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DAI NIPPONJIN (2007)
Matsumoto Hitoshi

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Héritier d'une longue lignée de justiciers géants, Masaru Daisatou (Matumoto Hitoshi) est le « Dai Nipponjin ». Homme en apparence normal, il devient grand comme un gratte-ciel lorsque des colosses monstrueux menacent de détruire le Japon. Mais, de génération en génération, les héros de sa race perdent en popularité. Autrefois diffusées aux heures de grande écoute, leurs prouesses sont aujourd'hui reléguées aux cases horaires les plus marginales du beau milieu de la nuit. Le salaire n'est plus ce qu'il était, et même le rituel sacré de la transformation semble avoir perdu tout son sens. Il est pratiqué par habitude, sans grande conviction. Pire encore, le grand public méprise ce Dai Nipponjin perçu comme un symbole périmé d'une autre époque. Harcelé quotidiennement jusque chez lui, Masaru habite seul; il est divorcé, et sa fille de huit ans ne tient pas vraiment à le voir. Il héberge un chat errant, s'occupe d'un ancêtre ayant connu la gloire et affronte avec de moins en moins de passion des adversaires de plus en plus rare... Sa vie extraordinaire se résume à cette monotone routine.

Débarquant directement du Japon, où il est fréquemment comparé à Takeshi Kitano, l'humoriste Matsumoto Hitoshi accouche avec Dai Nipponjin d'un premier long-métrage étonnant. Qu'il soit drôle, voilà qui n'a rien de bien surprenant, puisqu'il s'attaque à un genre en soi assez délirant. Mais Dai Nipponjin se distingue de la simple parodie par sa capacité à aborder, par l'entremise d'un sujet purement cinématographique, plusieurs problématiques sociales et culturelles chères au Japon contemporain. Film sur la mise au rancart des traditions, bref sur l'opposition entre folklore et modernité, cette comédie parfois hilarante oppose à son absurdité pince-sans-rire une certaine mélancolie crépusculaire. Hitoshi, le réalisateur, jongle avec les contrastes tandis qu'Hitoshi, l'acteur, s'impose comme formidable fil conducteur d'un film à cheval entre les tons; piteux mais sympathique, son personnage de raté méprisé par le pays en entier ment la mine basse pour mieux voiler son honneur bafoué.

Tourné sous la forme d'un faux documentaire, Dai Nipponjin trace finement la psychologie de son héros de pacotille tout en rigolant aux dépends de séries cultes telles qu'Ultraman et Godzilla. Si le dispositif du faux documentaire confère au film d'Hitoshi une sorte de réalisme, présentant le quotidien banal et les détails anodins de la vie de son protagoniste, il ajoute paradoxalement un degré de fiction supplémentaire à sa construction narrative. Puisque Dai Nipponjin invente un tournage à même son univers fictif, il raconte simultanément deux histoires fictives: celle de Masaru, et celle d'un documentaire sur Masaru. Or, Matsumoto Hitoshi s'amuse follement avec ce concept de « degrés de fiction » jusqu'à en faire le moteur de son meilleur gag: dépouillant son film vers un faux réalisme toujours plus débile et élaboré, le réalisateur abandonne l'image de synthèse lors de son combat final pour renouer avec les pétards et le bon vieux carton-pâte. Implicitement, son film demande au spectateur ce qu'est la réalité dans toute cette fiction; explicitement, il en oblitère jusqu'à la dernière trace par cette jouissive transgression formelle.

Dans un premier temps, Dai Nipponjin va donc briller par sa retenue pour par la suite s'évader dans la plus totale des fantaisies. Prouvant par le fait même sa versatilité, l'humoriste Hitoshi s'aventure à la fois dans les plates-bandes de Christopher Guest (This Is Spinal Tap, A Mighty Wind) et de Minoru Kawasaki (The Calamari Wrestler, The World Sinks Except Japan); il possède à la fois le sens du tragique tempéré propre au premier, et le goût pour le saugrenu du second. Mais, contrairement à Kawasaki, Hitoshi refuse de sombrer dans la facilité, de soutirer des rires en se répétant. S'il partage avec celui-ci quelques prédilections thématiques, Hitoshi arrive beaucoup plus aisément à en faire la synthèse: son Japon ne sait que faire de son patrimoine, alimente une haine latente pour l'Amérique et entretient une certaine fascination pour un militarisme au sens évanescent. Lorsqu'on lui demande ce qu'est la justice, un général cafouille pour finalement se réfugier dans un relativisme vide de sens.

Dai Nipponjin n'a pourtant aucune autre intention que de dilater des rates à la bonne franquette. Alors que Takeshi Kitano s'amuse à détruire son propre mythe à grand renfort de mises en abîme complexes, Matsumoto Hitoshi s'impose comme un digne successeur au maître. Impassible, imprévisible, visiblement cinéphile, Hitoshi offre un hommage délicieusement caricatural aux « films de monstres » qui ont marqué son enfance tout en construisant une oeuvre ludique aux dimensions multiples. Tout en étant très drôle, Dai Nipponjin a le mérite d'être, à notre grande surprise, un « bon » film au sens sérieux du terme; conscient des enjeux propres au médium cinématographique, Hitoshi intègre habilement ceux-ci à un spectacle franchement bidonnant. S'en dégage une oeuvre hybride singulière et extravagante, où l'humour cohabite avec une authentique sensibilité humaine.




Version française : -
Scénario : Matsumoto Hitoshi, Mitsuyoshi Takasu
Distribution : Matsumoto Hitoshi, Takayuki Haranishi, Itsuji Itao, Riki Takeuchi
Durée : 113 minutes
Origine : Japon

Publiée le : 29 Octobre 2007