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This Is 40 (2012)
Judd Apatow

Ni doux ni amer

Par Jean-François Vandeuren
Personne n’échappe au passage du temps. Mais avec l’âge ne viennent pas seulement que les signes de plus en plus apparents du vieillissement sur la surface de notre peau et les problèmes de santé ralentissant considérablement un corps n’arrivant plus à être aussi performant qu’il l’a déjà été. Des changements s’opèrent également au niveau des mentalités alors que les préoccupations ne sont évidemment plus les mêmes que par le passé. Les folles années où tout pouvait être pris à la légère sont désormais loin derrière. Le cercle d’individus dépendant de nous se sera passablement élargi au fil des ans et avec eux seront venus un nombre toujours croissant de responsabilités devant être prises chaque jour en considération. Le tout menant inévitablement à un certain assagissement, les désirs et les pulsions ne pouvant plus se réaliser qu’après qu’aient été pesés le pour et le contre. Ayant déjà franchi le cap des quarante ans il y a quelques années tandis qu’il s’affairait à sortir la comédie américaine de son marasme, Judd Apatow nous offre avec This Is 40 un portrait peu clément, voire parfois carrément effrayant, de cette période charnière de l’âge adulte oscillant entre carrière, vie de couple et vie de famille. Mais s’il n’hésitera pas à faire passer ses personnages de Pete (Paul Rudd) et Debbie (Leslie Mann) à travers une quantité incalculable de situations épineuses dans cette pseudo suite du très amusant Knocked Up de 2007, le réalisateur ne semble plus opérer avec les mêmes réflexes comiques qu’autrefois. Apatow a gagné en maturité. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son cinéma a pris un sacré coup de vieux.

Nous serons donc réintroduits au quotidien de Pete et Debbie alors qu’ils s’apprêteront tous deux à fêter leur quarantième anniversaire de naissance. Les célébrations marqueront toutefois le début d’une période trouble pour le couple, lui qui aura de plus en plus de difficulté à s’allouer du temps à lui-même en raison des enfants qui demandent toujours autant d’attention, mais également de problèmes financiers qui pourraient menacer le style de vie des plus aisés qu’il aura pris des années à mettre sur pied. D’un côté, la maison de disque de Pete n’arrivera pas à faire renaître l’intérêt pour le vieux groupe qu’il vient de signer. De l’autre, Debbie suspectera que l’une des employées de sa boutique l’ait fauchée de plusieurs milliers de dollars. Le tout en plus des sommes que Pete verse périodiquement à son père (Albert Brooks) afin que celui-ci puisse subvenir aux besoins de sa nouvelle femme et de leurs triplets. La figure paternelle en prend d’ailleurs pour son rhume dans This Is 40, prenant tour à tour la forme d’un irresponsable, d’un homme immature ne se montrant pas assez affectueux envers ses filles, et d’un père absent (John Lithgow), avec qui Debbie espère toujours développer une relation plus harmonieuse. Apatow passera ainsi à travers tous les clichés que le cinéma  met généralement en scène pour traiter de la quarantaine. Du comportement insupportable d’une progéniture atteignant la puberté en passant par la perte de désir au sein du couple, l’installation d’une routine et les problèmes d’argents, Apatow aborde chacune de ces thématiques sans se soucier de la surenchère, comme s’il s’agissait d’ingrédients indispensables à une recette donnée. Mais ce qui ressort surtout de This Is 40, c’est le pessimisme plus qu’étouffant dont fait preuve le cinéaste, et ce, du début à la fin.

Le parcours de Pete et Debbie sera ainsi continuellement marqué par les échecs et les tourments émotionnels, tandis que les quelques réjouissances sur lesquelles ils pourront s’appuyer seront aussi rares que de très courte durée. Nous ne pouvions évidemment nous attendre à ce que l’Américain nous présente une vision fleur bleue de la quarantaine, lui dont le cinéma aura toujours tourné autour des craintes rattachées aux responsabilités de la vie d’adulte. Mais là où l’ensemble finit par souffrir de son propre défaitisme, c’est justement dans la façon dont celui-ci n’offre aucun contrepoids à la majorité des situations dramatiques qu’il met en scène et dont le cinéaste semble prendre un plaisir sadique à repousser les limites. Parallèlement, Apatow n’a pas perdu son habitude d’étirer ses séquences en longueur pour nous proposer au final un film dépassant largement les deux heures, phénomène toujours aussi inhabituel dans le domaine de la comédie. Ce dernier sera pourtant parvenu par le passé à bien équilibrer cette volonté de relever la tangibilité de son univers en marquant le temps d’une séquence donnée sans nécessairement se soucier de la façon dont celle-ci s’inscrirait dans la dynamique du film. Apatow aura d’ailleurs été bien servi par l’apport comique des Seth Rogen, Jonah Hill et compagnie, dont le goût pour l’improvisation venait conférer ce côté plus naturel et spontané indispensable à la réussite de son oeuvre. Cette particularité aura toutefois été complètement évacuée ici au profit d’un récit où l’humour - souvent peu efficace - aura laissé beaucoup plus de place au drame. Les longues scènes de dispute ne feront alors plus que s’accumuler, laissant de plus en plus paraître les traits d’une écriture beaucoup trop rigide et calculée au coeur d’une démarche qui, elle, ne l’est aucunement.

Il deviendra du coup assez facile de perdre tout intérêt pour la « triste » histoire de Pete et Debbie, pour lesquels il sera également difficile d’éprouver la moindre empathie. Apatow aura frappé un mur avec This Is 40 en refusant de faire évoluer la formule ayant fait sa réputation, et ce, aussi bien auprès de ses admirateurs que de ses détracteurs, mais en cherchant plutôt à modeler celle-ci à partir d’une prémisse dépendant beaucoup moins de la comédie. Le résultat se veut un film doux-amer exécuté sans la moindre douceur, s’attaquant aux images les plus éculées de ce type d’entreprises d’une manière qui, pour sa part, s’avère souvent totalement dépourvue du regard perçant et incisif avec lequel Apatow savait regarder au-delà de ses précédentes mises en situation. L’ensemble apparaît ainsi comme une énième version d’une histoire archiconnue que l’Américain se sera contenté de servir à sa propre sauce. L’attention est de nouveau portée davantage sur la livraison des dialogues - qui, malgré leur qualité, semblent tout de même avoir été écrits sur le pilote automatique - que sur le travail de mise en scène. À cet égard, nous devons tout de même souligner le jeu énergique d’une distribution se tirant admirablement d’affaire. Apatow aura néanmoins gardé son meilleur coup pour la fin en refusant de se tourner vers la magie du cinéma pour mettre un terme à la moindre de ses sous-intrigues de manière définitive, n’offrant au final qu’une lueur d’espoir à un couple qui saura affronter le pire s’il sait simplement rester uni. Conclusion admirable qui ne saurait toutefois excuser entièrement le manque de verve et d’imagination avec lequel aura été édifié le récit qu’elle vient terminer.
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Critique publiée le 21 décembre 2012.