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Promised Land (2012)
Gus Van Sant

L'argent ne doit pas tout acheter

Par Jean-François Vandeuren
Troisième collaboration entre Matt Damon et Gus Van Sant après l’oscarisé Good Will Hunting et le beaucoup plus viscéral Gerry, Promised Land s’impose rapidement comme la réalisation la plus classique que nous ait proposée le cinéaste américain à ce jour. Une volonté de s’attaquer à des projets plus conventionnels - mais non moins significatifs - qu'avaient récemment laissé paraître le puissant, mais usité, Milk comme la romance tragique de Restless. Mais même lorsqu’il opère à partir d’un canevas clairement défini dont nous sommes généralement en mesure de prédire les dénouements bien avant la fin du premier acte, le cinéaste sait toujours intégrer les nuances nécessaires pour qu’émane de son oeuvre une humanité lui permettant de s’élever au-dessus de la majorité des productions dont elle suit les traces. Et c’est de nouveau le cas avec le récit de Steve Butler (Damon), un représentant d’une compagnie énergétique croyant venir en sauveur dans une région isolée des États-Unis dont les habitants auraient grand besoin de tous les bénéfices que l’exploitation de leur sous-sol pourrait générer. Entendons-nous bien, si Steve a lui aussi grandi au coeur d’une communauté rurale comparable à celle qu’il investit aujourd’hui avec sa collègue Sue (Frances McDormand), ce dernier se veut avant tout l’employé d’une entreprise valant des milliards. Une idée que Van Sant soulignera d’entrée de jeu en présentant son protagoniste en compagnie de certains haut placés dans le chic restaurant d’un grand hôtel. Steve demeure néanmoins convaincu qu’il est là pour faire le bien, certitude qui rendra son inévitable prise de conscience beaucoup plus marquante que si le personnage nous avait simplement été présenté comme une ordure de première dès les premiers balbutiements du présent exercice.

D’une façon ou d’une autre, le cinéma de Gus Van Sant aura continuellement traité de la mort et de ses effets au cours de la dernière décennie et Promised Land ne fait aucunement exception à la règle. Il n’est évidemment pas question ici de l’assassinat d’un politicien qui aura marqué l’Histoire à sa façon (Milk), d’un bête accident qui pourrait ruiner l’existence à peine entamée d’un adolescent s’étant retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment (Paranoid Park) ou d’une vedette du rock croulant de plus en plus sous le poids de sa propre popularité (Last Days), mais plutôt de l’agonie présumée de tout un mode de vie et d’une façon de concevoir la notion de responsabilité face à un certain héritage naturel et humain. C’est le quotidien d’une Amérique enfouie qui est en jeu, constamment menacée par la réalité de marchés financiers dont le sort est décidé dans les grands centres, à des kilomètres de ces microcosmes à la santé de plus en plus précaire. Le débat tournera évidemment ici autour des effets néfastes que les méthodes d’extraction de cette richesse naturelle pourraient potentiellement avoir sur la condition de ce vaste territoire et la qualité de vie de ses habitants. C’est un homme du nom - assez peu subtil - de Dustin Noble (John Krasinski), qui prétendra avoir perdu sa ferme suite à l’exécution de pareils travaux dans sa région natale, qui rendra le travail de Steve soudainement beaucoup plus difficile. Le village sera ainsi le théâtre d’une guerre idéologique qui prendra de plus en plus les traits d’une campagne électorale, voire d’un bête concours de popularité - idée qui sera renforcée par le triangle amoureux qui semblera vouloir se former autour d’une institutrice idéaliste (Rosemarie DeWitt).

Certes, le discours écologique auquel Promised Land tente de sensibiliser son public n’aurait pu être mis de l’avant d’une manière plus flagrante, voire insistante. Van Sant réservera à cet effet une longue séquence au personnage de Dustin afin que celui-ci puisse faire une présentation à une classe de jeunes enfants - et aux spectateurs par la même occasion - afin de vulgariser les risques auxquels s’exposerait la région si elle finissait par accepter l’offre de la compagnie. Mais comme c’est ordinairement le cas lorsqu’un cinéaste de talent décide de s’attaquer à une trame narrative beaucoup plus éculée, ce ne sont pas tant les ingrédients que Van Sant intègre à sa recette plus que sa façon de les apprêter qui permet au bout du compte à Promised Land de transcender les nombreux clichés dont il se prévaut. Le réalisateur fera de nouveau preuve ici d’un grand méthodisme, jumelant les images aussi sobres que travaillées du directeur photo Linus Sandgren à un univers obéissant à des valeurs essentielles et une musique folk nous rappelant à l’occasion ce que Van Sant avait su tirer jadis des compositions du défunt Elliott Smith. Mais là où le présent long métrage se démarque véritablement, c’est dans cette façon de ne jamais diaboliser systématiquement ses personnages, traitant plutôt ceux-ci comme les acteurs d’un système dont personne ne perçoit les rouages de la même façon. « It’s a job », résumera Sue, dont la motivation demeure avant tout de subvenir aux besoins de son jeune fils dans une économie qu’elle sait des plus fragiles. Ce que souligne en revanche le scénario de Damon et Krasinski, c’est que tout ne pourra pas toujours être réduit qu’à une simple question d’argent.

Les conclusions auxquelles en viendra finalement Steve seront en soi les mêmes que celles que tirait en bout de ligne le personnage de Matt King (George Clooney) dans le sublime The Descendants d’Alexander Payne. Les deux individus devront ainsi décider du sort d’un territoire immaculé - à sa façon - dont l’exploitation rapporterait une fortune, mais anéantirait par la même occasion une autre région du globe que la réalité économique n’avait pas rattrapée jusque-là. « I’m not a bad guy », clamera Steve tout au long du récit. Mais il y a toutefois une différence énorme entre être le bon et ne pas être le méchant. Steve possède bien toutes les qualités d’un homme respectable. Ce dernier s'identifiera d’ailleurs à cette vieille paire de bottes qu’il refuse de remplacer par un modèle plus récent, et surtout moins robustes, représentant bien la ténacité de ces villages où il doit s’aventurer pour remplir un mandat qui, au fond, ne lui sied guère. Mais la valeur d’un individu ne peut être calculée qu’en fonction des gestes qu’il décide de poser ou de ne pas poser. Un revirement de situation pour le moins inattendu prouvera bien ce que Steve aura prétendu depuis le début tout en pavant la route vers son salut et lui faisant prendre conscience d’un jeu de pouvoir n’étant définitivement pas disputé à forces égales. Le tout nous sera évidemment présenté à travers la vision (beaucoup trop) candide du personnage interprété tout en retenu par Matt Damon. Une caractéristique dont Gus Van Sant se jouera d'ailleurs de belle façon en fin de parcours en soulignant justement qu’il ne s’agit peut-être pas tant de naïveté plus que d’un refus de voir la réalité telle qu’elle est.
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Critique publiée le 3 janvier 2013.