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Words, The (2012)
Brian Klugman et Lee Sternthal

Roman de gare

Par Ariel Esteban Cayer
Je dois admettre d’emblée n’avoir été attiré par ce film que pour sa belle brochette d’acteurs de calibres variés : Bradley Cooper, beau bonhomme sympathique qui demeurera pour toujours, à mes yeux (comme à ceux de plusieurs), ce cher Will Tippin de la télésérie Alias (2001-2006) et qui, depuis peu, accumule les rôles au cinéma hollywoodien; Olivia Wilde, récemment vue dans In Time; Zoe Saldana, toujours très jolie dans des rôles de soutien - sauf cette fois où elle époustouflait, habillée d’images de synthèse, dans le Avatar (2009) de James Cameron - ainsi que J.K. Simmons, Jeremy Irons et Dennis Quaid, trois acteurs assez incontournables et ici sous-utilisés.

Loin d’être assez pour vendre ce film, mais tout de même décents dans leurs rôles respectifs, c’est à se demander comment ils en sont arrivés là. The Words, malgré de belles intentions et une structure narrative plus complexe qu’anticipée, est un étrange film (semi-indépendant) dont le potentiel est plus que miné par ses émotions à l’eau de rose; un film qui ne décolle pas malgré une trame narrative couvrant réalité et fiction, lesquelles s’imbriquent l’une dans l’autre presque ad infinitum, et qui demeure étrangement vide et démuni de vraies émotions. Présentée en film de clôture plus tôt cette année à Sundance, cette première réalisation du duo formé de Brian Klugman et Lee Sternthal (ayant déjà collaboré sur plusieurs projets au sein de l’industrie hollywoodienne, notamment sur le scénario de Tron: Legacy) est essentiellement un drame ultra-sentimental dont le scénario, produit du Sundance Filmmakers Lab de l’année 2000, aborde ce thème ô combien original du pouvoir romantique de la littérature. Romance comme vous en aurez vu des milliers d’autres, The Words est douloureux à regarder par moment, sinon parfaitement adéquat en son genre; un film de premier rendez-vous désastreux dédié à avoir une longue vie à la télévision (il est d’ailleurs distribué par CBS Films). Un film que l’on évacue avec hâte de son esprit avant de passer à un autre, comme tant de films de la programmation du Festival des Films du Monde récemment bouclé et dont The Words faisait partie il y a quelques semaines.

Tourné à Montréal (passant en alternance pour Paris et New York, mais dont les autobus, le Vieux-Port et la Grande Bibliothèque (!) dévoileront le subterfuge aux observateurs aguerris), The Words raconte principalement l’histoire d’un auteur plagiaire (Cooper, dans sa zone de confort comme tous les acteurs de cette distribution) atteignant célébrité littéraire, prestige et fortune avec en mains le manuscrit d’un vieil homme (Irons), trouvé par accident dans une boutique d’antiquités de Paris, qu’il décidera de publier comme le sien. Demeurant assez plaisant pour ses échos alleniens (le monde prestigieux de la littérature new-yorkaise; les scènes d’escapades amoureuses à Paris; la déconstruction de la fiction elle-même au travers du cinéma et du processus créatif), The Words se démarque peut-être uniquement pour sa structure narrative pyramidale et étonnamment ambitieuse qui cherche à imbriquer trois récits l’un dans l’autre. En commençant par celui d’un auteur à succès (Quaid, servant de narrateur principal) nous lisant son plus récent roman et vivant une aventure d’un soir avec une admiratrice (Wilde), The Words dévoile rapidement le récit plagié de ce même livre que Quaid nous lit et qui meuble la majorité du film; cette mise en abîme met, elle, en vedette Cooper et Saldana dans le rôle d’un jeune couple new-yorkais rempli d’ambitions.

Les parallèles commencent à se tisser et comme si ce n’était pas assez, ce principal récit fictif qui nous est montré laisse place à une troisième histoire d’amour (et un deuxième narrateur, Jeremy Irons cette fois), soit celle du livre plagié en question. Pour cette raison, The Words gardera un certain public aux aguets : cette constante remise en question du narrateur - ainsi que l’inhérente ambiguïté qu’un tel exercice narratif représente par rapport à la véracité du récit qui nous est présenté - élève ce piètre feuilleton au-delà de la norme. Il est presque impossible de discerner un personnage principal, car Quaid, Cooper et Irons sont essentiellement les déclinaisons de le même personne : trois auteurs, deux fictifs, deux vivants dans le mensonge de la fiction (littéralement) et un vivant un mensonge à travers sa propre fiction. C’est à en perdre la tête sur papier et ça ne vaut pas particulièrement la peine d’être décortiqué outre mesure, mais Klugman et Sternthal méritent d’être félicités pour avoir réussi à tout faire fonctionner sans anicroche.

De plus, dans cette minime réussite, ils témoignent d’un certain talent (et d'une certaine expérience) en tant que scénaristes - plutôt qu’à titre de cinéastes capables d’autre chose que de manipulation émotionnelle et de cinéma visuellement onéreux - et d’un désir non négligeable de jouer avec la formule d'un film qui aurait pu être bien pire au niveau du fond comme de la forme.

Ceci dit, tout le reste est malheureusement très convenu, médiocre même. Mais si je suis tenté d’aborder The Words de façon clémente, voire même défensive, c’est qu’il est plutôt inutile de gratter une couche si épaisse de fromage. Le sentimentalisme écoeurant à l’emballage minimalement rafraichissant qu’étalent Klugman et Sternthal, trois fois plutôt qu’une, rejoindra presque assurément son public, qu’on le veuille ou non. Loin de moi les prédictions de box-office, mais The Words demeure soutenu par une distribution aguichante plus solide que la norme. Quoiqu’on trouvera déprimant de ne pas voir ces acteurs entre de meilleures mains, The Words est loin d’être assez mémorable - ou offensant - pour valoir le détour - ou la fureur de l’encre.

Pour un film qui, ironiquement, traite de la résilience et de la ténacité de l’art à travers les décennies, The Words s’avère un film on ne peut plus mineur qui tombera rapidement dans l’oubli le plus total.
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Critique publiée le 7 septembre 2012.