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LA BELLE BÊTE (2006)
Karim Hussain

Par Jean-François Vandeuren

Drame familial, absence du père… Le cinéma québécois fredonne si souvent la chanson par les temps qui courent qu’elle nous prend de moins en moins par surprise. Comme si finalement arrivés à la fin d’un cycle tout en étant encore trop attachés à cette prémisse pour la laisser de côté, certains réalisateurs tentèrent tout simplement de la resituer dans un contexte plus imaginatif, qu’il s’agisse d’un drame social de grande envergure comme pour l’exceptionnel Congorama de Philippe Falardeau, ou en adoptant une facture esthétique pour le moins inhabituelle comme c’est le cas ici. Ainsi, le temps n’aurait pu être mieux choisi pour finalement porter à l’écran le roman La Belle bête de Marie-Claire Blais, lequel sera d’ailleurs bientôt cinquantenaire. Un moment opportun pour inscrire l’adaptation cinématographique de Karim Hussain dans un mouvement bien précis du cinéma québécois, mais aussi pour lui apporter un peu de sang neuf. Autant La Belle bête plonge tête première au cœur des thématiques énoncées plus haut, le film de Karim Hussain se démarque tout de même du lot de par sa tentative de les aborder par l’entremise du cinéma de genre et ainsi dissocier ce récit de l’inévitable fable urbaine impliquant une famille de classe moyenne blasée ne serait-ce que l’espace d’un film.

Le cinéma québécois demeurant encore un peu trop dépendant du moule rigide du drame et de la comédie, il est normal que ses artisans ne maîtrisent pas encore totalement cette approche peu conventionnelle et doivent, par conséquent, franchir certaines étapes avant d’arriver à des résultats de haut calibre. Comme l’infiltration réussie dans le domaine du fantastique qu’occasionna le Saints-Martyrs-Des-Damnés de Robin Aubert l’an dernier, La Belle bête mérite bon nombre d’éloges qui n’ont rien à voir avec le simple prix de participation. L’effort que Karim Hussain demande au spectateur est d’autant plus important vue la façon dont la démarche artistique et narrative de ce dernier tiennent passablement leurs distances avec la réalité. Il faut dire que les écrits de Marie-Claire Blais étaient propices à ce type de mise en scène face à laquelle nous trouvons difficilement un point d’attache étant donné la dureté de son propos et de sa présentation. En soi, La Belle bête s’intéresse au cas de Louise, une mère veuve veillant de manière inégale sur ses deux progénitures, Isabelle-Marie et Patrice. Ayant transformé son fils en figure paternelle de la famille malgré lui afin d’entretenir une histoire d’amour des plus insolites, l’harmonie détraquée unissant de peine et de misère cette famille isolée sera chamboulée lorsque Louise tombera également amoureuse d’un mystérieux étranger. Déjà passablement écorchée depuis la mort de son père, Isabelle-Marie cherchera de son côté à régler ses comptes avec ce milieu qui lui aura fait vivre l’enfer.

La Belle bête est probablement le film que réaliserait Marc-André Forcier s’il décidait un jour de suivre les traces de David Lynch. C’est donc dans un univers complètement déconnecté de la réalité que nous plonge le long-métrage de Karim Hussain de par ses dialogues souvent trop littéraires et ses acteurs interprétant de façon distante des personnages aux comportements insaisissables. Pour sa part, le cinéaste ne se prétend pas le porte-parole d’une situation sociale, mais bien le chef d’orchestre d’une œuvre artistique à part entière témoignant d’une réalité de manière abstraite et surréaliste. La facture visuelle d’Hussain est d’ailleurs tributaire de ce contexte dramatique empreint d’une touche d’horreur sous-jacente que le réalisateur rend effective grâce à une direction photo enlaidissant volontairement son univers filmique tout en isolant celui-ci de toute forme de temporalité. L’initiative est appuyé par la lugubre trame sonore du Montréalais David Kristian qui vient parfaitement compléter ce portrait pas toujours des plus invitants, mais dont l’étrangeté du propos révèle tout de même une substance intrigante à souhait.

Ceux qui tenteront d’apprivoiser cette Belle bête pour en retirer une histoire calquant la réalité avec une précision chirurgicale se retrouveront dans une situation où ils ne sauront jamais vraiment sur quel pied danser. Avec son premier long-métrage d’envergure, Karim Hussain prit un risque significatif en sachant pertinemment que plusieurs l’attendraient au détour avec une brique et un fanal. Évidemment, La Belle bête n’est pas une entreprise sans faille. Quelques erreurs de parcours résultant principalement d’un rythme déficient dont Hussain ne parvient pas toujours à contrôler la déchéance empêchent l’effort de devenir une œuvre de marque autant sur le plan national qu’international. Mais donnons malgré tout à César ce qui revient à César. Le réalisateur réussit tout de même à nous plonger pendant les quelques deux heures sur lesquelles s’étend son film dans un constant état de confusion qu’il appuie d’une symbolique assez brutale par moment. Sans lui forcer la main, Hussain invite quiconque voudra bien le suivre dans son délire oedipien à repenser sa position face au spectacle prenant forme sous ses yeux tout en lui indiquant qu’il s’agit d’une approche à laquelle il devra peut-être s’habituer dans un avenir plus ou moins rapproché.




Version française : -
Scénario : Marie-Claire Blais
Distribution : Carole Laure, Caroline Dhavernas, Marc-André Grondin, David La Haye
Durée : 110 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 10 Novembre 2006