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Pusher (2012)
Luis Prieto

Le jeu des comparaisons

Par Jean-François Vandeuren
À peine un an après que Nicolas Winding Refn ait finalement été révélé au grand public grâce au mémorable Drive, quelqu’un au Royaume-Uni aura jugé qu’il serait pertinent d’offrir une nouvelle version - tournée dans la langue de Shakespeare, évidemment - du premier long métrage du cinéaste danois. Entreprise opportuniste s’il en est une, c’est sans surprise que le présent Pusher de Luis Prieto se révèle être un exercice des plus futiles, et d’un goût parfois franchement douteux. Si c’est ce que nous pouvons penser de la grande majorité des remakes ayant abouti sur les écrans au cours des quelques dix dernières années, il est particulièrement désolant de constater à quel point cette nouvelle mouture ne s’avère jamais en mesure de justifier son existence, ne serait-ce que d’un point de vue esthétique. Si le Danois ne faisait pas non plus dans la dentelle en ce qui a trait à l’édification des bases de son scénario, ce dernier réussissait tout de même à exprimer le sentiment de danger inhérent au milieu criminel dans lequel il s’immisçait, sa vision de ce monde demeurant d’ailleurs beaucoup plus tangible que celle exposée ici, et ce, même seize ans après son dévoilement. De son côté, Prieto fera preuve d’une paresse créatrice affolante d’entrée de jeu en offrant une piètre caricature filmée au goût du jour de ce même univers, auquel ce dernier ne parviendra jamais à ajouter le moindre relief comme il ne semblera jamais savoir ce qu’il désire réellement en faire ou en tirer.

Une telle initiative s’expose bien évidemment à l’inévitable jeu des comparaisons et il sera on ne peut plus flagrant dès les premiers instants du présent exercice que Luis Prieto aura lamentablement perdu son pari. L’intérêt que pourra porter le spectateur à la trame narrative comme aux enjeux dramatiques du scénario de Matthew Read s’effondrera ainsi sous le poids d’une entrée en matière souffrant d’une mise en scène irréfléchie et d’une introduction à une nouvelle distribution aussi mal assemblée que dirigée. Si Richard Coyle succède à Kim Bodnia dans la peau du protagoniste en communiquant le même bagage émotionnel, mais sans lui apporter la moindre nuance, et que Zlatko Buric reprend pour une quatrième fois en autant de films les traits de son personnage de trafiquant de drogues, mais d’une manière beaucoup moins habitée, c’est la prestation aussi grossière qu’insupportable de Bronson Webb dans un rôle que campait avec beaucoup plus de retenu l’excellent Mads Mikkelsen qui nous fera automatiquement grincer des dents. Il n’y a étonnamment que l’ancien mannequin devenu actrice Agyness Deyn qui réussira ici à tirer son épingle du jeu grâce à une performance beaucoup plus sobre, mais beaucoup plus sentie également. Pusher ressort ainsi comme l’exemple parfait de tout ce qu’un cinéaste ne doit pas faire lorsqu’il tente de s’approprier la création d’un autre. Le film de Luis Prieto nous confrontera bien souvent aux mêmes séquences, aux mêmes dialogues, aux mêmes plans et aux mêmes effets de style que le long métrage de Nicolas Winding Refn. Mais au-delà de cette impression de déjà-vu, l’échec de Pusher découle d’un traitement criard derrière lequel nous ne sentons aucune réflexion, rendant le discours comme la course contre la montre qu’il met en scène beaucoup moins pertinents et engageants.

Il faut dire que l’exercice de comparer les opus de 1996 et 2012 s’apparente davantage à celui que nous réaliserions d’ordinaire pour examiner les forces et les faiblesses de deux productions d’une même pièce de théâtre. Le même texte, les même mots, traité par deux metteurs en scène différents peut évidemment mener - comme c’est le cas ici - à des résultats diamétralement opposés. Il deviendra d’ailleurs vite impossible de ne pas repérer tous les changements apportés à l’oeuvre originale afin que celle-ci puisse s’intégrer à cette nouvelle réalité temporelle et géographique, lesquels relèvent essentiellement d’un souci de ne pas offrir un scénario en tous points identiques au précédent. De telles modifications ne feront d’ailleurs pas toujours part d’une logique implacable dans leur façon de servir de tremplin pour la suite des événements, en plus de nuire parfois considérablement à l’intensité dramatique ou d’amoindrir l’importance de certaines séquences en raison de leur développement beaucoup trop précipité. Ainsi, là où le cinéaste danois soulignait continuellement la saleté comme la cruauté et la noirceur de ce milieu pour en tirer un portrait aussi repoussant que possible, Luis Prieto y sera allé pour sa part d’une démarche maladroite et beaucoup plus tape-à-l’oeil se rapprochant davantage de celle du plus commun des vidéoclips ou d’un film de gangsters de bas étage. Une facture esthétique à laquelle les élans électro du groupe anglais Orbital - même si parfois excellents - ne rendent pas non plus service, ne parvenant pas à exprimer de façon plus concrète ou effective ce parcours prenant un temps fou à se mettre en marche et à nous faire ressentir la lourdeur du temps qui passe.

Après un premier tiers pour le moins catastrophique, Luis Prieto parviendra bien à corriger légèrement le tir afin de mettre lentement, mais sûrement, la table pour un dernier acte un peu plus fonctionnel, mais sans réussir toutefois à communiquer aussi fougueusement que son prédécesseur toute la détresse de son protagoniste tandis que celui-ci verra ses options disparaître les unes après les autres. Et lorsque le réalisateur espagnol semblera finalement se rapprocher d’un tel résultat, ce dernier ira encore une fois d’une approche beaucoup trop clinquante et dépourvue de minutie pour que nous puissions lui accorder l’attention qu’il aurait pourtant dû mériter. Le tout au coeur d’une intrigue où tout ce qui était habilement sous-entendu dans le film de Winding Refn sera souligné à gros traits dans celui de Prieto. Il faut dire que le réalisateur de Drive réussissait à convaincre le spectateur de prendre pour un être antipathique n’ayant rien d’un héros en lui faisant ressentir tout le poids pesant de plus en plus sur ses épaules. Malgré ses airs de truand, le Frank de Kim Bodnia attirait la sympathie du public, car il affichait une complexité qui le rendait plus humain, plus vulnérable, et ce, indépendamment de l’univers dans lequel il évoluait. Celui de Richard Coyle, en revanche, s’avère être si grossièrement esquissé que nous ne pouvons au final que nous désintéresser totalement du sort qui lui sera réservé. Espérons à présent que Prieto n’aura pas l’ambition de poursuivre son travail de démolition en s’attaquant aux deux excellentes suites ayant complété la trilogie des plus atypiques du cinéaste danois. En particulier si cela implique de devoir supporter une autre ignoble prestation de Bronson Webb, qui serait normalement la tête d’affiche du prochain épisode.
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Critique publiée le 13 novembre 2012.