WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Catimini (2012)
Nathalie Saint-Pierre

Délit d'exister

Par Olivier Lamothe
Nombreux sont ceux comme Kieslowski à avoir abandonné le documentaire, s’étant heurtés à l’indicibilité du réel. Parce que la caméra est une arme qui la plupart du temps tranche impitoyablement, traiter d’une question sociale par le cinéma relève d’un engagement exigeant, autant de mesure que de rigueur. C’est donc un parcours périlleux, à moins, bien sûr, de verser dans la facilité un peu rustre du pamphlet dénonciateur. À l’inverse de certains films-reportages destructeurs récents, Catimini, de Nathalie Saint-Pierre, propose d’aborder la question des foyers d’accueil et du système qui les sous-tend par l’entremise d’une proposition esthétique d’une délicatesse qui évite le choc, mais pas la collision. 
 
Quatre saisons. C’est grosso modo ce qui est nécessaire pour faire un tour d’horizon de quatre vies liées par le fardeau du ballotage d’une famille d’accueil à une autre. De la toute petite Cathy à la jeune adulte nouvellement affranchie de son centre jeunesse, bien que la toile de fond soit simple, pour ne pas dire simplette en apparence, elle est le terreau fertile qui permet d’adhérer au processus. De cette façon, le spectateur n’est pris dans aucun piège, sinon que celui de son propre jugement, et c’est là que le film trouve son erre d'aller. Le dialogue est amorcé. 
 
D’abord la douceur du rythme surprend. Ou alors, elle ne surprend pas, puisqu’il est sans remous. Mais il s’agit là d’une condition essentielle afin de rendre empathique le regard posé sur la situation sans ambiguïtés éthiques. Par exemple, lorsque le temps s’épuise dans une succession lente d’activités estivales, ou bien dans un orage qui les freine, il apparaît comme une fatalité objective qui se contente d’aller en soi, un peu comme il en est pour Cathy qui débarque à peine dans sa nouvelle famille d’accueil. À ce moment, alors que tout le monde semble s’amuser d’un rien, elle peine à exister parmi « les siens ». Puis le cinéma opère : assise sans grande vivacité dans un bassin gonflable rempli d’eau, un klaxon de train envahit graduellement l’environnement sonore festif pour en abstraire le sens immédiatement compris. La fillette, à ce moment, se plonge les oreilles sous l’eau et part dans les nuages, amenant le spectateur avec elle dans son non-lieu. C’est une force du film que de ne pas tomber dans la caricature accusatrice. En esquissant les non-lieux de l’enfance, ces zones tampons de protection, donc en suggérant des moyens de survie psychologique rudimentaires, Catimini invite davantage à un retour critique qu’à une colère irrationnelle envers le système qui porterait aussi loin qu’un coup d’épée dans l’eau.
 
À ce titre, il semble que la réalisatrice n’ait pas hésité à employer tous les moyens cinématographiques mis à sa disposition, toujours en en calculant scrupuleusement la pertinence. Notons entre autres les transitions de scène qui ont le même double rôle d’unicité du récit et de compréhension empathique envers le personnage. Comment dans le contexte, par exemple, exprimer mieux le rejet et le déchirement de perdre un foyer d’accueil que par un voyage en voiture où la caméra, discrète, presque cachée devant la banquette pour éviter l’intrusion, filme une enfant qui semble pétrifiée d’incertitude d’être amenée vers un endroit inconnu? Ailleurs, dans une chambre, c’est la solitude due à la terreur d’intégrer de nouveaux milieux qui contraste avec les enguirlandages ordinaires du hors champ. Comment ensuite mieux suggérer l’impuissance de l’individu qui, à la moindre gaffe, se fait enfermer dans un de ces centres de détention aussi longtemps qu’il le faut? 

Faisant état d’un manque de spontanéité qui enfarge, c’est le jeu des jeunes interprètes qui demeure à plusieurs moments la plus apparente défaillance technique. Ils ont un texte à enchaîner, et ils s’y collent un peu trop. D’un autre côté, l’ensemble des caractéristiques sociales incarné par les personnages plus vieux détonne de richesse dramatique. On pense à Réjeanne (Isabelle Vincent), la tutrice du premier foyer d’accueil. Elle est insupportable tellement elle trahit une autorité sans bonté à laquelle n’importe quel enfant rétorquerait qu’elle n’est pas sa mère. Avec son parler infantilisant et à la limite méprisant, truffé de formules creuses qui se répéteront de manières différentes dans d’autres institutions, Réjeanne symbolise l’absurdité de l’autorité institutionnelle. De plus, il faut saluer le jeu des deux jeunes actrices qui tiennent les rôles de Mégane (Rosine Chouinard-Chauveau) et de Manu (Frédérique Paré). Elles ont bien deux caractères complètement différents, chacune déploie un jeu intérieur qui leur évite tout pathétisme associé aux couleurs de leurs rôles.
 
Catimini est un film dont les imperfections côtoient les meilleures qualités. Il en émane parfois autant de grâce qu’il provoque de grincements de dents. Si la fin demeure bancale, c’est en raison d’un dénouement qui paraît vouloir boucler la boucle à tout prix. Mais compte tenu des efforts soutenus pour dégager du sens de la proposition initiale, ça en fait un film qui aura permis au public de s’exposer à une vision à la fois compréhensive et critique d’un système public défaillant. Bien sûr le fan-club de la polémique et autres moralisateurs amoraux verront dans la proposition esthétique de Nathalie Saint-Pierre une absence de position. Scénariste, réalisatrice, monteuse et productrice de son film, si les faiblesses manifestes trahissent un manque de contrôle circonstanciel, Nathalie Saint-Pierre aura certainement démontré qu’elle est souveraine sur le terrain de ses idées. Elle se place assurément, en ce sens, en position d’autorité sur son processus de création. Et c’est ça une auteure.
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Critique publiée le 25 janvier 2013.