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À TOUT PRENDRE (1963)
Claude Jutra

Par Chamsi Dib

C’est un deuxième long métrage pour le jeune réalisateur québécois de l’époque où se manifeste la fin de la grande noirceur. La Révolution tranquille s’enclenche. Il y a une certaine réorganisation de la société, une recherche d’identité par les Québécois. Ce film est en quelque sorte le début du jeune cinéma québécois de fiction. Il marque le temps des cinémas nationaux des années 1960.

Claude, un jeune homme de 30 ans provenant d’une famille bourgeoise, tombe amoureux d’une belle jeune femme noire dite exotique : Johanne. C’est tout simplement une histoire d’amour avec ses craintes et ses joies, entremêlée d’une intrigue passant par la quête intérieure. Claude se questionne sur l’amour et trouve des réponses ici et là, des fragments de réponse, un chemin sinueux vers la quête d’un absolu. La forme du film, morcelée, est telle la pensée de Claude. En ce sens, le fond et la forme sont reliés et unifiés (même si le tout est hétéroclite). Un principe de la nouvelle vague française, rappelé par Jutra, est la voix off. Une voix subjective par-dessus les images. «Que restera-t-il de l’amour sans orgueil?» se demande Claude. Il commente son état de quête intérieure. De plus, il y a un travail du montage son des dialogues. Il est morcelé aussi. Précisons ici que les dialogues se font par la pensée pour la plupart. Johanne répond à Claude par la pensée et vice-versa. Au début, nous saisissons mal ce dialogue de «pensée». Les paroles se mêlent et s’entrecroisent pour accroître le sentiment chaotique de Claude, allant parfois jusqu’à ne pas comprendre ce que nous entendons. Les mots ne sont plus utiles, mais ils sont servis de manière symbolique. Ce qui importe n’est pas le sens du mot, mais la réaction entre eux, en les superposant dans le montage son.

Le symbolisme y est pour beaucoup dans ce film. Vers la fin du film, Barbara (une autre femme que Claude apprécie) est dans le salon de ce dernier et son voisin, Victor, entre par la fenêtre. Une image dans cette scène est criante de symbolisme. Ce plan est composé du genou de Barbara et de sa main tenant une pomme. Déjà, nous avons une vision fragmentée du corps. Toutefois, le plus important est la pomme, fruit de la tentation et du péché originel. Le fait qu’il soit à côté d’un genou dénudé renforce le caractère sexuel de ce plan et ensuite, Barbara croque ce fruit. Il y a une tension intellectuelle dans la composition de ce plan qui symbolise le désir. Une autre allégorie est présente tout au long du film. Claude se fait pourchasser par des hommes en noir qui le tuent sans cesse. Rappelons que Johanne est frivole et quitte Montréal pour son boulot (mannequin). Le couple se questionne et il y a un certain échec de communication entre eux. De ce fait, l’amour crée la souffrance. Les hommes en noir symboliseraient donc les douleurs causées par l’amour, des douleurs physiques qui tuent une partie en lui, voire même de manière fantasmagorique. Un dernier aspect symbolique intéressant est l’arrêt photographique sur une image. Jutra fixe quelques images. Tout s’arrête. On prend conscience de l’image formelle, mais cette interruption marque le temps, telle une photographie. Le sujet n’est pas plus important que sa forme, ils sont égaux. Le contenu appuie la forme et vice-versa.

À tout prendre utilise les techniques du cinéma direct : son synchrone, éclairage naturel autant que possible, caméra qui participe à l’action, permettant ainsi la proximité avec les personnages et cela sert l’histoire d’amour et sa véracité. C’est un document authentique sur une jeunesse québécoise affranchie, mais filmée sous la forme d’un journal intime. L’individuel relié au collectif. On utilise aussi la spontanéité du direct, l'improvisation des dialogues, une caméra souvent fixe dans un montage chaotique. Un genre de docu-fiction, car tout au long du film, Jutra joue son personnage (de réalisateur). Il y a une relation entre la réalité et la fiction qui passe par les scènes où on voit Claude sur son plateau de tournage. De plus, presque tous les acteurs ont gardé leur vrai prénom. Un film réaliste et en même temps quasi expérimental par les procédés formels qui représentent la vision personnelle de Jutra, qui est le monde qui l’entoure.

« Tout amour sincère et réciproque est une lamentable chimère. » Voilà sa conclusion à sa quête sur l’amour. Cependant, la fin est ouverte. Claude fuit et disparaît, on ne sait ni où, ni comment. Réagissant de manière désabusée, sa fuite (réelle ou symbolique) représente-t-elle la réponse absolue à ses éternels questionnements?




Version française : -
Scénario : Claude Jutra
Distribution : Victor Désy, Claude Jutra, Monique Joly, Monique Mercure
Durée : 99 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 3 Décembre 2003