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CITY OF EMBER (2008)
Gil Kenan

Par Louis Filiatrault

Depuis le premier épisode de Chronicles of Narnia, la maison de production Walden Media s'est imposée comme le standard de professionnalisme et d'excellence technique dans le créneau du cinéma jeunesse américain, responsable de productions de bonne qualité comme Charlotte's Web et Bridge to Terabithia. On lui reconnaît aisément une esthétique très léchée, de même qu'une certaine manière, sans finesse mais sentie, de traiter les thématiques enfantines. Mais on lui attribue également un évident penchant industriel qui se manifeste par une absence totale de bavures et des schémas très formatés. Qu'arrive-t-il ainsi lorsqu'une composante artistique étonnamment forte se bute aux impératifs commerciaux du divertissement familial? Probablement quelque chose comme City of Ember, adapté (pour faire changement) d'un roman best-seller. Réalisé par Gil Kenan, le film constitue un cas étrange en ce qu'il affiche nettement le mélange de jeunes loups et de vieux de la vieille composant son équipe (et ce jusque dans sa distribution). Le résultat, d'une dissonance fascinante, s'apparente à un jeu d'enfants surveillé de trop près par des gardiens sévères.

Principalement reconnue pour ses quelques collaborations avec Tim Burton, la scénariste Caroline Thompson ne s'est jamais illustrée par la très grande subtilité de son travail. Aussi la seconde phase du récit proposé par City of Ember est la définition même d'une intrigue menée « tambour battant », évacuant tout développement superflu au profit d'une enfilade de péripéties plus ou moins périlleuses. Ce qui est bien dommage, car l'univers qu'il déploya un minimum d'effort à présenter comportait un potentiel qui dut, à n'en point douter, connaître une meilleure exploitation dans le roman de Jeanne Duprau. La prémisse ne relève en rien du jamais-vu et n'est pas à l'abri des invraisemblances, mais demeure des plus intrigantes: placée en isolement en prévision d'un cataclysme quelconque, une micro-société vit sous la terre et subsiste sur des ressources limitées. C'est au moment où la crise menace de frapper une fois pour toutes, et surtout alors que s'est dissolu tout souvenir de l'extérieur et des générations fondatrices de la cité, que l'on rejoint de jeunes héros déterminés à percer le mystère entourant leur existence.

C'est le parti pris de vitesse qui, dès les premiers instants, nuit au plein épanouissement de cette fiction tout à fait digne d'intérêt: les dialogues allusifs, peu spirituels, de même que le rythme vif imposé par le réalisateur de Monster House, limitent le film à un survol sommaire d'informations abondantes. Ainsi, une économie artisanale affranchie de toute technologie, un système particulier d'attribution des tâches, ainsi que l'oisiveté d'un dirigeant malhonnête (auquel Bill Murray, dans son premier rôle de quelque envergure depuis Broken Flowers, apporte une curieuse nonchalance), sont pour ainsi dire réduits à la fonction d'éléments de décor quelque peu inusités. Il en va également au détriment des personnages, assez dépourvus d'existence propre au-delà de leurs expressions faciales diverses. Un peu d'humour pour alléger les choses ou quelques instants de poésie plus contemplatifs auraient pu faire respirer ce qui s'avère essentiellement le roulement d'une machine réglée au quart de tour ; filmés avec énergie, les personnages sont toujours haletants ou inquiets, sur la piste d'une humanité dont ils n'ont pas l'occasion d'incarner les traits les plus complexes.

Mais ce sont les qualités de City of Ember qui en font un objet aussi curieux et, paradoxalement, aussi frustrant. C'est, au premier chef, une direction artistique absolument stupéfiante et très bien mise en valeur: le film donne à voir des lieux fourmillant de détails, aux textures et motifs riches, et ce malgré leur nombre limité (en raison d'un budget assez restreint) ; une nomination aux Oscars ne serait pas exagérée. Il en va de même d'une photographie de très grande qualité, dont les rouges forts et les bleus profonds rappellent ceux de Guillermo Navarro (collaborateur de Guillermo del Toro, mais aussi artisan important de quelques productions enfantines). Ces évidentes qualités, additionnées à l'affection du réalisateur pour les mouvements de caméra trépidants et les objectifs larges, composent un film très stimulant pour l'oeil.

Hélas, c'est encore une fois l'apparent manque de temps qui entrave l'appréciation de ce traitement sophistiqué: l'action défile trop rapidement, ou au gré de dialogues trop pauvres et trop étirés (comme s'ils étaient écrits en vue d'un projet de plus grande envergure), pour justifier qu'une telle recherche soit appliquée à sa mise en forme. Des effets spéciaux assez peu convaincants, particulièrement lors des glissades aquatiques finales, jurent également avec le raffinement de la production et trahissent ses handicaps financiers. Du côté de l'interprétation, la ravissante Saoirse Ronan (révélée dans Atonement) fait preuve d'enthousiasme et s'illustre avec succès lors de ses quelques moments d'émotion plus forte, mais en fait encore trop pour que l'on puisse parler d'une jeune actrice en pleine possession de ses moyens. Son partenaire Harry Treadaway se débrouille encore moins bien, composant un héros bien peu sympathique. À tout le moins, Martin Landau apporte un peu de fraîcheur (mais aussi de confusion) dans un second rôle divertissant, à l'instar d'un Tim Robbins dont la carrière semble aussi flotter dans d'étranges limbes.

Sans aucun doute, City of Ember s'avère beaucoup plus captivant et intéressant qu'un film comme The Golden Compass, distribué l'année dernière par New Line Cinema. Il souffre cependant du même problème fondamental, à savoir que ce ne sont pas autant les choix d'adaptation des scénaristes, mais bien la simple décision d'en faire un film qui le condamne à l'échec. Comme en font foi les entrées successives de la série Harry Potter (adaptées de romans de plus en plus volumineux), le passage de la page à la pellicule contraint à une multitude de raccourcis qui finissent par handicapper cruellement la compréhension de l'univers proposé, de même que l'exploration de ses avenues plus obscures. L'adaptation demeure un exercice tout à fait valable dans la mesure où la conversion au format de la séance de cinéma s'envisage sans pertes majeures ; dans le cas de City of Ember, l'obsession de l'intégralité résulte en un récit lacunier, aux ramifications intéressantes mais peu approfondies, de même qu'en un attachement limité à la quête de ses personnages (quête dont la thématique humaniste rappelle d'ailleurs légèrement peu celle de Wall-E, qui sortait pour sa part gagnant de son pari). Luxueux mais aussi curieusement fauché, bourdonnant mais également un peu inerte, son visionnement est d'autant plus frustrant que, à l'instar du Golden Compass mentionné précédemment, son total échec financier risque de bloquer pour un bon moment la mise en chantier d'un éventuel second volet...




Version française : La Cité de l'ombre
Scénario : Caroline Thompson, Jeanne Duprau (roman)
Distribution : Saoirse Ronan, Harry Treadaway, Tim Robbins, Bill Murray
Durée : 95 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 30 Janvier 2009