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CITY OF GOD (2002)
Fernando Meirelles

Par Pierre-Louis Prégent

Nous vivons dans une société médiatisée où les informations diffusées sont filtrées. Cela entraîne donc une focalisation exagérée sur notre région du continent: l’Amérique du Nord. Au cinéma, nous sommes également habitués à entendre majoritairement parler de la société américaine, peu importe l’aspect que l’on en dissèque. Le milieu criminel constitue l’un des aspects qu’on explore très souvent et qui permet au spectateur d’infiltrer les situations des différentes ethnies aujourd’hui présentes en Amérique du Nord, plus particulièrement la mafia italienne, constituant l’une des organisations criminelles les plus importantes aux États-Unis. Évidemment, comme pour n’importe quel genre, certains films se démarquent. Qu’il s’agisse de la légendaire trilogie The Godfather de Francis Ford Coppola ou des films impitoyablement réalistes de Martin Scorsese, la pègre est un groupe fort intéressant à dépeindre au cinéma et qui permet également de tracer un tableau riche et coloré de certaines cultures et de leurs aboutissements.

Cependant, nous, habitants de la partie nord du continent, ne nous le cachons pas, sommes quelque peu nombrilistes et ignorants des réalités de nos colocataires du sud. Pour la plupart d’entre nous, nos connaissances se limitent à la possession de quelques cartes postales exotiques et aux vagues reportages contenus dans les bulletins de nouvelles quotidiens de nos chaînes nord-américaines favorites. Par contre, en 2002, un film exceptionnel a réussi à se démarquer suffisamment de par sa puissance phénoménale et de par son style post-moderne époustouflant pour traverser la frontière, défiler sur les écrans nord-américains et même rafler quatre nominations aux Oscars cette année. Il s’agit de Cidade de Deus (Cité de Dieu en version française) de Fernando Meirelles.

Les comparaisons entre Cidade de Deus et Gangs of New York, Goodfellas et Casino de Scorsese sont largement appropriées. Du moins, en ce qui a trait au niveau de la ligne narrative. Si Scorsese, dans ses films, réussit à démasquer les entourloupes du milieu du jeu, à expliquer l’origine et l’ascension de la criminalité dans les quartiers italiens des États-Unis, à tracer un portrait grandiose et épique d’une nation et à en communiquer les forces et les qualités, en plus de nous captiver avec des récits cinématographiquement narrés, composés de personnages vivants, texturés et réalistes, Meirelles réussit à accomplir tout cela dans un seul et unique film. Racontant l’histoire de deux gamins ayant grandi dans une favela de Rio De Janeiro et ayant pris des chemins différents en grandissant, Cidade de Deus comporte une structure narrative complexe et brillamment maîtrisée. Le film débute avec des plans dynamiques et successifs au rythme d’une musique exotique qui étonne énormément par sa grande modernité. Puis, en très peu de temps, on stoppe complètement la progression de l’histoire pour nous plonger dans une série de retours en arrière, question d’expliquer comment les deux jeunes hommes que l’on voit dès le départ, on évolué dans la favela à travers les décennies. On revient donc aux années 60 et 70, alors que la Cité de Dieu est un endroit très pauvre mais relativement calme où le monopole du crime est occupé par trois jeunes adolescents malfrats plutôt inoffensifs. Toutefois, ceux-ci influenceront un jeune garçon qui deviendra des années plus tard, Zé Pequeno, un baron de la drogue sadique et sans scrupule. Puis, en voyageant à travers les époques et la vie des différents personnages, on plonge en profondeur dans l’univers du trafic de drogue de la Cité de Dieu jusqu’à ce que l’on revienne, comme dans Goodfellas, à la situation de départ pour ensuite être témoin du sanglant dénouement, où on nous laisse sur une note assez subjective qui démontre, sans être moralisatrice, que même si une génération de criminels est enrayée, la jeunesse de la prochaine génération prendra la relève.

Côté réalisation, on a droit à une inestimable révélation. Meirelles signe ici une réalisation d’un dynamisme et d’un modernisme tout bonnement hallucinants. Les mouvements de caméra sont très adroitement employés et fortement intuitifs, la composition des plans laisse bouche bée, l’éclairage et la texture de l’image représentent des réussites impressionnantes et l’énergie visuelle omniprésente font de Meirelles un véritable raconteur engagé qui manie la caméra avec une éloquence et une vitalité remarquables. De plus, son travail a été raccordé bout à bout par le montage génial de Daniel Rezende.

Au niveau de l’interprétation, c’est littéralement stupéfiant. Meirelles a fait affaire avec plus de 200 non professionnels qui, je tiens à le mentionner, offrent tous des performances d’un réalisme confondant. Le jeu des acteurs est, à tous les niveaux, admirable. Que ce soit les subtilités gestuelles de certains mouvements ou de certaines attitudes, l’interprétation de chacune des personnes rend efficacement les émotions des personnages. À un point tel où il est absolument impossible, au courant du film, de prendre conscience qu’il s’agit bel et bien d’acteurs et d’actrices. La pureté intrinsèque du jeu en général en fait, sans aucun doute, la meilleure interprétation d’ensemble que j’ai vue dans un film lors des dix dernières années. Il se dégage de la distribution une énergie et une vérité saisissantes.

Le film de Meirelles comporte son lot d’images très dures. L’infanticide est commis à plusieurs reprises, et son explicité rendra quelques gens mal à l’aise. Néanmoins, pourquoi censurer les images les plus dures, quand ce sont en fait celles-là mêmes qui constituent l’aspect le plus horrifiant de la réalité représentée? Car l’objectif du réalisateur était de dresser un portrait réaliste de la favela et de sa violence. Ces actes sont d’autant plus affreux considérant l’attachement qui se crée avec les personnages. Donc, on ne peut nier que Cidade de Deus est un film dur, mais étrangement, et fort heureusement, on ne sent jamais un ton moralisateur venir gâcher et maquiller superficiellement la dramatique du film.

En somme, la réalisation agrémentée d’impressionnantes prouesses visuelles représente ici une signature prometteuse qui s’affichera désormais comme l’une des plus intéressantes de la réalisation postmoderne. Danny Boyle m’avait convaincu avec 28 Days Later, mais Fernando Meirelles a complètement enrayé le dernier brin de scepticisme que j’éprouvais face à ce nouveau style. La structure du scénario fait énormément penser à celle de Goodfellas que l’on aurait adapté en version brésilienne, tout en ayant sa propre identité. Merveilleusement écrit, réalisé et interprété, ce bijou constitue un véritable coup de poing à la figure et qui offre une facture visuelle aussi pure que le sentiment de vérité qui en émane.




Version française : Cité de Dieu
Version originale : Cidade de Deus
Scénario : Bráulio Mantovani, Paulo Lins (roman)
Distribution : Alexandre Rodrigues, Leandro Firmino, Seu Jorge
Durée : 130 minutes
Origine : Brésil

Publiée le : 8 Mars 2004