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8TH WONDERLAND (2008)
Nicolas Alberny
Jean Mach

Par Mathieu Li-Goyette

La création d’un espace virtuel et la réalisation de celui-ci sont des concepts souvent soulevés, mais rarement menés à terme. Plus célèbre pour ses effets visuels informatiques, tel était le mandat premier du Tron de Disney, tel était la vision du monde de Linklater dans A Scanner Darkly ou plus récemment dans Ben X où le virtuel envahissait de lui-même le réel du personnage. 8th Wonderland, dernière tentative en liste de rendre ce qui était binaire, tridimensionnel, poursuit une avenue qu’est celle de plaquer un brillant exercice de style à un propos rendu possible grâce à la technologie qu’il illustre. C’est-à-dire que la science-fiction du film de Alberny et Mach en est une qui extrapole les possibilités du web à l’échelle révolutionnaire. Déployé comme un outil de communication terroriste, l’internet ne sert plus aux terroristes à planifier leurs attentats (comme le stipule la bannière d’information « Ben Laden vient de créer le réseau Bombland » dissimulé dans un des cadres du film), mais bien à des écolos, des politiciens révisionnistes et les lignes de la gauche à se réunir sous le sigle de l’organisation secrète de 8th Wonderland. Canulars par-dessus attaques directes aux membres du G8, la question « comment s’attaquer à un pays qui n’existe pas? » de l’affiche promotionnelle en dit beaucoup sur la puissance même du concept.

Fondé par un administrateur inconnu, 8th Wonderland met de l’avant plusieurs projets de contestations à travers le monde et à travers ses utilisateurs les plus fréquents (dont Mach et Alberny font référence dans notre entrevue comme les utilisateurs les plus fidèles d’un certain forum par exemple). Africains du Sud, Français, Américains, Anglais, Japonais, un échantillon des nations y est représenté en train de converser dans un espace nacré et abstrait durant la majeure partie du film. Érigés en pylônes autour desquels gravitent d’autres fenêtres où l’on imagine des centaines de milliers d’autres figures converser et comploter la fin de la politique hégémonique d’aujourd’hui. Allant d’un écran à l’autre, la caméra virevolte à la recherche d’un repère d’espace sans cesse changeant au gré des interruptions, des connexions, des blocages et des exclamations de ces fenêtres ouvertes sur différentes parcelles d’une organisation ainsi introuvable. Cest un espace essentiellement constitué de champs contre-champs, de cadres fixes qui photographient des visages aux noms inconnus qui deviennent, par leur mouvement dans un espace numérique, les tenants d’une mise en scène complètement virtuelle assujettissant la frontalité des prises de vues à la malléabilité d’un numérique omniprésent qui est synonyme de la haute estime des créateurs envers la technologie qu’ils exploitent pour jeter le G8 à leurs pieds.

C’est cependant en prenant du recul que la démocratie montre ses faiblesses et c’est la démarche voulue par le film d’Alberny et Mach. En débutant par de simples actes de protestations ironiques, les démarches du collectif se rendent jusqu’aux complots les plus dangereux pour stimuler le G8. Au passage, possible que la cohérence du groupe y perde en crédibilité, que ce qui était avant leur ennemi devienne un peu l’eux-mêmes. Mais l’idiome est vrai de toute nouvelle indépendance nouvellement obtenue. Les premiers conflits éclatent lors des élections pour un ambassadeur, certaines lois votées donnent lieux à des dissensions et des abandons, la manipulation commence à être inculquée dans les façons de faire de 8th Wonderland, etc. L’édification de leur politique où chaque utilisateur ason droit de vote nous remet en face de la genèse des systèmes politiques occidentaux tout en nous pointant plutôt adroitement ce qui cloche dans le portrait. Porté au public par un charlatan de première en John McClane, les citoyens 8th wonderlandais ont tôt fait de voir l’image mystérieuse de leurs groupuscules se manifester au grand jour sous la forme d’un vendeur de première avec ses produits dérivés et ses yaourts. La liberté n’est pas une marque de yogourt dirions-nous ici, c’est l’espoir qui est commercialisé, rentabilisé et finalement rendu l’objet de culte si prenable en cet ère de prééminence à l’entrepreneurship et aux instances politiques.

Divisions bien floues que sont alors celles entre le monde virtuel, ce pays imaginaire et les frontières géo-politiques actuelles, 8th Wonderland ne regroupe pas ses citoyens (comme le dit un des membres) par l’acte de naissance - il reste aléatoire et détermine pourtant essentiellement les contraintes politiques d’un individu - mais bien par leur naturalisation et leur dévotion à un principe qu’est celui de parvenir à faire avancer l’humanité par la force du nombre. Guidé par ces quelques décisions, les semences du groupe seront ensuite amenées, même après son extinction, à propager l’idéal d’une nation virtuelle basée sur quelques valeurs idéales de la démocratie (en suivant la métaphore des cafards « aveugles » mené par un cafard intelligent qui ouvre et clôt le film). En transgressant les lois de l’espace et du langage cinématographique, les cinéastes parviennent à dissiper visuellement les barrière entre les deux strates de réalités. D’un plan séquence dans un salon au même finissant dans un studio télé, l’espace public de Chomsky où l’information qui navigue par les médias (et médiums) cimente une vision du monde donnée au public et représentée par quelques brillants interprètes. Léché, maîtrisé, 8th Wonderland est un film essentiel qui, sans rien inventer de ce qui maraude déjà sur la toile, met de l’avant une vision esthétique remarquable et des préoccupations hautement louables dans le registre de la (science-)fiction d’anticipation.




Version française : -
Scénario : Nicolas Alberny, Jean Mach
Distribution : Matthew Géczy, Robert William Bradford, Alain Azerot, Éloïssa Florez
Durée : 94 minutes
Origine : France

Publiée le : 29 Juillet 2009