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LA FILLE COUPÉE EN DEUX (2007)
Claude Chabrol

Par Alexandre Fontaine Rousseau

C'est l'histoire d'un vieux bourgeois lubrique qui s'acoquine d'une nymphette petite bourgeoise que convoite un jeune bourgeois riche et blasé. Car il y a lutte des classes même entre bourgeois, marxisme oblige. Oui, chers lecteurs, c'est d'un nouveau Claude Chabrol dont il est question ici et, comme de raison, c'est le même film que la dernière fois - et que celle d'avant. Voilà qui soulève une question, seule et totale, résumant notre désarroi: pourquoi? Pourquoi s'entête-t-on à nous parler du « dernier film du chef de file de la Nouvelle Vague » alors que Chabrol nous réchauffe encore une fois la même très vieille rengaine? Pourquoi, aussi, le réalisateur français persiste-t-il à nous raconter, toujours plus mal, cette même histoire? Pourquoi, finalement, distribue-t-on encore à grand renfort de tambours et de trompettes ce cinéma là alors que d'autres plus courageux restent prisonniers de l'Hexagone?

La raison, toute simple, c'est qu'il existe encore un public pour ce genre de vestige d'une autre époque; un public qui mord à chaque réplique prévisible et réagit à chaque coup de théâtre invraisemblable de cette nouvelle « tradition de qualité » qu'aurait sans doute décrié Truffaut s'il avait été jeune aujourd'hui. La fille coupée en deux est un film tiède, cadré sans regard, à la fois ennuyé et ennuyant. S'il est techniquement bien fait, c'est sans inspiration aucune. Alors que le cinéma, lui, on le cherche encore sans trouver.

Jeux de pouvoir, sexualité manipulatrice et infidélités passionnées. Sur le fond, les clichés chabroliens ne sont pas dénués de leur part de vérité sociale et humaine. Mais, à force d'être répétés, ils ont perdu leur sens et leur auteur s'est installé avec une sorte de complaisance dans un univers dont la réalité est de plus en plus théorique et rhétorique. Il n'y a plus de vitriol, plus de mordant, dans ce propos cynique: seule subsiste l'habitude du geste, reproduit pour plaire aux convertis de longue date. Le moule qu'emploie Chabrol n'est pas mauvais en soi mais il a le défaut fatal d'être devenu un moule, ce qui fait de son auteur le Mark Rothko du drame de moeurs. Numérotés, peut-être ses films offriraient-ils une réflexion d'exception sur l'anonymat de la production française contemporaine. Mais, en attendant cette ultime satire, La fille coupée en deux n'est rien de plus qu'un Chabrol de plus. Il n'est pas méchant, simplement redondant.

Peut-être, par ailleurs, manque-t-il justement à La fille coupée en deux de ce «méchant» qui va de pair avec le genre de critique sociale duquel il se réclame. Plutôt gentil, le portrait brossé de cet univers carnassier frôle la connivence. La caméra de Chabrol, lorsqu'elle se positionne finalement autrement qu'en bête observatrice des événements qui se déroulent, épouse les petites perversions de ses personnages avec un plaisir initié que partage le spectateur-voyeur. Elle s'immisce au sein des bourgeois au profit du bourgeois, qui regarde finalement le film à la manière d'un miroir reflétant ses travers pour mieux en faire l'apologie. Voilà pourquoi les références littéraires sont creuses, et tiennent du tape-à-l'oeil érudit; elles ne servent qu'à codifier les dialogues afin de cibler un public spécifique, charmé par cette intelligence de surface.

Toutefois, ce sont de vieilles ficelles dramatiques qui sont tirées en mouvements automates derrière tous ces renvois à la « bonne » culture classique. Les artifices narratifs sont multipliés non pas parce qu'ils ont une raison d'être profonde, mais plutôt parce que Chabrol semble incapable d'imaginer un scénario autrement. Riche en mélodrame, La fille coupée en deux s'agite pour satisfaire le besoin de fiction de son public et de son auteur. Mais les coups de théâtre - invraisemblables, tel que mentionné plus tôt - sont surtout inutiles; ils condamnent le film au royaume du faux, du spectacle BCBG sans grande substance. Chabrol s'y amuse avec des comédiens devenus pantins: il encourage son nouvel acteur fétiche Benoît Magimel à s'enfoncer dans la caricature du gosse riche et troublé, reluque Ludivine Sagnier d'un oeil à la limite pervers et place ses meilleures répliques dans la bouche de François Berléand. Parce que le vieux bouc, chez lui, a toujours raison.

Au fond, le problème de Chabrol est d'ailleurs d'avoir « compris » le monde et, logiquement, d'offrir un cinéma de réponses plutôt qu'un cinéma de questions. L'art est une quête, que ce soit de beauté ou de sens; Chabrol, pour sa part, ne fait plus que la démonstration de ce qu'il a trouvé. Contrairement à ceux de son ancien collègue Éric Rohmer, son conte moral n'est marqué du sceau d'aucune incertitude, d'aucun doute. En se répétant, Chabrol dit que tout a été dit. Mais, en fait, c'est surtout lui qui n'a plus rien à dire. La fille coupée en deux fait état de la crise de l'absence de crise d'un cinéma du bon goût et de la provocation tempérée. L'objectif n'y observe plus qu'une cour peuplée par des marionnettes qui renvoient toutes à Chabrol par une sorte de nombrilisme auto-référentiel qui semble, plus que jamais, inconscient.




Version française : -
Scénario : Claude Chabrol, Cécile Maistre
Distribution : Ludivine Sagnier, Benoît Magimel, François Berléand, Mathilda May
Durée : 115 minutes
Origine : France

Publiée le : 20 Octobre 2007