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DOBERMANN (1997)
Jan Kounen

Par Pierre-Louis Prégent

Le cinéma d’action a connu de meilleurs jours diront certains, consternés devant l’insipidité des films d’action hollywoodiens des dernières années. On pense à tous ces navets qu’on croirait produits dans la même usine que les romans Arlequin et on se voit obligé de retourner à notre bonne vieille trilogie Die Hard. En 1997, toutefois, nous est expédié de la France un film de Jan Kounen intitulé Dobermann, où une star montante en France tient le rôle principal : Vincent Cassel.

Personne n’est à l’abri des préjugés assez courants en Amérique du Nord insinuant que les films français sont « plates » et « ennuyeux ». C’est que les films français ont parfois tendance à moins mettre l’accent sur les effets spéciaux, les cascades spectaculaires, les armes à gros calibre, etc. Eh bien, si Dobermann était un clown, il viendrait solidement entarter cette idée préconçue. Le film de Kounen est une critique/satire de l’excès présent dans le cinéma d’action hollywoodien et est agrémenté de multiples et savoureuses touches françaises, le tout dans un emballage où on retrouve tous les éléments gagnants de la formule américaine à la puissance dix.

On suit l’histoire d’une bande de voyous féroces mais en quelque sorte sympathiques qui s’amusent à braquer des banques de temps à autres, question de faire un peu de pognon. Au milieu de ce gang, on retrouve le fameux Dobermann (Vincent Cassel), criminel recherché par la police, ainsi que sa sublime mais fatale demoiselle (Monica Bellucci). Du côté des opposants, on retrouve un flic complètement détraqué et barbare dénommé Cristini (Tchéky Karyo) qui n’a qu’un seul et unique but en tête : éliminer le fameux malfrat et sa fidèle bande.

Voilà une histoire simple. Trop simple? Pas dans ce cas-ci. Contrairement aux films Américains, où on tente souvent tant bien que mal d’insérer des éléments complexes ou des intrigues parallèles question de justifier quelques explosions de surplus, Kounen, lui, conserve le concept de base du film d’action : l’affrontement. Oui, Dobermann n’est qu’un combat entre les policiers et les bandits (et notez bien que je n’ai pas parlé de bons ou de méchants, puisque cette notion est absente dans le film), mais on a misé ici sur des éléments qu’on néglige souvent dans ce genre de cinéma. Tout d’abord, les personnages. On a droit à une vaste palette extrêmement colorée de personnages, tous plus fous, sadiques, brutaux, speedés, et caricaturaux les uns que les autres. Ils sont tous là; le travesti, le jeune pervers, le mafieux brutal et orgueilleux, le gentil et lourdaud barbu qui ne vit que pour son petit chien qu’il adore, le prêtre qui semble si sage mais qui dissimule une grenade dans sa Bible et récite des prières morbides après avoir descendu un ennemi, la femme du Dobermann, une séduisante et agressive dame souffrant de surdité, un commissaire de la police peureux, un autre policier sadique et complètement camé, etc. Puis, parmi tous ces hurluberlus à perruques, cigares et armes automatiques, on retrouve le protagoniste, magnifiquement interprété par Vincent Cassel, qui, dans ce monde où l’excès est roi, vient tempérer les choses.

Le second côté fort intéressant de Dobermann, toutefois, est son aspect satirique et parodique. Certes, on peut interpréter le film comme une avalanche de scènes d’action et de fusillades hyper speedées qui se prend au sérieux, mais ce serait là une grave erreur. On a ici droit à un spectacle où tout est excessif : violence, drogue, musique techno, coups de feu, attitude de dur, explosions, poursuites, personnages, etc. Et cet excès, on le reconnaît, est très souvent marqué dans les films d’action d’Hollywood et commence à envahir également le cinéma européen. On nous donne ici une surdose de tout cela, et on fait exprès. Il s’agit d’une caricature, d’une espèce de bande dessinée sur pellicule, d’un espèce de « thrash » savamment administré dont le but reste purement critique. D’ailleurs, le caractère humoristique parfois assez cru de plusieurs scènes laisse clairement voir l’aspect de parodie. Il y a notamment les deux premières scènes, la première étant une animation tridimensionnelle où un chien vêtu d’un manteau de cuir et armé d’un pistolet tire dans la « lentille « de la caméra, qui tombe par la suite au sol pour laisser voir un jet d’urine éclabousser le générique. Puis, on enchaîne avec le baptême du Dobermann, bébé, qui reçoit de son parrain un superbe magnum chromé. Il y a aussi quelques scènes où, Cristini, complètement enragé et drogué, fusil d’assaut en main et énorme cigare au bec prononce des phrases hyper clichées en anglais, question pour lui d’avoir l’air dur et question pour Kounen de critiquer l’américanisation du cinéma français.

Kounen est un excellent réalisateur qui fait preuve d’une inventivité impressionnante : il utilise le principe du « split-screen » de façon absolument remarquable, il trouve des transitions fort originales entre les scènes et offre un ensemble d’un dynamisme et d’une énergie constants grâce à sa maîtrise des mouvements de caméra. Plusieurs scènes dans le film sont vraiment hallucinantes, je pense notamment à celle où Cristini quitte la vie, dans une espèce de séquence de rêve comateux qui a, d’après moi, volé la place de Blade Runner pour ce qui est de la « meilleure scène de mort de l’ennemi ». Côté scénario, Joël Houssin a écrit ici un film simple mais dont les dialogues sont très souvent mémorables. Les personnages ont chacun leur personnalité distincte, ce qui n’est pas peu dire dans un film d’action. L’interprétation est impeccable. Vincent Cassel joue son rôle à merveille et Tchéky Karyo nous offre une performance absolument exceptionnelle. J’ai rarement vu un « méchant » si convaincant. Monica Bellucci a quelques excès de jeu peut-être, mais cela reste discutable, puisque le film en tant que tel s’avère être une critique de l’excessivité et que son rôle, comme celui du reste de la distribution, est de reproduire un personnage exagéré.

Bref, un film où il n’y a pas réellement de bons ni de méchants, mais plutôt des fous et des très fous. Malgré ce qu’on pourrait penser à première vue, Dobermann est un film qui fait appel à l’intelligence. Si on analyse le comportement du protagoniste et qu’on le compare à celui des autres personnages, le film, lors de son point culminant (climax, en d’autres mots), est d’une force et d’un symbolisme très développés. Et, encore une fois, rappelons que le tout est extrêmement divertissant. Dans un univers caricatural hyper violent, tout ce beau monde se poursuit, se tire dessus et se saigne à blanc pour finalement arriver à une conclusion où la prise de conscience de tout cet excès se fera non seulement chez les personnages, mais aussi chez le spectateur, qui devrait conséquemment comprendre l’essence même de ce film. Éducalcool devrait s’en servir pour faire passer son message : « la modération a bien meilleur goût ». Voilà donc un sacré film d’action et une très efficace satire du cinéma d’action américain assaisonné de la sauce française d’un sacré cuistot! Un vrai régal!




Version française : -
Scénario : Joël Houssin
Distribution : Vincent Cassel, Monica Bellucci, Tchéky Karyo
Durée : 103 minutes
Origine : France

Publiée le : 9 Novembre 2003