WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Dictator, The (2012)
Larry Charles

Seul prophète en son pays

Par Jean-François Vandeuren
Le numéro comique exploité par Sacha Baron Cohen depuis les beaux jours de Da Ali G Show aura souvent amené ce dernier à endosser les traits caricaturés d’un personnage étant difficilement associables à ceux de l’acteur. Le tout dans le but de duper des individus tout ce qu’il y a de plus ordinaires qui, dans bien des cas, n’avaient même jamais entendu parler auparavant du comédien abusant à présent de leur crédulité sans pitié ni retenue. Un concept qui aura particulièrement bien fonctionné de ce côté-ci de l’Atlantique alors que Cohen était surtout connu au Royaume-Uni et sur le Vieux Continent au début des années 2000. Cela explique pourquoi l’audacieux mélange de moments de pur malaise parfaitement orchestrés et de séquences se nourrissant de la stupéfaction bien réelle de ces gens assistant impuissants aux frasques douteuses et d’une grossière indécence de l’alter ego de Cohen s’était révélé si efficace dans le délirant Borat de 2006. Mais une telle formule a néanmoins ses limites, l’acteur ne jouissant plus désormais de l’anonymat indispensable à ce genre de machinations. Même d’un point de vue strictement humoristique et créatif, le Brüno de 2009 n’aura su atteindre les mêmes sommets que la première collaboration entre le Britannique et le réalisateur américain Larry Charles. Nous pouvions du coup avoir nos doutes quant à la « qualité » du présent The Dictator, qui reprend de nouveau la prémisse de l’étranger dont les coutumes et les opinions faussement arriérés en choqueront plus d’un lorsqu’il débarquera en Amérique, terre de toutes les contradictions. Si les deux complices ne réinventent, certes, pas la roue, ils seront tout de même parvenus à donner un second souffle à leur démarche.

La différence la plus notable dans ce cas-ci, c’est que le duo aura complètement délaissé les allures de faux documentaires et les entrevues truquées dont il s’était délecté jusqu’ici pour offrir une oeuvre de pure fiction. Le tout tandis que le coeur du projet demeure évidemment ce nouveau personnage décalé auquel Cohen prête ses traits avec toute la désinvolture qu’on lui connaît. Le comédien se retrouve cette fois-ci dans la peau du général Aladeen, dictateur de Wadiya (un pays fictif situé au nord du continent africain) vivant dans l’opulence et étant sur le point de mettre la main sur l’arme nucléaire. Mais lorsqu’il sera appelé à livrer un discours au quartier général des Nations unies à New York pour « calmer » les tensions, son bras droit Tamir (Ben Kingsley) en profitera pour lui tendre un piège et le remplacer par une doublure afin de permettre à Wadiya de devenir une démocratie et au principal intéressé de vendre son précieux pétrole aux plus offrants. Pendant ce temps, un Aladeen ayant été dépouillé de sa barbe sacrée lors d’une séance de torture s’unira à l’ancien directeur de son programme nucléaire - qu'il croyait avoir fait exécuter - pour reprendre sa place et empêcher la libération de son pays. L’homme d’état déchu infiltrera pour ce faire la boutique d’aliments biologiques de Zoey (Anna Faris) afin de se servir de ses connections et ainsi infiltrer le prestigieux hôtel où doit avoir lieu la signature de cette déclaration historique. Aladeen finira évidemment par changer peu à peu de mentalité lorsqu’il s’éprendra de la jeune idéaliste aux aisselles négligées, qui lui fera prendre conscience d’une tout autre réalité.

Nous saurons évidemment à quel genre d’humour nous aurons droit dès la toute première image du film, nous indiquant que le présent opus est dédié à la mémoire du regretté Kim Jong-il. Nous serons ensuite conviés à un véritable buffet « all you can eat » de blagues à saveur sexuelle, raciste, misogyne, antisémite et scatophile, que le duo Charles-Cohen nous servira d’une manière toujours aussi enthousiaste et convaincue - une séquence d’accouchement repoussant les limites du bon goût nous en donnera une preuve pour le moins hallucinante. Comme à l’habitude, l’humour se déploie ici de façon quasi unilatérale à travers les gestes répréhensibles et le discours on ne peut plus louches du personnage principal. Le réalisateur tirera d’ailleurs profit de cette nouvelle approche visuelle permettant au concept de gagner en importance tout en offrant un nombre beaucoup plus imposant de possibilités comiques à la star par la même occasion, et ce, même si la trame narrative de The Dictator demeure en soi assez limitée, voire même déficiente par moments. De sorte que le délire proposé par ce nouveau projet saura assurément satisfaire les fans de la première heure du comédien et de son humour toujours aussi décapant, mais ne risque pas de convertir ceux qui n’avaient pas été convaincus auparavant. Nous ne pouvons néanmoins que saluer une fois de plus l’audace - ou la témérité, c’est selon - de Sacha Baron Cohen, qui aura su trouver de nouvelles façons de rire de choses somme toute assez sérieuses en entourant ses méfaits d’un parfum de scandale qui, comme à l’habitude, finira par lui être beaucoup plus favorable que nuisible au bout du compte.

Il émane évidemment de cette production aussi immature qu’irrévérencieuse plusieurs moments de comédie absolument jouissifs, mais dans un ensemble où la livraison de gags ressemble cependant beaucoup trop à une suite d’essais et d’erreurs, certains atteignant des sommets vertigineux, d’autres ne produisant pas le moindre effet. Une inconstance résultant ici du caractère beaucoup trop décousu du scénario. Mais même si l’exercice ne se révèle finalement pas aussi surprenant, voire insolite, que Borat, The Dictator réussit tout de même à s’imposer par ses propres moyens, même si la matière historique et politique qu’il tourne en dérision aura déjà alimenté nombre de projets artistiques aussi sérieux qu’humoristiques au cours de la dernière décennie. Cohen et ses acolytes auront d’ailleurs trouvé une façon particulièrement ingénieuse de servir une version actualisée de ce qu’avait accompli Charles Chaplin au début des années 40 avec The Great Dictator - auquel le titre du présent effort fait évidemment référence - en se permettant à son tour un discours final cherchant à éveiller la conscience des spectateurs. Une séquence clé venant de nouveau prouver la légitimité des méthodes de Cohen, homme qui se sera donné le droit de rire de tout et qui aura su nous convaincre d’en faire autant tout en portant à réflexion. Il ne resterait plus à ce drôle de génie comique prêt à tout pour arriver à ses fins que d’insérer et de solidifier ses élans à l’intérieur d’un récit un peu plus travaillé plutôt que de tirer dans toutes les directions en espérant atteindre un maximum de cibles à l’usure. Une technique qui se sera, certes, révélée payante dans le cas de Cohen, mais qui ne satisfait jamais pleinement malgré tout.
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Critique publiée le 16 mai 2012.