WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

A Liar's Autobiography - The Untrue Story of Monty Python's Graham Chapman (2012)
Bill Jones, Jeff Simpson et Ben Timlett

La mort, sourire aux lèvres

Par Mathieu Li-Goyette
Une vingtaine d'années après le décès du Monty Python Graham Chapman, ses collègues d'antan (excepté Eric Idle, relativement peu aimé de ses frères d'armes) se réunissent dans un film-hommage émouvant, totalement dans l'esprit du Flying Circus, de son Graal et du sens de la vie; utilisant une lecture de Chapman de son autobiographie lue en 1986, les cinéastes Bill Jones (fils de Terry), Jeff Simpson et Ben Timlett invitent les Python a reprendre leurs propres rôles tout en faisant régulièrement des allusions à leurs sketchs les plus connus. Campés dans un film d'animation où les styles les plus variés se croisent pour rendre hommage à un créateur aux nombreuses vies, chutes, ascensions et rechutes, les personnages de l'autobiographie se développent autour d'une vision subjective et hallucinée. Le voyage dans la vie de Chapman doit énormément au cinéma d'animation déjanté des années 60 et 70, allant de Yellow Submarine à Fritz the Cat en passant par Heavy Metal... Et cela faisait belle lurette que nous n'avions pas vu un nouveau projet mettant en vedette cette bande de lurons, tout comme cela faisait longtemps que l'animation destinée au circuit commercial ne nous avait pas autant épatés par le courage de ses ambitions et l'inventivité de son style.
 
Mais avant la modernité et les folies psychédéliques, il y a l'enfance, sa psychanalyse signée Freud (Cameron Diaz) et ses parents loufoques. Hommage à son Angleterre natale, sa rencontre avec John Cleese et ses années d'université à Cambridge, les premières scènes se penchent sur un Chapman méconnu, tourmenté par un quotidien gris duquel il tente de s'extirper par la littérature et l'histoire des civilisations. Homosexuel avoué, il rencontre son amant David et se met à l'écriture de ses premiers sketchs en compagnie d'un groupe d'hurluberlus qu'il apprend encore à connaître. Le spectateur est alors catapulté d'une situation impossible à une autre, d'un avion de la Seconde Guerre mondiale où le pilote parvient à faire feu lorsque son copilote se décide de le masturber jusqu'à une fête mondaine où Chapman échange des déclarations stoïques avec un Keith Moon de The Who complètement éclaté. La drogue est à chaque coin de rue, l'excès l'entoure, tant celui du tabac que de l'alcool, des hommes et même des femmes. Présenté comme une série de mensonges, le biopic animé des auteurs est néanmoins porteur d'une honnêteté ravissante, voire surprenante compte tenu de la discrétion de Chapman qui a toujours su se cacher derrière ses personnages.
 
L'autobiographie du menteur contiendrait-elle plus de vérités qu'on aurait voulu nous faire croire? A Liar's Autobiography maintient cette mince séparation entre l'invention pure et le fait biographique. Cette volonté de transformer la vie de Chapman en conte monty-pythonien, elle est permise par une animation dont la multiplicité des formes esthétiques (animation par ordinateur, traditionnelle, sur papier découpé, etc.) renvoie directement à la complexité de la « véritable » vie de l'artiste. La conceptualisation du personnage à multiples facettes nous rappelle le prisme narratif de I'm Not There qui faisait éclater la soi-disant objectivité de l'auteur en une pluralité de subjectivités propres au mythe de Bob Dylan. Cette variété de sketchs ayant aussi le luxe d'exécuter ses allégories lors de transitions fluides qui épargnent au film une structure épisodique qui aurait nui à son rythme, elle joue autant sur le plaisir créatif et simple des Monty Python que sur leur humour mélangeant la satire et le cynisme à travers une série de séquences humoristiques nettement distinctes, mais unies par une thématique partagée.
 
Film à sketchs sans en être un, A Liar's Autobiography émeut autant qu'il sait faire rire. Au fil des réminiscences de son personnage déjà mort depuis 25 ans, une mélancolie contamine les sketchs et transforme les visions fantasmagoriques en marche funèbre amusante. Comme Cleese l'avait déclaré à l'enterrement de son ami, ce dernier aurait souhaité que ses funérailles provoquent le rire plutôt que la tristesse : rien n'a jamais été sacré pour les Monty Python, ni le Graal, ni le Christ et donc encore moins leur existence plongée dans une absurdité passagère dont on se réveille une fois le voyage terminé – morts comme Chapman ou hystériques comme le spectateur. « I live through the fame of other people », désespère Chapman, prisonnier dans un monde où il parodie ceux qui ont été célèbres pour se rendre lui-même célèbre. Le paradoxe de l'imitateur s'empare de lui, le berce dans un spleen gluant, plein de fluides étrangers, d'aventures d'un soir qui ont mal tourné. Les portes de sortie se referment au fil de son ascension au sommet. Plus il deviendra célèbre, plus il sera accablé par une imposture qui, alors que nous y voyons la marque du génie caricaturiste du groupe, nous parvient néanmoins aujourd'hui comme une réflexion profonde sur l'humour et la satire. 
 
Faisant référence à son auteur fétiche, Oscar Wilde, Chapman avait trouvé son propre portrait de Dorian Gray : il le façonnait à chacun de ses gags, il ajoutait une couche à son immortalité en embaumant la culture populaire, en donnant à ceux dont il se moquait un ultime tour de piste, en léguant à ces clowns des actualités et de l'histoire de l'homme – nous sommes tous clowns sans le savoir, nous diraient les Monty Python – un temps figé où le rire aurait depuis longtemps supplanté le sérieux et la fonction originale de ces individus. Comme dans la grande tradition burlesque où les objets se voient détourner de leur usage, Chapman a substitué à cette théorie des choses inanimées des personnalités célèbres en venant décaler ce qu'elles voulaient être, la manière dont elles souhaitaient être représentées. De cette désacralisation des corps qui n'est pas étrangère à l'homosexualité déclarée de Chapman ou au plaisir des membres du groupe à interpréter de nombreux personnages en dépit des conventions de réalisme, allait surgir une vague d'absurde qui emporterait avec elle la bonne tenue anglaise. Après le détournement des objets, les individus allaient y passer. Nous allions tous y passer, sourire aux lèvres.
8
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 22 octobre 2012.