DEPARTURES (2008)
          Yôjirô Takita
          
          Par Mathieu Li-Goyette
          
          Fondamental à l'expression artistique, le concept de la mort 
          et de l'anéantissement de l'être fait éclater la 
          conscience humaine. En lui dévoilant le néant chez l'autre, 
          il remet en question les origines (« tu es poussière et 
          tu retourneras poussière ») et altère profondément 
          le regard que l'un se fait du monde et de ses absurdités. Si 
          le cinéma est l'art où nous avons le plus souvent vu cette 
          mort à l'oeuvre, il n'en demeure pas moins qu'il est aussi l'art, 
          par son instantanéité d'attraction, qui lui est le plus 
          rattaché et le moins apte à s'en défaire et de 
          la décomposer. Plus précisément obtus dans le cinéma 
          japonais, la mort est un effet de contraste violent rappelant à 
          la fois le seppuku, les doubles suicides passionnés et le traumatisme 
          d'après-guerre. Parce que singulièrement moins imposant 
          avant le cataclysme nucléaire, la mort dans l'esthétique 
          du cinéma japonais chevauche les relations sexuelles en délimitant 
          au sens large la superficie d'un pathos névrosé et violent.
          
          Pourtant d'une douceur unique, le lauréat d'un Oscar pour le 
          meilleur film en langue étrangère et le gagnant du Prix 
          des Amériques à la dernière édition du Festival 
          des Films du Monde aborde le sens du départ de l'être cher 
          via les cérémonies du Soleil levant en faisant fit du 
          passé troublant arboré par son pays. Et quelques 60 ans 
          après les lettres de noblesses de l'humanisme d'après-guerre 
          japonais, le détachement et le tact avec lesquels l'événement 
          est approché a de quoi soulager et faire sourire. Réalisateur 
          relativement connu au Québec depuis la distribution de La 
          Famille Yen (1988), Yôjirô Takita parvient à 
          signer une tranche de vie agréable qui, l'exotisme oblige, a 
          attiré bien plus d'attention et d'espoirs que ce dont le film 
          est réellement composé. C'est-à-dire un drame de 
          moeurs dans les règles de l'art, linéaire dans sa structure, 
          classique dans sa présentation et à la fois empreint d'un 
          nihilisme tragique qui provoquera autant le rire qu'une illumination 
          des plus minimales.
          
          Takita s'intéresse ici aux cérémonies de l'embaumement 
          traditionnel japonais (nokanshi) et au service de mise en cercueil 
          exécuté devant la famille du défunt. Bizarre lieu 
          de réconciliation avec la mort où un parfait inconnu tâte, 
          lave et enveloppe sous les yeux des proches la dépouille de l'être 
          aimé, la cérémonie en soit pousse le réalisateur 
          à s'attarder longuement sur la symbolique du deuil et de la survivance 
          du mort dans l'esprit des gens. Inhabité, le cadavre blanc reprend 
          vie par le talent du défaitiste Daigo Kobayashi, ancien violoncelliste 
          qui, pour tenter de nourrir sa femme, fait application pour un emploi 
          qui s'avérera par surprise être l'assistant d'un maître 
          de nokanshi (le jeu de mots « departures » 
          jouant avec la publicité du journal prise pour une agence de 
          voyage; le nokanshi est un autre type d'agence de voyage). 
          S'il était important de parler du traitement de la mort dans 
          le cinéma d'après-guerre japonais, c'est parce que celle-ci 
          servit de mesure contrapuntique pour les rebelles de la nouvelle vague 
          nippone. La mort étant devenue une ponctuation synonyme au sexe, 
          le nouveau cinéma japonais, évoluant parallèlement 
          entre le documentaire hyper-réaliste et ce cinéma allait 
          logiquement s'orienter vers des formes hybrides comme le cinéma 
          gore et le film d'horreur qui, toujours dans le but de se détacher 
          de la masse, allait porter encore plus loin la notion des avant-gardistes 
          des années 60.
          
          À part des grands courants du cinéma japonais, Takita 
          est plutôt porté vers un retour au naturalisme et aux comédies 
          « inoffensives » à caractère moraliste. Entre 
          le travail de Ozu et celui de Kore-Eda, le metteur en scène affiche 
          la plus grande des neutralités devant l'absolue thématique 
          de son sujet. Simplement là, à retranscrire les divers 
          cheminements vers l'accomplissement du deuil, vers l'éclatement 
          et la reconstitution du couple moderne japonais, l'accalmie générale 
          de son film provient d'un malentendu encodé dans les moeurs du 
          pays. Puisque peut-être difficile à saisir, les tabous 
          de la société japonaise partagent à la fois leur 
          part d'exotisme et de réelle dramaturgie pour le spectateur occidental. 
          Le drame de Daigo est d'abord celui de vivre au prix des morts. De les 
          côtoyer, les toucher, les laver, les maquiller et pour sa femme 
          et pour les tenants de la tradition nippone hautement réservée 
          sur les dépouilles et le monde des esprits, voilà une 
          façon bien impie de gagner sa vie.
          
          Rappelant certainement par moments le génial Six Feet Under 
          d'Alan Ball, Departures dose la comédie noire et le 
          drame familial à l'aide d'une écriture conventionnelle 
          qui alterne les scènes comme de simples fragments morbides laissés 
          à eux-même. C'est à dire que l'opus de Takita n'est 
          pas le film sensationnel que l'Académie a défendu au prix 
          d'ignorer le Entre les murs de Cantet et il n'est pas non plus 
          le joyau des cinémas nationaux de l'an 2008 (à en croire 
          le FFM). Après tout, il est grand temps de ne plus se laisser 
          berner par l'exotisme japonais, par la singularité d'une cérémonie, 
          certes, décrite avec la précision du documentaire, mais 
          qui ne dépasse que rarement le sens conventionnel qui lui est 
          donné. Intéressant par la dynamique qu'il met en place 
          dans un milieu inconnu, le scénario de Kundo Koyoma se complaît 
          dans un schéma mélodramatique prenant place dans un bureau 
          funéraire où travaillent Daigo, une secrétaire 
          peu intéressante et le génial maître Ikuei (le grand 
          Tsutomu Yamazaki, époustouflant) qui prend sous son aile le nouveau 
          venu avec la sagacité et l'ironie imperceptible du vieux mentor.
          
          Renforcé par quelques trouvailles poétiques intéressantes 
          (la plus charmante étant celle où Kobayashi joue du violoncelle 
          dans un champ isolé: un nouvel artiste en paix avec sa propre 
          existence), Departures dévoile un raisonnement simpliste 
          sur l'acceptation de la mort et sur le traitement des dernières 
          volontés. Devant être pris en contexte de la société 
          pour laquelle le film à été réalisé, 
          il est tout de même difficile de ne pas y trouver un intérêt 
          anecdotique dans lequel une réalisation assurée et des 
          interprétations le plus souvent jouées justes trahissent 
          l'humilité d'un projet bêtement moraliste. Bien que le 
          tout soit appuyé par une filiation intéressante entre 
          le père disparu de Daigo et le père spirituel du jeune 
          homme, l'alternance n'est pas exploitée à sa juste valeur. 
          En manque de figure paternelle, l'apprenti trouve chez son maître 
          la force et l'enseignement pour affronter les difficultés de 
          l'existence, pour tenir tête à une femme parfaite sous 
          laquelle se cache un caractère conservateur et égoïste. 
          Récit d'apprentissage, Departures est un film généralement 
          léger, exécuté avec un immense soin de réalisme 
          et de minutie qui plaira pour l'exactitude de sa présentation 
          d'une société tout en rituels et cérémonies 
          qui – les récents prix décernés au film le 
          confirment – ne semble guère cesser d'émerveiller 
          les standards du cinéma mondial.
        
          
         
        
        
        Version française : -
        Version originale : 
Okuribito
        Scénario : 
Kundo Koyama
        Distribution : 
Masahiro Motoki, Tsutomu Yamazaki, Ryoko Hirosue, 
        Kimiko Yo 
        Durée : 
130 minutes
        Origine : 
Japon
        
        Publiée le : 
19 Août 2009