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BLUEBERRY (2004)
Jan Kounen

Par Frédéric Rochefort-Allie

Mettons les choses au clair dès le départ, le western n'est pas mort. Contre toute attente, une renaissance inespérée du genre pris tranquillement forme là où on l'attendait le moins, dans le cinéma d'auteur. Amorcée entre autres par Dead Man de Jim Jarmush, cette révolution n'a jamais connu un succès unanime. Blueberry, qu'on connait mieux sous sa forme bande dessinée crée par Jean Giraud, est ici à des lustres de son original (les bandes dessinées : La Mine de l'Allemand perdu et Le Spectre aux balles d'or). Bien qu'il présente tout les traits d'un de ces bons vieux westerns à la John Wayne, le dernier long métrage de Jan Kounen plonge beaucoup plus profond.

Le marshal Mike Blueberry (Vincent Cassel), cherche au plus profond de son âme à venger la mort injuste d'une femme qu'il a aimé et le retour dans les parages de son pire ennemi, Wallace (Michael Madsen) l'assassin de cette dernière, déclenche chez lui une soif de revanche.

Il faut avant tout comprendre Blueberry dans son contexte, vous excuserez ce détour peu orthodoxe. Ce film, est en fait une quête, un désir profond de la part du cinéaste Kounen d'explorer l'univers mystique du chamanisme. C'est suite à de véritables expériences qu'il fut entièrement absorbé par cette culture, avouons le, inconnue aux yeux des occidentaux et c'est alors qu'il eut donc idée d'en faire un film, mais un problème s'imposa : comment allait-il pouvoir faire un film sur le chamanisme s'il avait besoin de plusieurs millions afin de concrétiser ses hallucinations? La solution fut Blueberry. Ainsi, disposant d'un budget faramineux, d'une franchise attirante et de la possibilité technologique de concrétiser ses fantasmes, Kounen fut heureux. Les producteurs eux, une fois le film projeté pour une évaluation, ne partagèrent certes pas cet enthousiasme par rapport à l'idée de passer 3 heures en compagnie des chamans et des serpents qui flottent un peu partout dans les airs. Le projet Muraya devint alors Blueberry, retranché afin d'en faire un film plus commercial, tout en conservant tout de même l'essence du film original.

Blueberry, qui s'annonçait peut-être un peu trop comme un film d'action, joue contre les attentes des spectateurs. Bien sur, on y trouve un shérif, une terreur de l'Ouest, une chanteuse séduisante, des amérindiens et tout le tralala de clichés qui nous sont constamment véhiculés par les films westerns classiques. Or, à défaut d'imiter le troupeau et de donc risquer de frustrer quelques personnes au passage, Blueberry prend position du coté des Amérindiens. C'est alors que ce scénario, ficelé par Gérard Brach (L'Ours, La Guerre du Feu) fait clairement une critique sociale en opposant les Américains, dont les personnages sont des clichés ambulants, avancés technologiquement mais bestiaux par leur façon d'agir aux dits «sauvages», qui ne sont peut-être pas aussi avancés au niveau technologique, mais qui redoublaient de lucidité et de maturité par leur dimension mystique. N'oublions pas que Dobermann, toujours de Jan Kounen, était lui-même une sévère critique du genre Hollywoodien, ce n'est donc pas surprenant que les Américains soient encore dans son collimateur. Mais cette même dimension légèrement parodique n'a pas totalement l'impact désiré. Son léger manque de finesse vient un peu troubler le spectateur, ne sachant plus ce qu'il doit prendre au sérieux, minimisant ainsi l'impact de certaines scènes dramatiques. On pourrait aussi accuser un certain manque d'originalité scénaristique, parfois beaucoup trop près de Dead Man de Jim Jarmush. Ce qui vient certainement d'autant plus confondre le spectateur, c'est que l'intrigue de la confrontation Wallace contre Blueberry et la recherche d'un trésor caché ne requiert pas l'attention qu'on serait tenté de lui accorder si on en attend un produit Hollywoodien. La véritable intrigue est celle d'un homme partagé entre la vie et la mort, dans sa quête chamaniste. Ne vous inquiétez pas, c'est déclaré dès le début du film.

Ce film de Jan Kounen est peut-être librement adapté de la série de bandes dessinées de Giraud, disposait peut-être de 46 millions, de plusieurs vedettes du cinéma américain et d'une gigantesque campagne de promotion, mais il n'en demeure pas moins que ce tout dernier du cinéaste est un film intimiste, extrêmement près de son réalisateur. On devine une grande admiration envers la culture des chamans chez le réalisateur. D'ailleurs, tout comme Terrence Malik (The Thin Red Line), la nature devient un acteur déterminant dans son langage filmique. Lent et visuellement fascinant, Blueberry est un film hypnotisant, dans tous les sens du mot. À la fois trip visuel et trip chamaniste, le film de Kounen surpasse largement bien des films des dernières années par la magnificence de la direction photo et du cadrage. Des travellings planants nous font valser dans le désert sur le dos d'un aigle, la silhouette contrejour du cowboy se découpe parfaitement dans un ciel au soleil couchant, une chute déverse sur nous le fruit de sa source tandis qu'un aigle virevolte dans les cieux, tels sont certains des nombreux plans poétiques qui nous sont offerts. Mais Kounen ne déploie totalement son arsenal qu'une fois que le spectateur se retrouve dans le subconscient de son protagoniste, enveloppé par des délires en images synthèse. Plusieurs décrocheront, ne supportant pas les couleurs brunâtres et les serpents en trois dimensions. Il s'agit pourtant de probablement l'une des meilleures utilisations des effets-spéciaux à des fins artistiques et non commerciales. Kubrick serait fort probablement heureux du travail effectué par son disciple. Blueberry n'est peut-être pas 2001, mais la petite boite qui nous a jadis offert les effets-spéciaux du minable Vidocq s'est ici défoncée pour créer ce qui s'y trouve de plus similaire. Ceux qui diront que le cinéaste fait honte à Giraud seront contents d'apprendre que ces mêmes délires jugés si anti-Blueberry par des fans et la presse française, sont en fait de brillants hommages à la deuxième personnalité du bédéiste du nom de Moebius, justement plus spirituels.

N'étant pas à sa première collaboration avec Kounen, Vincent Cassel (alias «Monsieur Monica Belluci» le tant envié par certains) possèdait déjà une grande complicité avec le réalisateur. C'est pourquoi tant les délires que les moments plus ancrés dans une forme de réalité sont réussis. Même l'accent cajun du personnage est fidèlement réussi et Cassel s'est aussi efforcé d'apprendre une langue amérindienne presque éteinte, connue par aussi peu que 1 000 chamans. Ce n'est donc pas parce que Blueberry est une superproduction que Kounen s'est empêché de respecter la culture qu'il abordait. Michael Madsen, qui en est à son deuxième cowboy miteux en moins d'une année, est égal à lui-même. Il n'incarne pas un salaud de première comme chez Tarantino, mais cela ne l'empêche pas d'offrir l'une de ses meilleures interprétations, beaucoup plus orientée vers le mysticisme que sur son charisme. Quand à Juliette Lewis, si cette actrice est inégale dans sa filmographie, cette fois on retrouve un peu l'actrice qu'on avait oubliée depuis Cape Fear et Natural Born Killers. Son duo avec son père est criant de crédibilité, incarnant justement son propre père.

Bref, injustement détruit par les critiques françaises, Muraya (Blueberry) est un projet extrêmement ambitieux et planant qui ne manque pas de venir provoquer un genre trop longtemps oublié. Sans atteindre la perfection de Dead Man, Kounen ne démord pas et prouve avec Jean-Pierre Jeunet qu'il est possible pour un cinéaste européen d'arriver à concrétiser des rêves tout en ayant un appui commercial. Muraya ne fut pas un projet louangé, mais il demeure un voyage fascinant qui sort des sentiers battus pour porter avec son courant le genre western sur des terrains vierges. Authentifié par de vrais chamans, ce film aux superbes images est, comme son titre l'indique, une expérience. Comme le dit si bien le personnage de Michael Madsen: «Come with me brother, take my hand...»




Version française : Blueberry: L'expérience secrète
Scénario : Matt Alexander, Gérard Brach
Distribution : Vincent Cassel, Juliette Lewis, Michael Madsen
Durée : 124 minutes
Origine : France

Publiée le : 25 Novembre 2004