          pistes médiatiques. Lors de précieuses scènes où, 
          par exemple, les superpositions d'images et d'échelles de plans 
          viennent mettre en relation des éléments dramatiques (un 
          clavardage superposé aux polices d'écriture, un regard 
          anxieux doublé d'un filet de sang translucide), le pragmatisme 
          dans lequel Téchiné fonde sa réflexion ne parvient 
          cependant jamais à atteindre les sommets dramatiques que son 
          récit semble finalement détruire par sa propre sagesse.
 
 En fait, il est convenu de parler ici d'un exposé didactique 
          (cinématographique) sur les caractéristiques de l'utilisation 
          des médias de masse dans notre société contemporaine. 
          En deuxième partie du récit, les conséquences viendront 
          clore le récit dans une démarche de thèse, antithèse 
          et synthèse (par un étiquetage bien clair sous les titres: 
          « 1. Circonstances » et « 2. Conséquences ») 
          qui permettra d'en venir à la conclusion que le réel ennemi 
          du citoyen français type est le système dans lequel il 
          est conditionné et dans lequel la prise de position identitaire 
          (qui s'accompagne, dans La fille du RER, d'un panorama médiatique 
          sur la violence antisémite) s'avère du domaine de l'impossible. 
          En faisant suite à ce jugement sur la société dans 
          lequel il mêle les cartes au moyen d'un croisement pervers entre 
          des personnages venant de tous horizons qui se retrouveront liés 
          par un admirable jeu de connexions lors de la résolution du scandale, 
          Téchiné établit une relation de professeur-élève 
          entre le réalisateur et son spectateur bien vigilant, rarement 
          diverti. Faisant suite aux premières introductions, La fille 
          du RER s'enferme dans un jeu d'interprétation réaliste 
          et extrêmement bien dosé entre le réalisme tributaire 
          de la tradition cinématographique française et un cynisme 
          servi par des individus dépossédés de leurs repères. 
          Ainsi, Catherine Deneuve (Louise) y interprète la vieille mère 
          dépassée par les actes de Jeanne (Émilie Dequenne), 
          la menteuse qui mettra sur le dos d'un riche avocat juif de Paris, Samuel 
          Bleistein (joué par Michel Blanc, collaborateur fiable et fidèle 
          du cinéaste) qui tire les ficelles d'un récit qui, des 
          « circonstances » (qui ne le concernent pas) aux « 
          conséquences » (qui le concernent) témoigne par 
          sa narration sélective des coupables du complot médiatique.
 
 Comme la croyance populaire le veut, c'est l'individu qui fait la première 
          page qui fait la nouvelle. Il participe au débat de la journée 
          dans tous les cafés du coin, des bancs d'écoles et des 
          cabinets administratifs. Se faisant, le fait de donner à Jeanne 
          la couverture médiatique revient à lui donner les lauriers 
          de la victoire, car bien qu'elle subira procès au terme du mensonge, 
          nous sommes en mesure - et c'est ici la plus grande force de Téchiné 
          - de faire la part des choses grâce à une manipulation 
          bien consciencieuse des événements. Si la famille juive 
          de l'avocat est montrée la moitié du temps lors du volet 
          « circonstances », c'est tout d'abord pour établir 
          un certain climat à la fois mondain, à la fois hypocrite 
          dans lequel les persécutés Juifs de la télévision 
          font opposition aux richissimes personnages qui déambulent à 
          tout va. Ils flânent donc au risque de brimer la jeunesse d'un 
          jeune garçon de famille qui, troublé, forcé à 
          un rite religieux qu'une moitié de sa famille juge bien superficielle, 
          reste la dernière victime que La fille du RER fera. 
          En quête d'un père qu'il n'a pas vu depuis belle lurette, 
          enchaîné à une mère conservatrice et à 
          un grand-père (l'avocat) mondain, ce Nathan est confronté 
          à la sexualité de Jeanne lors d'une dernière nuit 
          de réflexion. Entraînée par sa mère qui connaît 
          l'avocat en question, la jeune femme ira subir le procès de ses 
          mensonges une soirée durant pour enfin atterrir dans le refuge 
          rupestre de l'enfant. Bien qu'aucun lien narratif les relie, bien qu'ils 
          aient évolués en parfaite discordance entre la soumission 
          à un code religieux et le laisser-allé dans une histoire 
          d'amour qui a mal tourné pour Jeanne, le « couple » 
          à l'écran dégage une sensualité toute spirituelle.
 
 Enlacé dans le drame qui les portera jusqu'à l'expiation 
          (de l'enfance ou du mensonge, donc de l'atteinte d'une certaine maturité), 
          Téchiné filme comment deux êtres sont obligés 
          de devenir adultes et en deviennent responsables sous peine de périr. 
          Obligés d'adhérer à un système déficient 
          (le premier volet « circonstances » nous l'aura prouvé 
          pour Jeanne, le deuxième l'aura fait pour Nathan) qui crée 
          ses propres martyrs. Obligé de satisfaire une famille qui, elle, 
          n'a pas résisté au système (la vieille mère 
          qui écoute les bulletins d'informations passés depuis 
          les premières scènes du film, l'autre mère qui 
          veut sauver la face vis-à-vis son ex-mari à la fois nouvel 
          amant, etc.) Pris dans ce maelström, le contact amoureux leur est 
          toutefois interdit: puritanisme et bonne tenue oblige, car une dizaine 
          d'années les séparent. Au terme de la nuit, Jeanne aura 
          avoué son mensonge et écopera de la prison alors qu'ayant 
          survécu au rite, le jeune homme accomplit le désir des 
          parents et sème les germes de la haine qui emboîtera rapidement 
          le pas à l'amour juvénile qu'il leur consacrait. Dans 
          cet « après-film », Téchiné nous dit 
          que Nathan subira probablement le même sort que Jeanne, qu'il 
          sera lui aussi mené à se défendre contre la même 
          inaction qui aura provoqué sa répulsion. C'est cette abjection 
          qui mutile, qui provoque un besoin d'attention pas tant masochiste que 
          désespéré. À la recherche d'un semblable, 
          les médias de masse semblent être la meilleure agence de 
          rencontre permettant ce cri du coeur en quête de « se faire 
          comprendre ». Unis à travers la fresque parisienne que 
          Téchiné a tissé, c'est le sort des deux jeunes 
          individus qui, malgré une implication trop tardive et un cheminement 
          explicatif beaucoup trop sinueux replace La fille du RER dans 
          l'étymologie de son titre. Une (quelconque) fille s'est fait 
          attaquer dans un RER. L'événement est banal, sans identification 
          et sans attachement. Malgré tout, le danger est ressenti chez 
          une population aux aguets du scandale et d'un despotisme où la 
          masse (de laquelle les médias ont su soutirer toute individualité) 
          s'attaque sans relâche aux gens en détresse. Reste maintenant 
          à savoir si l'exposé cohérent, mais léthargique, 
          aura inculqué un peu de nouveauté à ses étudiants 
          attentifs.
  
        Version française : - 
        Scénario : Odile Barski, Jean-Marie Besset, André 
        Téchiné 
        Distribution : Émilie Dequenne, Michel Blanc, Catherine 
        Deneuve, Mathieu Demy 
        Durée : 105 minutes 
        Origine : France 
        Publiée le : 18 Septembre 2009 |