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Lady, The (2011)
Luc Besson

Jamais sans mon pays

Par Jean-François Vandeuren
La sortie d’un nouvel opus produit, réalisé et/ou scénarisé par Luc Besson est toujours l’occasion de porter un regard rétrospectif sur la filmographie pour le moins hétéroclite du cinéaste français afin de déterminer la place occupée par ce nouveau morceau de cinéma au sein de celle-ci. Et The Lady ne fait aucunement exception à la règle, même qu’il semble vouloir la confirmer plus que toute autre production parue par le passé. Il faut dire que la carrière du cinéaste, qui nous avait jadis habitués à des spectacles exubérants, violents et hautement stylisés, aura pris un virage pour le moins curieux au début des années 2000, lui qui aura notamment apposé sa signature sur la trilogie de films pour enfants Arthur et les Minimoys et les soporifiques Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec. Malgré tout, c’est peut-être The Lady qui marque l’éloignement le plus significatif de cette idée que nous nous faisions du cinéma de Luc Besson, évacuant le côté fantaisiste ou purement spectaculaire de sa démarche pour porter à l’écran de la manière la plus convenue qui soit ce premier scénario d’envergure de la Britannique Rebecca Frayn. The Lady s’avère un choix de projet d’autant plus inusité pour celui qui, récemment, donnait encore dans la science-fiction de série B avec le malheureusement raté Lockout. Le présent drame biographique apparaîtra du coup comme une tentative du réalisateur de retrouver une certaine notoriété ainsi que la crédibilité dont il jouissait jadis sur la scène internationale, lesquelles se seront certainement effritées depuis les beaux jours du Grand bleu et de Léon: The Professional. Le tout de la dernière façon dont nous aurions pu nous attendre à voir le Français tenter de reconquérir ses lauriers.

Après s’être attaqué au mythe de Jeanne d’Arc dans le (peut-être trop) ambitieux The Messenger de 1999, Besson propose ici un autre portrait d’une grande figure féminine en la récipiendaire du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi (Michelle Yeoh). Fille d’un général birman assassiné à la fin des années 40 alors qu’il préparait la démocratisation de son pays - comme ce fut trop souvent le cas dans ces régions du globe -, Suu Kyi aura vécu la majeure partie de sa vie en dehors de son pays d’origine, notamment en Angleterre, où elle aura épousé l’universitaire Michael Aris (David Thewlis). Lorsque celle-ci sera appelée au chevet de sa mère mourante à la fin des années 80, son retour à Rangoon sera également marqué par l’appel d’une mère patrie réclamant son soutien afin que sa population puisse enfin être libérée du régime militaire des plus violents qui la tient en laisse depuis beaucoup trop longtemps. Suu Kyi deviendra alors un symbole d’espoir et participera activement à la fondation de la Ligue nationale pour la démocratisation en cherchant à rallier un peuple qui avait déjà la plus grande admiration pour son défunt père. Mais malgré une victoire écrasante lors des premières élections du pays en près de trois décennies, l’armée refusera de céder le pouvoir et Suu Kyi sera placée en résidence surveillée. La dame sera dès lors séparée durant de longues périodes de son mari et de ses deux fils qui, de leur côté, multiplieront les efforts pour que sa cause et celle de la Birmanie soient entendues sur la scène internationale.

Au-delà de la volonté de Suu Kyi de mener ce long combat jusqu’au bout malgré la répression dont elle et les membres de son parti seront continuellement les cibles (ce qui mènera inévitablement à plusieurs moments de bravoure aussi émouvants qu’inspirants), la trame dramatique du scénario de Rebecca Frayn s’articulera principalement autour de cette séparation familiale. Les mains liées, ne se nourrissant plus que d’espoir, Aung San Suu Kyi poursuivra sa lutte pour la liberté, et ce, peu importe quel sera le prix de ses convictions. C’est d’ailleurs cette division - renforcée par les contrastes entre la chaleur et la verdure des paysages birmans et le temps froids et mornes régnant sur les rues d’Oxford - qui permettra à ce récit somme toute classique de révéler quelques traits un peu plus authentiques. Le tout sera évidemment alimenté par une scission tout aussi prononcée entre le régime au pouvoir, dont la cruauté sera toujours soulignée à gros traits, et le mouvement aspirant à la tête du pays et à une paix durable, dont la volonté de ne jamais recourir à la violence et donc de ne pas employer les mêmes méthodes que leur adversaire sera elle aussi particulièrement mise en évidence. The Lady nous confrontera du coup au lent passage des années et des saisons, lequel sera marqué par l’isolement et la désolation, mais aussi par la persévérance et cette attitude unilatéralement posée face à l’adversité. Le portrait d’Aung San Suu Kyi que proposent Frayn et Besson se veut ainsi un hommage à la protestation pacifique, à la confiance de voir les choses changer un jour pour le mieux, dans un conflit où l’héroïne devra se désincarner pour pouvoir incarner ce vent de changement.

Les limites des écrits de Rebecca Frayn se feront néanmoins sentir là où son auteure aurait dû s’affairer à dresser un portrait beaucoup plus exhaustif de la situation birmane en soulignant davantage les raisons politiques et économiques ayant freiné sa progression plutôt que de concentrer la quasi-totalité de ses énergies à célébrer la force de caractère et la détermination, certes, on ne peut plus louables, de Suu Kyi et ses proches. Les événements rapportées produisent comme prévu les effets escomptés, inspirant tour à tour des sentiments de frustration et d’admiration chez le spectateur - comme c’est la coutume dans ce type d’initiatives, mais sans réussir à combler certains trous scénaristiques assez importants, et ce, autant sur le plan logique qu’historique, idéologique et narratif. Nous sentirons bien par moment la griffe de Besson, en particulier dans sa façon de filmer la violence, son travaille derrière la caméra se révélant ici suffisamment élégant et efficace, mais demeurant malheureusement anonyme et dépourvu de réflexion. C’est plutôt à partir de l’interprétation aussi juste que prenante de Michelle Yeoh et David Thewlis que The Lady forge son identité. Le présent effort demeure au bout du compte un film militant dont la mission s’avère d’autant plus imposante alors que, malgré les récents développements, la problématique qu’il porte à l’écran est encore loin d’être résolue. The Lady remplit ainsi son mandat en redirigeant l’attention des masses vers le conflit birman et l’oeuvre d’Aung San Suu Kyi, que le régime en place aura bien tenté de faire oublier en misant sur le simple passage du temps. Un accomplissement qui est en soi suffisant pour justifier son existence malgré la quantité non négligeable d’automatismes sur laquelle repose la démarche de Frayn et Besson.
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Critique publiée le 7 mai 2012.