DISTRICT 9 (2009) 
          Neill Blomkamp 
           
          Par Jean-François Vandeuren 
           
          La petite histoire de District 9 commença étrangement 
          avec le projet d’adaptation cinématographique de la très 
          lucrative franchise de jeux vidéo Halo. Agissant à 
          titre de producteur exécutif, Peter Jackson engagea le cinéaste 
          sud-africain Neill Blomkamp - qui avait déjà été 
          acclamé pour la série de publicités qu’il 
          avait réalisée à l’occasion de la sortie 
          du troisième chapitre de la trilogie - pour assurer la mise en 
          scène de l’effort. Malheureusement, des opinions divergentes 
          entre les studios et Microsoft finirent par miner la production. Croyant 
          que Blomkamp méritait tout de même d’avoir la chance 
          de réaliser un premier long-métrage, Jackson et ses acolytes 
          acceptèrent de financer une expansion de son court-métrage 
          de 2005 intitulé Alive in Joburg. Le réalisateur 
          nous amène ainsi à Johannesburg où un immense engin 
          spatial flotte en permanence au-dessus de la cité depuis 1982. 
          Alors qu’aucune trace de vie ne sembla provenir de l’appareil, 
          une équipe fut envoyée à son bord pour effectuer 
          un premier contact avec la civilisation extra-terrestre. Ce qu’elle 
          découvrit est un équipage au bord de l’agonie. Ne 
          sachant trop quoi faire de ces visiteurs, la communauté internationale 
          décida de remettre le sort de ceux-ci entre les mains d’une 
          multinationale ayant beaucoup plus à coeur de découvrir 
          les secrets de leur armement que leur bien-être à proprement 
          parler. Le seul problème, c’est que l’arsenal fonctionne 
          de manière biologique et ne répond qu’au code génétique 
          des étrangers. Mais lors d’une opération de relocalisation, 
          un employé de la firme, Wikus Van De Merwe (Sharlto Copley), 
          entrera en contact avec un fluide qui modifiera son ADN et lui fera 
          prendre peu à peu l’apparence de l’un des voyageurs 
          de l’espace. Ce dernier deviendra du coup le bien le plus précieux 
          de la compagnie qui cherchera par tous les moyens à tirer profit 
          de cette mutation. Évidemment, le plan de la corporation échouera 
          et Wikus réussira à prendre la fuite…  
           
          Pour l’une des rares fois où le cinéma traite de 
          l’arrivée hypothétique de « petits hommes 
          verts » sur la planète bleue, ce ne sont pas les visiteurs 
          qui sont en position de pouvoir dans District 9, et ce, même 
          si ceux-ci possèdent une longueur d’avance considérable 
          sur l’être humain sur le plan technologique. L’idée 
          de départ du film de Neill Blomkamp est en soi tout ce qu’il 
          y a de plus originale - pour ne pas dire carrément géniale. 
          Sa mise en scène se traduira d’ailleurs par un premier 
          acte absolument fascinant au cours duquel le réalisateur et sa 
          coscénariste Terri Tatchell mettront en place avec une force 
          de frappe et une intelligence sidérantes les bases d’une 
          métaphore particulièrement grinçante de la politique 
          d’apartheid. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si 
          le présent effort se déroule en Afrique du Sud, alors 
          que son titre se veut une référence directe au sixième 
          district de Cape Town où des dizaines de milliers d’habitants 
          furent forcés d’abandonner leur demeure pour des raisons 
          essentiellement raciales au cours des années 70. Cela ne prendra 
          en soi qu’une simple visite au coeur du ghetto en question pour 
          prendre conscience du climat de haine, d’extrême pauvreté 
          et de violence qui y règne en permanence. La transformation de 
          Wikus forcera alors ce dernier à travailler avec l’un de 
          ces étrangers qui se dira apte à le ramener à son 
          état originel pour autant qu’il puisse retourner sur sa 
          planète. Une relation qui amènera le protagoniste à 
          voir l’envers de la médaille et à comprendre les 
          positions d’une population envers laquelle il s’était 
          toujours montré arrogant. Il s’agit là d’une 
          morale évidemment assez classique - mais bien construite - sur 
          l’acceptation et la coopération entre individus que tout 
          séparait au départ. Wikus fera ainsi preuve de plus en 
          plus d’ouverture alors que ses motivations foncièrement 
          égoïstes laisseront progressivement la place à un 
          réel désir d’aider son « compatriote ». 
           
          Mais là où le cinéaste sud-africain tire véritablement 
          son épingle du jeu, c’est au niveau de l’esthétisme 
          alors que ce dernier réservera à ce récit déjà 
          assez particulier un traitement visuel tout aussi insolite. Blomkamp 
          s’appropriera d’une part la fameuse approche du faux documentaire 
          popularisée au cours des dernières années et la 
          poussera jusqu’à ses limites afin de conférer toute 
          la crédibilité et tout le réalisme nécessaires 
          à l’exposition de cette histoire qui, d’une certaine 
          façon, n’a absolument rien de fictive. La progression dramatique 
          de District 9 est d’ailleurs le fruit d’une recherche 
          on ne peut plus exhaustive, explorant la situation pour le moins difficile 
          des réfugiés d’une manière à la fois 
          crue et sensible tout en la transposant de façon tout à 
          fait convaincante dans le contexte d’un récit de science-fiction. 
          Le premier tiers du film se veut d’ailleurs un formidable collage 
          de prises de vue imitant celles propres au reportage télévisuel, 
          au film d’archive, à l’entrevue et même à 
          la caméra de surveillance, illustrant ainsi d’une façon 
          tout ce qu’il y a de plus morbide et effrayante ce moment où 
          les relations entre les deux espèces n’auront jamais été 
          aussi tendues. L’expérience apportera toutefois son lot 
          de confusion au départ alors que Blomkamp tentera de combler 
          certains troues narratifs par l’entremise de divers plans tournés 
          à la manière d’une simple fiction. Le tout sera 
          évidemment beaucoup moins problématique par la suite alors 
          que le film utilisera presque exclusivement cette forme de mise en scène 
          - pour des raisons évidentes - à partir du moment où 
          Wikus ira se réfugier dans le neuvième district. Mais 
          c’est aussi à ce moment que l’effort perdra un peu 
          de sa verve sur le plan scénaristique alors que District 
          9 prendra soudainement les traits d’un thriller d’action 
          qui, même si d’une redoutable efficacité, se révélera 
          parfois un peu trop convenu. 
           
          Mais malgré ses fautes, le film de Neill Blomkamp brille de par 
          son audace et la pertinence de son propos dans un genre qui aura vu 
          sa substance être souvent éclipsée par des préoccupations 
          d’ordre essentiellement spectaculaire au cours des dernières 
          années. Ainsi, malgré un changement de cap tout de même 
          assez important d’un point de vue narratif, le réalisateur 
          et sa complice auront toujours fait de leur discours leur première 
          priorité, illustrant cette mise en situation déjà 
          peu rassurante de la manière la plus sale qui soit tout en s’acharnant 
          à montrer l’être humain sous son jour le plus obscur. 
          Le duo édifie alors un savant plaidoyer sur la condition de ces 
          réfugiés qui, malgré leur immense force physique, 
          seront continuellement écrasés sous le poids de l’oppression, 
          de l’ethnocentrisme et du mépris le plus total dont leurs 
          hôtes feront preuve à leur égard. District 9 
          ouvrira à cet effet diverses pistes de réflexion à 
          savoir si un tel comportement serait simplement envisageable si leurs 
          instigateurs prenaient en considération l’éventualité 
          d’un revirement de situation. Dans la peau d’un personnage 
          pris entre deux mondes, Sharlto Copley livre une performance absolument 
          foudroyante, lui qui réussira à nous rendre sympathique 
          à la cause de cet individu pourtant tout ce qu’il y a de 
          plus méprisable. Mais le coeur de l’oeuvre se retrouvera 
          en soi dans la relation entretenue par son complice venu de l’espace 
          et son fils, que Blomkamp parviendra à rendre étonnamment 
          prenante, et ce, malgré les nombreuses contraintes dramatiques 
          avec lesquelles il devait composer. Le cinéaste propose ainsi 
          une mise en scène multipliant les prouesses techniques et scénaristiques 
          à laquelle nous pourrions seulement reprocher de ne pas toujours 
          arriver à soutenir l’effort d’écriture avec 
          lequel il avait réussi à nous renverser au cours des quarante 
          premières minutes.  
         
          
         
        
        
        Version française :  District 9
        Scénario :  Neill Blomkamp, Terri Tatchell
        Distribution :  Sharlto Copley, Jason Cope, Nathalie Boltt, Sylvaine 
        Strike
        Durée :  112 minutes
        Origine :  Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud
        
        Publiée le :  17 Août 2009
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