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BIENVENUE AU CONSEIL D'ADMINISTRATION (2005)
Serge Cardinal

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Tout d'abord, il y a le projet de fiction planifié. Puis, comme c'est souvent le cas, Téléfilm coupe les ailes des aspirants créateurs en refusant une idée dont le public cible, le cercle des "jeunes adultes intellectuels", ne remplit pas les salles de cinéma avec la même efficacité que celui des "amateurs de hockey et d'humoristes". On peut clamer tout haut que Bienvenue au conseil d'administration vit avec intensité cette idée qu'il faut faire le cinéma que l'on aime peu importe les obstacles juchant notre chemin. Pourtant, le film de Serge Cardinal est né de la frustration de l'échec initial. En fait, Bienvenue au conseil d'administration livre en fragments éparses une dissection du processus créatif, une critique du capitalisme et du mode de vie qui en découle ainsi qu'une charge amusée contre les critères de sélection des institutions qui financent notre cinéma. Dans une forme verbeuse et morcelée ramenant directement à Godard, sans d'ailleurs s'en cacher.

En premier lieu, on trouve ce film inachevé mettant en vedette Anne-Marie Cadieux, Robert Lalonde et France Castel. "Un documentaire d'anticipation" un peu théâtral relatant l'effondrement d'une PME du secteur des finances, perdue dans les décombres socio-économiques d'un crash boursier aux proportions apocalyptiques. Vient la mauvaise nouvelle que le film ne sera jamais complété. À tout le moins, jamais dans cette forme presque classique. Le réalisateur-protagoniste discute avec Lalonde, l'auteur, dans le désert désincarné d'une banlieue aux façades clonées. On ne planifie pas notre oeuvre de manière cartésienne. On la bâtit à partir de morceaux disparates que l'on assemble lorsque naît un noyau. C'est le chemin que l'on emprunte plutôt que la destination qui importe réellement. Une leçon que Cardinal a bien assimilée.

Vient ensuite le personnage du spécialiste, et voilà le film reparti à l'aventure sur l'autoroute des genres. On a droit à un cours sur le modèle capitaliste. À défaut de faire une comédie là-dessus, servons au public un documentaire. Ce sera plus informatif. Sauf que la réflexion sur le cinéma avait tout juste débuté. Tant pis, retournons-y tout de go! Les fameuses clémentines du scénario initial de Bienvenue au conseil d'administration étaient-elles la puissante métaphore dont rêvait Téléfilm ou un simple figurant? De quel genre de pilules le personnage d'Anne-Marie Cadieux se débarrassait-il? Des pilules contraceptives dites-vous? C'est bien beau tout cela mais ces pilules contraceptives jetées signifient-elles qu'il y a de la maternité dans l'air? Ce "pourquoi" chronique n'est pas une condition pathologique dont Téléfilm est la seule victime. Bon nombre de cinéphiles en souffrent aussi, quitte à perdre dans l'analyse surfaite le propos d'un film. Tant pis, rions-en.

C'est ainsi qu'à force de plaidoyers et de réflexions, le film de Serge Cardinal arrive à bâtir son propos. Vaste, bien sûr, et de toute évidence éparpillé. Mais parce que le réalisateur n'a aucunement la prétention de posséder toutes les clés de cette oeuvre tissée en courte-pointe, parce qu'il avoue l'avoir fait pour le plaisir pur de créer, elle devient saisissable. Bienvenue au conseil d'administration brille d'une franchise véritable, se bâtit selon les alinéas de la pensée de son auteur parce que c'en ainsi que s'atteint l'authenticité. Malgré sa progression labyrinthique, il s'agit d'un film vrai commis sans retenu pour la beauté du geste. En découle une réflexion compréhensible et humaine parce que légèrement confuse.

Bien entendu, la dette à Godard, d'ailleurs cité, est immense. Que ce soit un pastiche ou un hommage, Bienvenue au conseil d'administration brille justement parce qu'il embrasse ces tics que l'on aime chez Godard. La forme de l'oeuvre est parfaitement cohérente avec la nature cérébrale de l'impulsion initiale. Alors pourquoi se plaindre? Il faut faire du cinéma avec le réel pour produire du réel. Dès lors, cette décision d'achever un projet condamné en fonction de son sort renvoie un puissant message aux étudiants et aux créateurs: il faut faire son cinéma coûte que coûte ne serait-ce que pour défouler, voire exorciser, cette énergie qui nous avait poussée originalement à vouloir faire du cinéma. Même si en bout de ligne, on ne se retrouve pas avec un film à proprement parler.




Version française : -
Scénario : Serge Cardinal
Distribution : Marc Béland, Anne-Marie Cadieux, France Castel
Durée : 80 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 26 Octobre 2005