A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

BORDERLINE (2008)
Lyne Charlebois

Par Jean-François Vandeuren

Atteinte du trouble de la personnalité borderline, Kiki (Isabelle Blais) est souvent d’humeur instable. Son manque de confiance en elle et sa grande dépendance affective n’aide pas non plus son cas auprès des personnes du sexe opposé avec qui elle n’arrive pas à entretenir de relations saines et viables. Comme plusieurs individus dans sa situation, Kiki n’a pas eu une enfance facile ; élevée par une grand-mère au passé trouble qui essaya tant bien que mal de combler l’absence d’un père dont elle fut volontairement éloignée et d’une mère que l’on hospitalisa pour troubles psychiatriques. Après avoir négligé pendant des années sa propre existence au profit d’ébats sexuels hasardeux et de consommations excessives d’alcool, la jeune femme se retrouve aujourd’hui au début de la trentaine, perdue quelque part entre l’ébauche d’un roman qu’elle n’arrive pas à terminer et l’idylle purement physique qu’elle entretient de peine et de misère avec son directeur de maîtrise. Voyant la date de remise de son mémoire approcher à grands pas, Kiki tentera de rendre son projet un peu plus utile à sa propre cause en se servant de ses écrits pour méditer sur les événements de son passé. Une profonde introspection qui lui fera évidemment déterrer plusieurs souvenirs particulièrement douloureux qui l’éloigneront à nouveau de l’équilibre vital et psychologique tant convoité. Heureusement, sa rencontre fortuite avec un sympathique boulanger n’étant aucunement intimidé par le « danger intime » qu’elle semble représenter pourrait bien lui permettre de goûter enfin à un rythme de vie un peu moins mouvementé... Si elle ne fiche pas tout en l’air avant le temps, bien entendu.

Figure reconnue de l’univers télévisuel québécois, la réalisatrice Lyne Charlebois nous propose enfin un premier long-métrage de fiction. La cinéaste aura d’ailleurs pris les bouchées doubles pour sa première incursion au grand écran en s’attaquant à l’oeuvre de la romancière Marie-Sissi Labrèche, avec qui elle rédigea conjointement la présente adaptation des romans Borderline et La Brèche. Récit à forte teneur autobiographique, Borderline démontre à la base une compréhension aiguisée des enjeux psychologiques et des nombreuses contraintes existentielles avec lesquelles doivent composer quotidiennement les individus souffrant d’un tel trouble de la personnalité, dont le personnage d’Isabelle Blais affiche en soi presque tous les symptômes. À défaut d’être très subtil, ce portrait exhaustif s’étend tout de même bien au-delà de ses propres barrières académiques pour finir par avoir une incidence directe sur la forme même de l’effort. Le duo s’intoxiqua ainsi de l’instabilité et de l’imprévisibilité de sa protagoniste pour édifier un scénario non-linéaire dans lequel se côtoient constamment (parfois même trop, d’ailleurs) temps passé et présent tout en agençant efficacement la plume particulièrement éclatée de l’auteure à l’approche esthétique plus racée de la réalisatrice. Issu du monde du vidéoclip et de la publicité, Charlebois signe une mise en scène à la fois discrète et tonitruante regorgeant d’idées visuelles et narratives somme toute audacieuses, mais auxquelles il manque définitivement de nuance. La principale faute de la cinéaste aura été dans ce cas-ci de chercher à conserver une certaine constance stylistique tout au long du récit sans que l’initiative ne soit forcément indispensable au bon développement de l’intrigue et des principaux personnages.

Il faut dire que le scénario de Borderline est en soi un cas un peu spécial, en particulier dans le paysage actuel du cinéma québécois. Telle que racontée par Lyne Charlebois et Marie-Sissi Labrèche, la trépidante histoire de Kiki réclamait évidemment une certaine exubérance sur le plan visuel. Dans cette optique, la mise en images proposée par la réalisatrice s’avère tout à fait convenable et s’imprègne superbement de l’état d’esprit insaisissable dans lequel devait nous plonger un tel récit sur papier, mais elle reproduit aussi les mêmes erreurs. Ainsi, si les prouesses techniques et narratives de Charlebois s’avèrent parfois renversantes, la cinéaste a malheureusement tendance à étirer inutilement la sauce et à répéter les mêmes stratagèmes de façon outrancière. Et c’est précisément ce manque de retenue qui fait le plus mal à l’ensemble au bout du compte, car les séquences les plus accomplies du film finissent par perdre de leur force et de leur résonance aux abords de celles dans lesquelles tous ces effets de style sont utilisés à des fins beaucoup plus spectaculaires que substantielles. Un faux pas qui est en soi attribuable au fait que la cinéaste a visiblement conservé quelques tics de ses diverses expériences en publicité, auxquels elle remédie la plupart du temps pour colmater certains trous qui auraient très bien pu rester béants. De vieux réflexes qui se font notamment sentir au niveau sonore alors que l’essai est là aussi divisé entre la voluptueuse bande originale de Benoît Jutras et les insertions maladroite ici et là de tubes radiophoniques trouvant difficilement leur place dans un ensemble aussi fragile et éclectique.

La réalisatrice sera donc parvenue à faire son nid au sein de la petite famille du cinéma québécois en commettant toutefois quelques erreurs de débutant qui auraient pu facilement être évitées. Lyne Charlebois aurait ainsi gagné à faire quelques compromis en concentrant davantage l’action de son film à l’intérieur d’une seule et même temporalité et en suggérant un peu plus les événements propres au passé de son personnage principal, sans forcément évacuer le côté plus provocateur et explicite de sa mise en scène, qui est ici nécessaire à la dynamique de l’effort. Si l’idée de faire de Kiki la seule et unique narratrice du récit est en soi un choix logique vues les circonstances, la progression du récit demeure néanmoins quelque peu laborieuse alors que bien des personnages secondaires sont soit sous-développés, soit introduits beaucoup trop tardivement dans le récit. Pourtant, c’est étrangement en écartant ces enjeux d’une manière un peu malhabile que le duo aura pu édifier la plus belle histoire d’amour qu’il pouvait nous proposer : celle de soi-même. La cinéaste québécoise se révèle également une directrice d’acteurs hors pairs alors qu’Angèle Coutu et Sylvie Drapeau se révèlent prenante aux côté d’une Isabelle Blais qui brille de tout feu dans un rôle aussi touchant qu’éclatée. Comme sa protagoniste, Charlebois ne pourra que sortir grandie d’une telle expérience, laquelle lui permettra sans l’ombre d’un doute d’ajouter les quelques cordes à son arc qui lui manquait jusque-là pour réaliser une oeuvre un peu plus complète, et surtout plus précise.




Version française : -
Scénario : Lyne Charlebois, Marie-Sissi Labrèche
Distribution : Isabelle Blais, Angèle Coutu, Jean-Hugues Anglade, Sylvie Drapeau
Durée : 111 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 5 Mars 2008