A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

LA BRUNANTE (2007)
Fernand Dansereau

Par Mathieu Li-Goyette

«Accepter de vivre» n’est pas le genre de dicton qui se fraie souvent un chemin jusqu’à nos oreilles. Pourtant, c’est d’accepter de tourner qu’aura poussé le cinéaste Fernand Dansereau, quasiment absent de la mise en scène de fiction depuis plus de 40 ans à concevoir la suite de son court-métrage de 28 minutes réalisé en 1968. Ça n’est pas le temps des romans présentait la jeune Monique Mercure entichée de ses 5 enfants dans leur maison de campagne à la suite de sa séparation avec son mari et naquit d'une promesse faite par le réalisateur à son actrice de boucler la boucle «un jour» de son «tier de film». Dernier métrage en date du metteur en scène, Dansereau passa les années suivantes à produire des films pour l’ONF et à élaborer de multiples séries-télés. Quant à Monique Mercure, ayant débuté sa carrière dans le À tout prendre de Claude Jutra (1963), elle eut la carrière qu’on lui connaît en travaillant autant chez les francophones que les anglophones tout en récoltant au passage un prix au Festival de Cannes.

Débutant par un «Ça suffit comme ça. Tu ne me feras pas vivre ça» lancé par une Monique Mercure (interprétant Madeleine) aussi resplendissante à 78 ans qu’à 37, les deux artistes se rejoignent enfin dans un brillant hommage au combat contre l’Alzheimer. Cette Madeleine désenchantée, abattu par le temps et s’apercevant tout juste de sa perte de mémoire cherche à visiter toute sa petite famille dans une dernière tournée d’adieu qui prendra finalement des allures de road trip dans le bas St-Laurent. Zoé (Suzanne Clément), elle, est une jeune pianiste de bar toxicomane et dépressive esseyant d’échapper à ses dettes jusqu’à ce qu’un heureux hasard la pousse à la rencontre de Madeleine, errant dans les rues de Montréal. Des deux femmes naîtra alors une relation de symbiose où Zoé prendra soin de la malade en échange d’un remboursement de ses dettes. Bien entendu, les altercations quant à la perte de mémoire de la vieille dame ainsi que la confiance fugace qui bascule entre les deux femmes formeront la première intrigue avant que celles-ci décident de partir pour la Gaspésie rejoindre la fille de Madelaine et son mari médecin. Tout au long de la route, à la recherche de ses souvenirs passés et de la seule famille qui lui reste, la mémoire de la victime ne fera que s’embourber dans cette brunante jusqu’à la pousser à l’ultimatum de s’enlever la vie ou de vivre pour ceux qui l’aiment.

Qu’on se le tienne pour dit, La Brunante est un film poignant qui nous prend par les tripes jusqu’à nous faire se demander si l’on accepterait de vivre dans la douleur pour le bonheur d’autrui. Optimiste dans son raisonnement, Fernand Dansereau nous lègue un film à penser à mi-chemin entre la réalité et la fiction soutenu par un jeu impeccable de Monique Mercure, sa jeune compatriote et des flash-back datant du film de 1968 où l’actrice n’avait pas une ride. Aussi simple soit l’effet, il demeure néanmoins une grande force du film où l’on se permet souvent de se laisser aller au destin de l’embrumée, à la suivre dans son pèlerinage familial, mais surtout à afficher de l’appréhension face au sort tout aussi tragique de Zoé, jeune fille délaissée par la société et à qui la seule famille restante repose dans une sœur escorte à Montréal. Parsemé de silences pesants sur la relation entre Madeleine et ses proches, sur des dilemmes moraux représentés à travers la perception de la maladie qui progresse de jour en jour, La Brunante contient aussi sa part de rires grâce à deux actrices affichant une complicité hors pair lors de plusieurs situations cocasses où le comique vient remplacer le temps d’une scène la gravité de la maladie.

Hommage à Claude Jutra, le long-métrage de Dansereau en contient plusieurs clins d’oeil. Une photo du cinéaste dans une revue, le mot que Madeleine s’adresse à elle-même lors de l’avant-dernière scène qui rappelle les événements entourant le tragique décès de Jutra sans compter l’affinité que partageaient le réalisateur et la comédienne avec le prodige québécois participe à accentuer la gravité de la situation et à prendre conscience de la détermination employée ici. Si quelques scènes paraissent forcées par le hasard tandis que d’autres restent surchargées au point de vue de la symbolique (l’allégorie du lichen en exemple), le tout reste pardonnable et ne nuit finalement que très peu au produit fini, sauvé au point de vue technique par les images d’archives insérées au montage final. Visiblement issue du monde de la télévision, la réalisation de Dansereau se fait cahoteuse par moment et trop artificielle pour le sujet. Rescapé de la cinématographie des années 60, son style n’a que peu changé et on ne peut trouver que malheureux que ce dernier nuise tant dans quelques scènes du film. Le choix de certaines d’entres elles se trouvant par contre bien justifié sans tomber dans les contraintes commerciales se retrouve par contre bien réussit tout en ayant le potentiel de déployer tout les talents de Monique Mercure en vieille dame névrosée et surtout celui de Suzanne Clément qui y tient sûrement son meilleur rôle avec celui de L’Audition de Luc Picard (2005) dans un personnage aux allures de jeune maman délinquante.

Au final, le public pourra se dire chanceux du retour inattendu de Fernand Dansereau dans le monde du cinéma après tant d'années d’absence. Moyen dans sa forme, l’élégante pertinence de l’optimisme fournit par l’ensemble émeut facilement et prouve qu’un cinéaste onfien de sa trempe n’aura pas encore dit son dernier mot (il travaille aussi à l’écriture d’un nouveau scénario) sur les enjeux moraux refaisant souvent surface en rapport au suicide assisté ou au droit à mourir. Tendre, sans prétention et poétique, La Brunante est un message d’espoir aux familles touchées par le drame de la part d’un cinéaste qui le vécut à sa manière lors de la perte de Claude Jutra un 5 novembre 1986. Message d’espoir de plus pour les proches des victimes chez qui la maladie se retrouve parfois plus douloureuse que chez le malade, la relation grandissante entre Madeleine et Zoé à la manière d’une infirmière et de sa chouchou lâche aussi un cri d’alarme quant au besoin urgent que requièrent ces malades. Pour une fois la subjectivité de la malade étant prise comme sujet principal et non comme un accessoire dans un maigre film psychologique, l’on se doit de ne pas perdre de vue que cette Brunante reste humblement le signal de fumée sympathisant de Fernand, envoyé le temps d’une projection à son bon vieil ami Claude.




Version française : -
Scénario : Fernand Dansereau
Distribution : Monique Mercure, Suzanne Clément, Patrick Labbé, Stéphane Gagnon
Durée : 101 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 7 Avril 2008