DELTA (2008) 
          Kornél Mundruczó 
           
          Par Louis Filiatrault 
           
          Outre les fresques historiques de Miklos Jancso et quelques oeuvres 
          isolées, on retient surtout du cinéma hongrois les films 
          lents et sombres de Béla Tarr. On connaît aussi du pays 
          son affection pour les alcools blancs et son taux de suicide comptant 
          parmi les plus élevés du monde. Cela suffit-il à 
          façonner des attentes passablement connotées de noir face 
          à n'importe quel produit nous en arrivant? Dans tous les cas, 
          ce n'est certes pas un film comme Delta qui nous fera questionner 
          nos préjugés. Film non dépourvu de lumière 
          mais néanmoins ouvertement dépressif, ce troisième 
          long métrage du jeune Kornél Mundruczó se démarque 
          d'abord par une esthétique remarquable et par... bien peu d'autres 
          choses. Récompensé à Cannes, le film est en effet 
          marqué par la retenue, mais aussi par une certaine facilité 
          handicappant à la fois sa dénonciation de l'intolérance 
          ambiante et son discours psychologique. Ceci dit, à défaut 
          d'être dense, il n'en demeure pas moins plutôt envoûtant. 
           
          Le scénario de Delta tient sur une anecdote fort simple, 
          composée d'une accumulation de détails et de revirements 
          clairs. Traversant le Danube pour visiter ses parents qu'il n'a pas 
          vus depuis longtemps, un jeune homme apprend qu'il a une soeur d'un 
          autre père. Subissant au quotidien l'oppression de ce dernier, 
          ladite soeur manifestera un désir d'évasion et décidera 
          de soutenir le héros dans sa construction d'une maison au milieu 
          d'un delta tranquille. Si bien que, ponctuée d'un traumatisme 
          sexuel grave, une liaison plutôt mal vue fleurira entre les deux 
          protagonistes. Ce synopsis, s'il ne relève en rien du jamais 
          vu, s'avère tout de même suffisamment frais pour être 
          digne d'intérêt. Mais aussi habile soit-il dans la conduite 
          de son récit, Mundruczo ne parvient pas exactement à compenser 
          le minimalisme par une substance ajoutée ; il donne à 
          voir des scènes souvent très belles, mais aussi sans grande 
          résonance, étouffées par le mutisme et par une 
          agaçante propension à diriger le regard. 
           
          En effet, dans son infiltration d'un contexte social reclus (bien esquissé 
          par une poignée de scènes de taverne), puis dans son exploration 
          d'une sexualité hors du commun, le réalisateur n'a pas 
          l'audace poétique d'un Carlos Reygadas. Son film n'atteint pas 
          non plus la tristesse latente d'une oeuvre plus populaire comme Brokeback 
          Mountain. Quelque part entre la pudeur à l'asiatique et 
          une vision terre à terre proprement slave, l'ascétisme 
          du traitement nuit quelque peu à l'intention universelle du scénario. 
          À commencer par une direction d'acteurs sobre au possible (tirant 
          tout de même d'Orsolya Tòth une interprétation touchante), 
          le film établit un climat de désarroi intériorisé 
          tangible mais un peu appuyé, comme fier de ses états d'âme. 
          C'est peut-être un peu pourquoi la scène de viol centrale, 
          en plus d'être soudaine, apparaît plutôt mal filmée, 
          artificiellement tenue à distance. C'est aussi pourquoi les scènes 
          finales, qui se devraient assez cathartiques, manquent de force dramatique 
          et nous laissent en contemplation de tableaux sidérants, un peu 
          béats devant les réels enjeux à l'oeuvre. La toute 
          dernière séquence à elle seule résume la 
          vacuïté flottante d'une oeuvre bien intentionnée, 
          mais peut-être un peu trop enfermée dans sa préciosité. 
           
          Néanmoins, s'il demeure plutôt unidimensionnel, Delta 
          se laisse regarder avec intérêt, pour l'invention et la 
          beauté de sa mise en scène (marquée de travellings 
          magnifiques, de motifs musicaux prenants, d'ouvertures de cadres surprenantes, 
          et ainsi de suite). La scène débouchant sur le premier 
          contact sensuel entre les protagonistes témoigne notamment d'une 
          retenue originale et efficace, tandis que le delta titulaire où 
          se trame la majorité de l'action s'avère doté d'un 
          lyrisme naturel étonnant, parfaitement approprié à 
          cette fable tenue à l'écart du monde moderne. Mais exactement 
          comme pour les héros de cette histoire, l'idylle sera de courte 
          durée, et n'aura pas la chance de plonger vers des eaux plus 
          passionnantes ou même plus troubles. Poétique, Delta 
          s'achève en laissant des impressions agréables soutenues 
          par un fil ténu, vaguement agité par des penchants mélodramatiques 
          légitimes mais remarquablement peu éloquents. Il n'en 
          demeure pas moins marqué d'une signature singulière et 
          sensible, se livrant à un exercice compétent tout en laissant 
          espérer mieux. 
         
          
         
        
        
        Version française : - 
        Scénario :  Yvette Biro, Kornél Mundruczó
        Distribution :  Félix Lajkó, Orsolya Tóth, 
        Lili Monori, Sándor Gáspár
        Durée :  92 minutes
        Origine :  Allemagne, Hongrie
        
        Publiée le :  15 Octobre 2008
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