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        CACHÉ (2005)Michael Haneke
 
 Par Jean-François Vandeuren
 
 Michael Haneke est visiblement un cinéaste qui adore mettre son 
          public à rude épreuve. Parfois en l’opposant à 
          une forme de violence visuelle extrêmement lourde, d’autres 
          fois en s’exécutant d’une manière beaucoup 
          plus subtile et psychologique, voire à même les bases du 
          cinéma. On se souvient en ce sens du formidable pied de nez au 
          film à suspense qu’était son Funny Games, 
          où par le biais de son personnage principal, Haneke narguait 
          continuellement le spectateur en démolissant avec force chacune 
          de ses attentes. C’est à cette facette du cinéma 
          du réalisateur autrichien que nous sommes à nouveau exposés 
          dans Caché. Mais à défaut d’être 
          visuellement explicite, Haneke s’amuse toujours aussi savamment 
          à nos dépends en s’attaquant cette fois-ci à 
          certains éléments cinématographiques que nous prenons 
          pour acquis depuis beaucoup trop longtemps.
 
 Tout débute lorsque l’animateur d’une émission 
          littéraire, Georges Laurent, et sa femme commencent à 
          recevoir de mystérieuses cassettes vidéos montrant un 
          plan fixe de leur demeure filmé sur de longues périodes 
          de temps, lesquelles sont d’autant plus accompagnées de 
          dessins étranges d’une nature enfantine, mais assez violente 
          également. Mais le plus inquiétant est le silence entourant 
          toute la démarche. Georges commencera tranquillement à 
          avoir une idée de qui pourrait bien avoir eu envie de jouer un 
          tour d’une telle nature, soupçonnant un jeune garçon 
          d’origine algérienne qu’il fit envoyer à l’orphelinat 
          alors qu’il n’avait que six ans. Maintenant adulte, l’homme 
          niera évidemment tout de son implication dans une telle histoire. 
          Pourtant…
 
 L’élaboration narrative du film lui donnera également 
          raison en tout point, mais avant la résolution de ce mystère, 
          Haneke renoue avec les idées et les thèmes qu’il 
          affectionne particulièrement sur le plan psychologique, autant 
          en ce qui a trait aux personnages qu’à nous, son public. 
          Il effrite ainsi en surface le sentiment de culpabilité qu’une 
          personne peut avoir à l’égard du sort d’une 
          autre et surtout de la lâcheté pouvant en découler, 
          entremêlant à cet aspect un fond politique assez lourd, 
          et la fragilité d’un bonheur familial apparent devant la 
          moindre parcelle d’adversité. Une mise en situation qui 
          est superbement véhiculée par le duo formé de Daniel 
          Auteuil et Juliette Binoche qui jouent avec toute la conviction et la 
          nuance que l’on pouvait espérer de la rencontre entre deux 
          acteurs de ce calibre et le cinéaste autrichien.
 
 Les éléments se mettent donc en place un à un dans 
          un univers cinématographique très maniéré 
          qui se trouve de ce fait à des miles des stratagèmes hollywoodiens 
          propres à l’ébauche de nombreux scénarios 
          du genre. Le coup d’éclat d’Haneke se révèle 
          malgré tout particulièrement sanglant, car sa réussite 
          dans le cas présent est qu’il parvient à se faire 
          complètement oublier. On reconnaît bien son style d’un 
          point de vue esthétique, mais passé un certain moment 
          dans le film, on ne le colle plus au réalisateur. Même 
          que la prise de conscience de son jeu sournois se fera à l’extérieur 
          du récit, l’existence duquel nous sera d’ailleurs 
          révélé qu’au tout dernier instant, appuyant 
          parfaitement l’ampleur de sa réussite.
 
 Caché ne peut donc pas être pris simplement pour 
          un suspense ou un drame psychologique, pas devant une telle approche 
          questionnant notre habitude de tout accepter ce qui nous est exposé 
          dans un film, en particulier au niveau des dialogues, en plus de notre 
          goût de plus en plus développé pour le voyeurisme 
          et surtout l'usage qu'on en fait. Le niveau de tension se retrouve ainsi 
          à son plus bas niveau, les plus gros éléments de 
          suspense étant tous détruits un après l’autre 
          par une logique implacable, détournant par le fait même 
          toute l’attention des vrais enjeux du film sur des éléments 
          non pas inutiles, mais quelque peu superflus. Haneke utilise en ce sens 
          certains trucs propres au cinéma de Jean-Luc Godard en ce qui 
          a trait au traitement du son et des dialogues, mais d’une manière 
          beaucoup plus subtile. Même chose au niveau de l’image où 
          il nous fait part encore une fois d’une réalisation très 
          statique, particulièrement lorsqu’il nous confronte aux 
          étranges bandes vidéos. Ce qui donne d’ailleurs 
          lieu à une scène d’ouverture extrêmement bien 
          manœuvrée, Haneke nous place ainsi devant un plan fixe durant 
          de longues minutes avant que n'apparaissent quelques bribes de dialogues 
          pour ensuite rembobiner momentanément la cassette, ce qui n’est 
          pas sans rappeler une certaine scène de Funny Games.
 
 Si Funny Games avait la qualité d’être extrêmement 
          direct, l’affront entre Haneke et le spectateur dans Caché 
          se fait de façon beaucoup plus nuancée. Le cinéaste 
          autrichien ne nous offre pas ce que l’on pourrait appeler une 
          leçon de cinéma plus qu’un cours cherchant à 
          démontrer comment un film doit être approché. Le 
          réalisateur renvoie ainsi fort habilement la faute de l’incompréhension 
          de certains détails de son effort sur les épaules d’un 
          public qui aurait dû faire ses devoirs depuis un bon moment déjà. 
          Haneke nous mène donc en bateau à sa guise, se nourrissant 
          de ce réflexe habituel nous poussant à fouiller inutilement 
          les recoins les plus reclus pour trouver du sens, comprenant très 
          bien de son côté que le meilleur endroit où cacher 
          quelque chose est toujours là ou il sera le plus en évidence.
  
        Version française : - 
        Scénario : Michael Haneke 
        Distribution : Juliette Binoche, Daniel Auteuil, Maurice Bénichou, 
        Annie Girardot 
        Durée : 117 minutes 
        Origine : France, Autriche, Allemagne, Italie 
        Publiée le : 20 Octobre 2005 |