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ALEXANDRA'S PROJECT (2003)
Rolf de Heer

Par Jean-François Vandeuren

Il n’est pas vraiment dans mes habitudes d’écrire une critique sous une telle forme, mais disons que dans le cas d’Alexandra’s Project, elle demeure la plus appropriée. Si vous n’avez pas vu le film en question, je vous conseille de lire seulement les deux derniers paragraphes des écrits qui suivent afin de vous donner une idée de la valeur du film en soi. Mais ne lisez tout simplement pas le reste de ce texte puisque beaucoup de détails sur l’intrigue y sont révélés, car pour bien cerner mes propos, ils ne peuvent tout simplement pas être gardés sous silence. Il s’agit ici beaucoup plus d’une analyse et d’un étalage de réactions face aux idées abordées par Rolf de Heer dans son dernier opus que d’une véritable critique.

Il faut dire qu’à la base, le film offrait par sa bande-annonce une prémisse assez intrigante. Mais ce qui s’annonçait dès les premières minutes comme étant un film aux propos étranges, voire quasiment surnaturels, se transforme vite en une traditionnelle et insistante guerre des sexes où le réalisateur affiche rapidement un parti pris féministe. Détail plutôt agaçant qui se transformera en une étude sociale fort intéressante à partir du moment où ce scénario sexiste s’enfargera (volontairement?) dans bon nombres de pièges, plongeant autant la gente féminine dans l’embarras à mesure que cette chère Alexandra présente à nous, spectateurs passifs, son fameux projet.

Pour son anniversaire, Steve, mari et père de famille présenté au départ comme étant une personne tout ce qu’il y a de plus respectable, rentre chez lui après une journée de travail ordinaire, croyant alors retrouver ses proches pour une fête surprise. Celle-ci ne rencontrera pas tout à fait ses espérances. Il y trouvera à l’opposée une maison complètement vide où il sera enfermé et forcé de regarder une cassette vidéo où sa femme y filma sa vengeance. S’en suit dès cet instant la traditionnelle propagande féministe où cette femme au foyer blasée cherchera à faire valoir ses droits dans un schéma rappelant la vision de l’homme d’il y a de cela une quarantaine d’années, le dépeignant comme un être froid et sans sentiments, et ce non pas en réussissant à prendre place par des actions constructives, mais plutôt en faisant ressortir tous les clichés qu’on nous vomit systématiquement depuis des lustres dans ce genre de film au contenu surligné à gros traits. Aux dires du film, l’homme en général est infidèle, l’homme considère la femme comme un simple objet sexuel et la relation de couple s’arrête là dans sa tête, idée qui sera d’autant plus supportée lorsque le voisin d’à côté se verra attribué une image antérieure semblable. Morale constructive, n’est-ce pas!

Nul besoin de mentionner qu’une autre sorte de tension qui ne tient pas du suspense prend place dans la salle. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que ces intentions rendent l’oeuvre pratiquement dépassée puisque si on se fit au monde actuel, c’est plutôt l’homme qui est devenu errant dans une société qui va comme un gant à la femme. C’est peut-être une des raisons expliquant pourquoi le film bifurque en cours de route où Alexandra commence alors à tomber dans ses propres pièges, rendant alors son projet tout aussi dégradant pour elle et permet le dessin d’une nouvelle cible, soit la famille, et surtout les parents. Comme le dit le personnage de Bill (le voisin), Alexandra n’est pas folle. Elle sait très bien ce qu’elle fait. Le problème par contre est que saine d’esprit ne veut pas nécessairement dire très brillante pour autant. Son plan de vengeance pour donner la leçon de sa vie à son mari, et aux hommes de sa génération, nous apparait désormais comme étant une énorme mascarade qui tient de sa simple irresponsabilité et de son incapacité de communication dans le couple. La situation aurait alors dû effectué un virage à 180 degrés où la véritable personne à qui Alexandra aurait dû s’en prendre est tout simplement elle-même. Soit, ce changement de cible se dirigeant vers la famille se fait le porte-parole d’énormément de causes et de situations se développant dans la société actuellement.

Tout d'abord, on a qu’à observer la façon dont les familles se brisent à outrance pour les raisons les plus insipides. C’est une situation qui se traduit de plus en plus par un manque flagrant de communication dans le couple où ici notre chère Alexandra agit à la bonne vielle manière des Nord-américains en accumulant toutes ses frustrations à l'intérieur pendant des années pour arriver inévitablement à un point de non retour où elle décidera tout simplement de tout détruire, de partir avec ses enfants en prenant soin de ne laisser aucune trace du moindre souvenir derrière elle pour anéantir son mari, plutôt que d’avoir simplement ouvert la bouche et parler à ce dernier quand il en était encore temps. Cette illustration en viendra à témoigner d’un autre problème social où les gens sont de plus en plus inconfortable quant à l’idée d’entrer en contact directement avec un autre être humain quand vient le temps de faire autre chose que de parler pour rien dire, illustrée ici par l’utilisation d’un médiateur dans les démarches d'Alexandra: la télévision.

Les grands perdants de ses affrontements dans toute cette histoire seront bien évidemment les enfants. Comme les parents sont désormais en constante compétition sur le marché du travail, il est inévitable que l’éducation est sujette à être mise quelque peu de côté par moment puisque ces derniers sont souvent beaucoup plus préoccupés par leur carrière respective que par leurs enfants. Pas très surprenant à une époque où la première question que l’on pose et vice versa lorsqu’on rencontre quelqu’un est toujours : «Que faites-vous dans la vie?». Pauvre Alexandra qui rêve de jouer les individualistes en menant la barque seule aux commandes. Et pourtant, cette dernière en vient à reconnaitre les qualités de père de famille de son mari. Et c’est peut-être là l’erreur fatale qu’elle commettra, risquant ainsi de perdre la sympathie du public.

Sous un angle plus cinématographique, il faut accorder au film de Rolf de Heer ce qu’il vaut, soit une oeuvre qui a tous les éléments bien en place pour que l’efficacité de son suspense soit palpable. Cette tension est d’ailleurs assez bien accompagnée par une bande originale simple et répétitive rappelant fortement les ambiances musicales des films de David Lynch. Le réalisateur soutient d’autant plus cette atmosphère claustrophobe rappelant le Phone Booth de Joel Schumacher par une réalisation lente et assez soignée. Petits accrochages toutefois dans tout cet univers où le film en vient à s’essouffler et à tourner en rond à plusieurs reprises par simple souci de tourner un peu plus le couteau dans la plaie sans nécessairement ajouter quelque chose d’utile à l’intrigue.

Qu’on aime ou qu’on aime pas, Alexandra’s Project est un film qui va faire énormément jaser et réfléchir chacun de ses spectateurs, la preuve étant faite par ces simples écrits. Cette seule caractéristique est maintenant devenue une denrée rare parmi les films actuels et fait en sorte qu’il s’agit d’une raison plus que suffisante pour voir le film de Rolf de Heer. Un regard corrosif porté sur la famille traditionnelle. Un propos plutôt lourd, parfois trop insistant et pouvant même être dangereux, mais qui ne laissera personne indifférent.




Version française : Le Projet d'Alexandra
Scénario : Rolf de Heer
Distribution : Gary Sweet, Helen Buday, Bogdan Koca
Durée : 103 minutes
Origine : Australie

Publiée le : 1er Janvier 2004