THE BOW (2005)
          Kim Ki-Duk
          
          Par Jean-François Vandeuren
          
          Un artiste a généralement deux façons de faire 
          évoluer son œuvre. Il peut ajouter une nouvelle pièce 
          à son répertoire sur une base régulière 
          afin de lui assurer une progression lente, mais continue, ou, à 
          l’image du parcours d’un maître de la trempe de Stanley 
          Kubrick, il peut se manifester d’une manière plus disparate 
          et prendre de nombreuses années pour concocter un nouvel opus 
          et voir à ce que le détail le plus infime serve entièrement 
          ses intentions. Le cinéaste sud-coréen Kim Ki-duk appartient 
          évidemment à la première école. Depuis The 
          Isle, le prolifique réalisateur nous a habitués à 
          une signature suivant une trajectoire bien définie dont elle 
          bifurque rarement tout en devenant un peu plus précise avec chaque 
          nouvel effort. Cet univers formé de grands espaces dont l’accalmie 
          se perd dans le chaos émanant des grands centres urbains et où 
          se côtoient des personnages volontairement muets, Kim Ki-duk le 
          connaît sur le bout des doigts. Ainsi, The Bow, son douzième 
          long-métrage en neuf ans, ne surprendra aucunement les fans de 
          longue date du réalisateur, mais propose néanmoins une 
          variation fort substantielle des thèmes que ce dernier a déjà 
          entièrement assimilés.
          
          Kim Ki-duk dépeint une fois de plus une histoire d’amour 
          insolite prônant un mode de vie que ceux appartenant à 
          la majorité n’arrivent tout simplement pas à comprendre. 
          The Bow raconte ainsi le récit d’un pêcheur 
          qui sauva jadis la vie d’une jeune fille abandonnée à 
          l’âge de six ans. Dix ans plus tard, les deux complices 
          vivent sur le rafiot du vieil homme et accueillent les nombreux amateurs 
          de pêches venus y taquiner le poisson. Depuis son abandon, l'adolescente 
          n’est jamais retournée sur la terre ferme et son champ 
          de vision fut ainsi limitée qu’à cette embarcation 
          flottant au milieu d’une immense masse d’eau. Le jour de 
          ses 17 ans approche et cet anniversaire marquera également l’union 
          des deux marginaux. Mais voilà que débarquera un jour 
          un étudiant dont la jeune fille tombera instantanément 
          amoureuse. Une rencontre imprévue qui viendra contrecarrer les 
          plans du couple pour qui l’existence était jusque-là 
          des plus paisibles.
          
          Sans être aussi marquant que les exceptionnels The Isle, 
          Samaritan Girl et 3-Iron, The Bow forme en 
          soi un joyeux mélange des meilleurs éléments de 
          l’univers cinématographique de Kim Ki-duk. S’il ne 
          sent pas forcément le réchauffé, ce douzième 
          film ne laisse toutefois pas énormément de place à 
          l’innovation. Le cinéaste sud-coréen a trouvé 
          chaussure à son pied et compte visiblement en user la semelle 
          pour encore quelques miles. Ainsi, Kim Ki-duk dévoile un jeu 
          déjà bien connu dès les premiers instants du film. 
          Ses décors minimalistes surplombés par la mer tiennent 
          ses deux protagonistes, qui ne disent pas un seul mot du film si ce 
          n’est pour chuchoter la bonne aventure à l’oreille 
          de qui veut bien l’entendre, à l’écart des 
          traquas de la société moderne. Si les dialogues se font 
          de plus en plus rares dans les œuvres de Kim Ki-duk, le langage 
          visuel et sonore de ce dernier se devaient évidemment de mener 
          à bon port un navire à l’héritage aussi particulier. 
          La facture visuelle on ne peut plus maîtrisée du cinéaste 
          demeure cette fois-ci en retrait alors qu'un montage des plus fluides 
          se laisse bercer et chambarder par les impulsions de ses personnages 
          et une trame sonore plus traditionnelle venant remplir des espaces que 
          le réalisateur aurait ordinairement gardés immaculés.
          
          Au delà de cette histoire d’amour assez inhabituelle se 
          forme un désir de préserver un mode de vie dont la validité 
          est difficilement reconnue à l’intérieur de notre 
          définition de ce qui est « normal ». Kim Ki-duk donne 
          ainsi un nouveau souffle à son traditionnel duo de marginaux 
          s’enivrant d’un quotidien dont ils sont les seuls au départ 
          à en déterminer les règles. Le cinéaste 
          profitera par contre de l’éveil sexuel de sa jeune protégée 
          pour renouer avec les thèmes ayant fait sa renommée depuis 
          The Isle tout en forçant constamment son public à 
          remettre en question son point de vue face aux actions de ses personnages. 
          Le réalisateur remue ainsi différents fondements qu’implique 
          désormais la vie en société pour proposer sur un 
          ton onirique, voire mystique, une alternative qui semblera de moins 
          en moins saugrenue à mesure que progressera le récit. 
          Sans adopter une position aussi ambiguë que dans Samaritan 
          Girl, Kim Ki-duk pousse tout de même le spectateur à 
          réflexion tout en respectant son hésitation face à 
          une telle proposition. De la grande force de ses protagonistes et de 
          sa mise en situation découlera la formation d’un idéal 
          imparfait face auquel le réalisateur ne cherchera pas à 
          prendre position pour plutôt le laisser voguer à la dérive 
          afin qu’il puisse passer à travers ses propres tempêtes 
          et grands moments de sérénité.
          
          The Bow nous présente au bout du compte un Kim Ki-duk 
          serein et en pleine possession de ses moyens qui se permet même 
          d’introduire quelques clins d’œil à son propre 
          répertoire. Les hameçons ravageurs de The Isle 
          nous feront alors imaginer le pire avant de prendre ici une tournure 
          humoristique pour le moins inattendue. Soutenant sensiblement le même 
          discours que 3-Iron, The Bow se termine toutefois 
          sur une note symbolique rappelant davantage The Isle. À 
          mi-chemin entre la reconnaissance du passé et l’ouverture 
          sur l’avenir, la vie de la jeune fille prendra un nouveau départ 
          dont l’essence sera tout de même fortement imprégné 
          de l’héritage que son protecteur se sera évertué 
          à défendre. Une œuvre de synthèse consacrant 
          les derniers efforts de Kim Ki-duk comme certains des plus importants 
          du cinéma sud-coréen des années 2000. Seul le temps 
          nous dira toutefois si le principal intéressé se laissera 
          désormais porter par les vagues ou s’il ne vient pas tout 
          juste de jeter l’ancre de façon définitive.
         
          
        
        Version française : 
L'Arc
        Version originale : 
Hwal
        Scénario : 
Kim Ki-duk
        Distribution : 
Han Yeo-reum, Jeon Seong-hwang, Seo Si0jeok, Jeon 
        Gook-hwan
        Durée : 
90 minutes
        Origine : 
Corée du Sud
        
        Publiée le : 
6 Février 2007