DARK CITY (1998)
          Alex Proyas
          
          Par Jean-François Vandeuren
          
          Au coup de minuit, dans une cité qui ne connait plus la lumière 
          du jour, tout s’arrête brusquement. Les voitures s’immobilisent, 
          la populace tombe subitement endormie et pendant ce calme des plus anormaux 
          en plein centre urbain, un mystérieux psychiatre aide une race 
          extra-terrestre sur le déclin cherchant à percer le secret 
          de la race humaine pour assurer sa survie. Toutefois, alors que tous 
          s’affèrent à rapidement fignoler la cité, 
          trafiquer les mémoires, changer les identités, un homme 
          devant assumer le lourd fardeau d’un tueur en série se 
          réveille alors qu’on lui imprégnait sa nouvelle 
          personnalité. Amnésique et désormais doté 
          de facultés plutôt hors du commun, il se retrouvera errant 
          dans la noirceur de ce monde à la recherche de lui-même.
          
          Bien que ce troisième film du cinéaste Alex Proyas n’est 
          pas fait long feu en salles récoltant moins de quinze millions 
          aux guichets en Amérique du Nord, il faut souligner qu’il 
          s’agissait d’un désir plutôt risqué 
          que de reprendre en plus de remodeler la formule et l’allure d’un 
          cinéma vieux de plus de soixante ans. Désir qui n’eut 
          peut-être pas l’effet escompté au départ, 
          mais ceux qui ont bien voulu s’aventurer intentionnellement ou 
          par pur hasard au cœur de cette cité obscure ont vite compris 
          que malgré l’absence de succès parmi les primes, 
          Proyas a remporté son pari haut la main. Faisant suite au succès 
          instantané qu’a connu son adaptation d’une noirceur 
          ahurissante de la bande dessinée The Crow, Proyas renoue 
          ici avec sensiblement la même approche esthétique gothique 
          qui avait marqué ce précédent opus, y agençant 
          d’une manière des plus astucieuses une mixture visuelle 
          à mi-chemin entre le film noir des années 40 et les tous 
          premiers élans sérieux de la science-fiction, voire particulièrement 
          l’influence des décors visionnaires quoique fort lugubres 
          de Metropolis.
          
          Dans cet ordre d’idées, le récit de Dark City 
          se base en soit sur l’articulation d’une enquête qui 
          en suit principalement trois, soi une de type classiquement policière 
          où l’inspecteur minutieux et solitaire tente d’élucider 
          une histoire de meurtres dont bien des pièces du puzzle lui échappent 
          encore, le cas du personnage principal voulant connaitre la réelle 
          essence de sa personne et...celle du psychiatre qui croit bien avoir 
          trouver en ce dernier la clé qui leur permettra de s’échapper 
          de la cellule mise sur pieds par ces étrangers. Par contre, l’aspect 
          le plus fascinant du film de Proyas demeure la façon dont il 
          aborde la philosophie entourant l’essence de l’être 
          humain. Parallèlement (et ironiquement) avec la quête menée 
          par cette race extra-terrestre sur le bord de l’extinction, Proyas 
          élabore des pistes menant vers une alliance ou une dissociation 
          entre l’essence de la mémoire et des souvenirs d’un 
          individu et le tempérament de ce dernier. À savoir, sommes-nous 
          le résultat d’une série d’évènements 
          passés? Ou le fruit de nos actions et de nos réactions 
          face au présent émane-t-il de quelque chose d’encore 
          plus innée?
          
          C’est en ce sens que le personnage confus d’avant plan de 
          John Murdoch tentera de découvrir s’il aurait été 
          réellement apte à assumer la mémoire à laquelle 
          il a échappé en mettant ses instincts à l’épreuve. 
          Proyas laisse d’autant plus place à un imaginaire tortueux 
          mais magistral pour illustrer les changements que subissent la cité 
          et sa population lorsque le temps ne s’écoule plus. D’un 
          couple d’ouvriers devenant en une simple piqure de richissimes 
          acteurs de la vie mondaine, aux appartements se transformant en de gigantesques 
          manoirs, en passant par les immeubles poussant comme la seule forme 
          de végétation présente en ces murs, le spectacle 
          que nous offre le réalisateur est des plus hallucinants et tout 
          aussi bien articulés à ses thématiques.
          
          En conclusion, le cinéaste aborde des idées politiques 
          assez bien pensées venant renverser à bien des égards 
          le sens du rôle typique de l’être unique présent 
          dans bons nombres d’œuvres s’adonnant à la science-fiction. 
          Le renversement d’une commune tyrannique tirant les ficelles ne 
          peut-elle se produire à coup sûr que par l’intermédiaire 
          d’un seul et unique actant? En ce sens, Dark City nous 
          laisse étrangement sur des images rappelant fortement le Brazil 
          de Terry Gilliam. Soit, le seul véritable reproche que l’ont 
          pourrait formuler à l’endroit du film d’Alex Proyas 
          viserait la façon dont le film suit un rythme à la fois 
          fort bien soutenu face à l’idée de l’enquête, 
          mais qui se veut du même coup un peu trop frénétique 
          par moments. Pour ce qui est du reste, le cinéaste dépeint 
          une esquisse de l’essence de l’âme humaine des plus 
          savantes. Mais à ce sujet, la question qu’il pose réellement 
          ne demande-t-elle pas à savoir s’il s’agissait bel 
          et bien de la partie la plus appropriée à décortiquer 
          pour comprendre qui nous sommes?
        
          
         
        
        
        Version française : 
Cité obscure
        Scénario : 
Alex Proyas
        Distribution : 
Rufus Sewell, Kiefer Sutherland, Jennifer Connelly, 
        William Hurt
        Durée : 
100 minutes
        Origine : 
États-Unis
        
        Publiée le : 
17 Octobre 2004