THE ADVENTURES OF ROBIN HOOD (1938)
Michael Curtiz
William Keighley
Par Mathieu Li-Goyette
Les Robins des premiers temps, le Robin de Douglas Fairbanks, d’Errol
Flynn, du renard (celui de Disney, vous vous en doutez), de Sean Connery,
de Kevin Costner, bientôt de Russell Crowe... Il y a dans l’histoire
de Robin de Loxley, du shérif de Nottingham, du roi Richard parti
en Croisades et de la belle Marianne un quelque chose qui ne vieillit
pas. Il est difficile de retracer l’origine du mythe pourtant.
Dans les environs du 14e siècle on en retrouve la première
trace et, ensuite, il se sédimente et épaissit jusqu’à
aujourd’hui où, rarement ramené d’entre le
livre des contes pour enfants, son propos semble, comme il l’a
toujours été, intemporel ; il faudra éternellement
prendre l’argent des riches et le donner aux pauvres. Petite morale
de comptoir, chaque adaptation cinématographique s’est
chargée de mettre de l’avant certains compagnons, certains
épisodes plus marquants au plaisir du public cible de son temps.
Car il ne peut pas y avoir « trop » de Robin Hood,
tout comme il ne pourrait en avoir qu’un seul, à une seule
et même facette. À la façon de ses origines orales
et littéraires, l’histoire grandit d’elle-même,
n’appartient à aucun auteur sinon aux gens qui ont fait
vivre la légende par leur croyance en celle-ci (le générique
du film de Curtiz annonce tout de même « Basé sur
la vraie histoire de Robin des Bois »). Oui, de tous les temps
du cinéma américain, des artistes et des nababs se sont
dit que le pauvre public mériterait son Robin et plus que tous
les autres, celui de Curtiz et Flynn est tout à l’inverse
de sa morale. Une oeuvre riche, d’un gras sidérant et d’un
arrière-goût sucré qui nous hante longtemps le palais.
Bien sûr, tout ici est question de « Il était une
fois dans la forêt de Sherwood… ». Mais attendons,
nous avons encore bien d’autres flèches à tirer
avant de fendre la première.
Reprenons notre élan, d’un autre angle, avec un autre dentier
pour une différente croquée. Kundera écrivait dans
L’insoutenable légèreté de l’être
que « le kitsch, c’est la station de correspondance entre
l’être et l’oubli », et il n'y a pas plus kitsch
que The Adventures of Robin Hood. Tourné dans un Technicolor
à s’en crever les yeux, il est choyé par des costumes
hauts en couleurs, mais sans queue ni tête. N’étant
mis en valeur d’une scène à l’autre que pour
soulever les vertus de la palette bien pastel de la Warner un an avant
son tout aussi convainquant coloriage de Wizard of Oz, Curtiz
vient reprendre le projet chez eux après le congédiement
de William Keighley, renvoyé pour ses séquences d’action
trop lentes. Notre Hongrois, déjà réputé
pour son efficacité et sa main de fer, domine le tournage, dresse
Flynn de nouveau contre son gré (les deux, apparemment, y sont
allés jusqu’aux attaques physiques) et le mène vers
l’une des ses performances les plus mémorables tout en
dirigeant le film le plus cher payé de l’histoire du studio
(2 millions de dollars). Plus substantiellement (du moins pour le spectateur
d’aujourd’hui), The Adventures of Robin Hood, bien
qu’il date de 1938, se vante comme le Robin des Bois
définitif, celui faisant marque pour la mémoire. Il demeure
cependant le moins « réaliste », le moins féroce
du lot qui lui succèdera. Dans cette représentation féérique
formée à l’aide d’un univers de cartons ressort
une image du mythe plus forte que le mythe lui-même. Trop simplet,
Robin des Bois survit par son cliché. Inversement, tenter de
retrouver ses origines en revient à fouiner dans la genèse
d’une histoire historicisée, gonflée par les propres
fables qu’elle a agglutinées, à la manière
de Rabelais, toujours dévergondée à empiffrer son
Gargantua des plus grands exploits. Et le tout, à l’aide
d’une simple plume ou d’une caméra. La représentation,
son kitsch, sa valeur de mémoire chez le cinéphile est
son diapason entre sa véracité (émotionnelle, morale,
légendaire) et l’oubli qu’en fait jour après
jour un imaginaire culturel composé de tous ces gens qui ont,
en fait, vu le film sans jamais l’avoir vu.
Ce que nous savons déjà : Robin, sire hors-la-loi, dirige
une troupe du village qui vole aux riches pour redonner aux pauvres,
puis tombe amoureux de la dame Marianne (Olivia de Havilland, belle
et allant comme un gant au personnage). Ce qui se confirme : il fuit
les fantassins du shérif et de Guy de Guisbourne (Basil Rathbone,
fidèle adversaire de Flynn depuis Captain Blood) et
tente de détrôner le prince Jean (Claude Rains, collaborateur
habitué de Curtiz, toujours démarqué par un cynisme
confortable) qui a usurpé le trône de son frère
Richard Coeur-de-Lion. Ici, à l’image d’autres versions,
Robin est un Saxon pure laine se rebellant contre les Normands et une
royauté viciée. Pareillement à Captain Blood,
l’idée d’une récréation (au sens le
plus amusant) ayant pour thème l’indépendance des
États-Unis devient une vague suggestion socialiste qu’est
celle de mettre à niveau le peuple et sa bourgeoisie. Elle demeure
fondamentale à l’égalité des êtres
humains et la prise de territoire d’une nation opprimée
par le Sang bleu britannique. Mais contrairement à son film cousin
de 1935, trop d’implications manquent et l’exercice dont
le potentiel aurait pu atteindre celui de la réflexion législative
sur la valeur de la noblesse, de l’argent et de la pyramide sociale
se transforme tout bêtement en un divertissement populaire de
haute qualité technique souffrant de carences en vitamines discursives.
Avec un scénario faible, des aspirations on ne peut plus primaires,
Michael Curtiz fait pourtant de son mieux. Une utilisation intuitive
des accélérés, une remarquable gestion d’un
nombre de figurants faramineux fournit à The Adventures of
Robin Hood son lot de trouvailles visuelles valant à elles
seules le grand détour qu’est celui de remonter jusqu’à
lui. Cette envolée de petits soldats verts à travers les
bois, la trame sonore inoubliable d’Erich Wolfgang Korngold, les
galipettes de Flynn et son rire à la fois candide et complètement
surexcité sont hilarants d’abord, mais ensuite des ressources
culturelles nécessaires pour former ce que l’on pourrait
nommer (avec l’intérêt très relatif, j’en
conviens, qu’il représente pour tous) la mémoire
cinéphile. En d’autres mots, le film est un classique,
mais un classique où il est particulièrement facile de
repérer le fonctionnement interne du spectateur moderne face
à la nostalgie (d’un passé le plus souvent antérieur
à sa propre naissance) et à la force picturale de récits
fonctionnant sur deux registres de réception : leur qualité
puis leurs couches archéologiques.
Errol Flynn est une vedette, mais il représente, comme Robin
des Bois, une célèbre icône contre laquelle se confronter
signifie approfondir sa compréhension de la culture populaire
allant des sérials d’aventures à la bande dessinée
de super héros en tous genres qui doit, en plus de la fiction
pulpeuse, énormément à ces classiques de capes
et d’épées. Cette culture bâtie étage
après étage, il lui faut bien des fossiles. Dans ce cas-là,
le film de Curtiz en est un des plus beaux. Ainsi, le kitsch remplit
sa fonction, il rend accessible le plus éthéré
et intangible mythe par sa représentation carnavalesque demeurant,
hors de tout doute, la plus aisément mémorisée.
Dans l’absolu, il remplace les autres mémoires dévouées
au héros en collants verts, s’accapare à lui seul
la perception qu’il nous en reste et grave au marteau et burin
la ligne directrice d’un genre défini, puis articulé
ensuite par son propre public. Mais ce n’est pas une qualité,
c’est simplement une responsabilité du spectateur : voler
à l’Histoire du cinéma pour se remplir les poches,
lui, cinéphile collectionneur de mémoires.
Version française :
Les Aventures de Robin des Bois
Scénario :
Norman Reilly Raine, Seton I. Miller
Distribution :
Errol Flynn, Olivia de Havilland, Basil Rathbone,
Claude Rains
Durée :
102 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
30 Mars 2010