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BORAT : CULTURAL LEARNINGS OF AMERICA FOR MAKE BENEFIT GLORIOUS NATION OF KAZAKHSTAN (2006)
Larry Charles

Par Jean-François Vandeuren

La plus grande source d’inspiration d’un humoriste est le quotidien. Ce dernier concentre ainsi la majeure partie de ses énergies à déformer, amplifier et sortir de leur contexte d’origine nos habitudes de vie, nos croyances populaires et nos préjugés dans le but de nous faire rire, mais aussi de nous amener à réfléchir, car toute cette démesure dissimule inévitablement un fond de vérité. Bien souvent, le comique prétend être ce qu’il cherche à dénoncer. Le personnage de Borat créé par le comédien britannique Sacha Baron Cohen, principalement connu sous les traits du célèbre Ali G, est l’exemple parfait d’un numéro comique atteignant ces deux objectifs avec une force de frappe décapante. Ainsi, Cohen tente de faire passer le comportement quelque peu primitif et le discours foncièrement raciste, homophobe, sexiste et antisémite de son personnage kazakh non seulement pour la réalité, mais également pour quelque chose de profondément ancré dans les mœurs de son pays d’origine.

Borat débarque donc aux Etats-Unis pour tirer quelques leçons de cette grande nation afin d’aider le Kazakhstan à régler quelques problèmes internes. Le séjour en sol américain de ce personnage on ne peut plus fier de posséder un VHS et de trimballer sa carcasse dans une vieille Lada tirée par des chevaux prendra toutefois une tournure inattendue lorsque ce dernier verra Pamela Anderson à l’œuvre dans un épisode de la série culte Baywatch. Tombant sous le charme de la célèbre blonde aux attributs particulièrement généreux, Borat mettra le cap sur la Californie où il compte bien conquérir le cœur de sa belle. En chemin, le prétendu journaliste tentera de se mêler à la population américaine d’une façon quelque peu maladroite. Les temps sont durs à l’extérieur de cette terre d’opportunités et les citoyens de ce grand pays verront en l’arrivée de cet hurluberlu l’occasion de jouer une fois de plus les sauveurs en inculquant à cet être primitif des valeurs chrétiennes fondamentales et en lui donnant la chance d’intégrer cette merveilleuse culture synonyme d’amour, de respect, de tolérance et de compassion… NOT!

À une époque où le « politically correct » est roi et que le moindre commentaire déplacé, même si indubitablement ironique, peut ruiner la carrière d’un individu, comment se fait-il qu’un film comme Borat : Cultural Learnings of America for Make Benefit Glorious Nation of Kazakhstan ait reçu un accueil aussi favorable, en particulier au pays de l’Oncle Sam? Vue l’abondance de gags traînant dans la boue la gente féminine et à peu près toutes les cultures et religions de cette planète, Cohen (lui-même d’origine juive) réussit à sortir indemne de cette périlleuse aventure grâce à son manque total de retenue. Cohen créa un monstre tellement improbable que les propos tenus par ce dernier, aussi choquants puissent-ils être, ne peuvent en aucun cas être pris au sérieux une fois projetés sur un écran de cinéma. Ainsi, pendant que Sacha Baron Cohen lance certaines des répliques les plus grinçantes que l’on ait pu entendre dans un long-métrage de cette envergure depuis belle lurette, la caméra du réalisateur Larry Charles exécute une brillante stratégie visant à révéler le visage d’une Amérique qui, pour sa part, n’entend pas à rire.

Larry Charles met ainsi en images un récit assez mince dont l’unique fonction est de servir de fil conducteur aux intrusions de son personnage principal dans le mode de vie et l’intimité de ses hôtes. Si certaines séquences furent scénarisées par soucis narratif, lesquelles sont évidemment reconnaissables de par leur forme visuelle un peu plus travaillée, le film demeure néanmoins authentique dans la façon dont il présente les réactions et témoignages des diverses « victimes » du grand moustachu. Les séquences fictives faisant état d’un Kazakhstan plongé dans la misère, où chaque village a son idiot (et son violeur) et où la population participe fièrement à des coutumes foncièrement racistes tel le traditionnel « Running of the Jew » deviennent de moins en moins absurdes et déphasées à mesure que Charles et Cohen révèlent le tempérament caché de certains des habitants de cette terre salvatrice que l’on appelle l’Amérique, lesquels continuent de croire en l’esclavage et les inégalités sociales et de réfuter complètement les théories darwiniennes. Et c’est là que réside tout le génie de Borat. Se faisant passer au départ pour bien pire qu’eux, Charles et Cohen n’ont alors aucune difficulté à rendre leurs interlocuteurs parfaitement à l’aise avec la caméra et les amener à leur faire n’importe quelle confidence.

Borat ne donne pas non plus sa place en terme de vulgarité. Le personnage de Sacha Baron Cohen et son gigantesque producteur réservent d’ailleurs plusieurs moments d’un goût particulièrement douteux inspirant autant l’éclat de rire qu’un sentiment immédiat de malaise et de dégoût. Pourtant, ces nombreuses séquences exploitant toutes les largesses d’un humour de fond de bécosse se marient étonnamment bien à un ensemble explorant avec intelligence et férocité une problématique que plusieurs n’osent même pas manipuler avec des gants blancs. Charles et Cohen tirent le meilleur de ces deux concepts diamétralement opposés en capitalisant constamment autant sur l’une que sur l’autre. En se donnant lui-même carte blanche, Cohen conféra une étonnante crédibilité à un personnage qui, en soi, n’en a absolument aucune et réussit à mettre à rude épreuve la tolérance et la capacité d’acceptation de son public et des individus qui se sont prêtés à son jeu malgré eux. Le duo signe au final un tour de force sidérant grâce à une approche qui ne se prend aucunement au sérieux et qui ne connaît visiblement pas la définition du mot « dignité » pour offrir un constat extrêmement révélateur sur une nation qui adore vendre son rêve au reste de la planète, mais qui a pourtant de sérieuses difficultés à s’ouvrir à elle.




Version française : Borat!
Scénario : Sacha Baron Cohen, Anthony Hines, Peter Baynham, Dan Mazer
Distribution : Sacha Baron Cohen, Ken Davitian, Luenell, Pamela Anderson
Durée : 84 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 23 Février 2007