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Grey, The (2012)
Joe Carnahan

Hungry like the wolf

Par Jean-François Vandeuren
S’il est évidemment réputé pour la force de son jeu dramatique, Liam Neeson alimente depuis déjà plusieurs années, en périphérie d’une filmographie autrement plus classique, un courant de sa carrière en faisant très certainement l’un des acteurs de premier choix lorsque vient le temps de prendre les traits d’un héros à qui il est préférable de ne pas se frotter. Si cette tendance peut nous ramener aussi loin qu’à sa fougueuse participation au Darkman de Sam Raimi, et même au Rob Roy de Michael Caton-Jones (dans un registre un peu plus historique), c’est néanmoins sa performance on ne peut plus jouissive dans le Taken de Pierre Morel qui aura cristallisé cette image de dur à cuire dans l’imaginaire collectif mondial. L’intensité de son interprétation comme sa façon de livrer des répliques mémorables auront su conférer une dimension supplémentaire à ce type de personnages souvent unidimensionnels, que des acteurs de second niveau - généralement engagé que pour leur carrure - ne sont pas toujours en mesure d’apporter. Une donnée que Joe Carnahan a visiblement bien assimilée, le présent The Grey marquant la seconde collaboration entre le grand acteur irlandais et le cinéaste américain après l’adaptation de la série télévisée The A-Team en 2010. Le réalisateur aura donc décidé de faire preuve d’une grande générosité en donnant au public exactement ce qu’il exigeait sans le savoir, soit voir Neeson affronter une horde de loups  particulièrement agressifs au coeur des paysages enneigés de l’Alaska. Heureusement, cette idée - aussi attrayante puisse-t-elle paraître - n'est pas le seul attrait du scénario de Carnahan et Ian Mackenzie Jeffers qui, grâce à sa surprenante densité dramatique, s’élève bien au-delà du film de survie moyen.

Une ambiance des plus mélancoliques règnera d’ailleurs sur l’effort dès les premiers instants, au cours desquels Ottway (Neeson) racontera en voix off sa situation à l’autre bout du monde, au coeur de ce lieu où se seront réfugiés des individus n’étant pas - ou plus - à l’aise avec l’idée de vivre en société. Le tout tandis que le protagoniste marchera à l’intérieur d’un bar ouvrier où la bagarre fera déjà rage. Des visions de sa femme l’ayant vraisemblablement quitté - il sera d’ailleurs difficile de ne pas faire de parallèles ici avec la perte avec laquelle aura dû composer l’acteur dans la réalité - s'infiltreront continuellement parmi celles de son quotidien de chasseur chargé de protéger les ouvriers d’une raffinerie des loups peuplant la région. Il y aura ensuite cette scène montrant un Ottway au bout du rouleau, la pointe de sa carabine bien installée dans sa bouche, prêt à faire feu. Un suicide qui n’aura évidemment pas lieu et Ottway se retrouvera par la suite à bord d’un avion transportant quelques travailleurs vers Anchorage pour des vacances bien méritées. Victime de défaillances techniques, l’avion s’écrasera à des miles de toute forme de civilisation au cours d’une séquence percutante. Notre spécialiste des contrées sauvages et quelques survivants auront rapidement de plus gros problème que le froid polaire et le manque de ressources sur les bras alors qu’ils se retrouveront au beau milieu du terrain de chasse d’une bande de loups visiblement très protecteurs de leur territoire. Il s’en suivra un long périple où le groupe sera confronté à la nature dans tout ce qu’elle a de moins clément. Un combat pour la survie qui n’aurait pu faire plus contraste avec les images exposées d’entrée de jeu.

Cette morosité habitera néanmoins l’ensemble de l’effort à travers l’individualité de chacun des personnages. Une impression qui s’atténuera toutefois devant le sentiment d’unité qui émergera progressivement chez ces individus qui devront se serrer les coudes s’ils désirent poursuivre leur chemin. Carnahan et Mackenzie Jeffers placeront d’ailleurs judicieusement ces derniers à l’avant-plan dans une prémisse où la mise en situation a souvent tendance à prendre toute la place, tandis que la force du caractère humain ressortira paradoxalement lorsque celui-ci sera poussé à retourner à un état animal. Le cinéaste impressionne d’ailleurs de par la façon dont il n’hésite pas à ponctuer son récit de pauses étonnamment longues afin de mettre en relief les rapports entre les individus au-delà des nombreux dangers qui les guettent et d’accorder à chaque perte humaine son importance. The Grey insistera du coup sur des oppositions, certes, assez simples, mais que les deux scénaristes auront su traiter d’une manière aussi sentie qu’effective, entre la vie et la mort, la chaleur humaine et la froideur paralysante du climat alaskien, la faiblesse de individu seul et la force d’un groupe, etc. Le contexte comme les paysages et les thématiques explorées ici ne seront évidemment pas sans rappeler l’histoire des évadés que présentait le The Way Back de Peter Weir il n’y a pas si longtemps, The Grey s’aventurant toutefois dans des recoins beaucoup plus sombres de l’âme humaine, et sachant surtout restreindre davantage ses propres élans pour offrir une oeuvre beaucoup plus concise. Carnahan substituera ainsi la lourdeur du temps qui passe du film du cinéaste australien par une mise en scène relevant avec une impressionnante force de frappe toute la gamme d’émotions par laquelle devront passer ses survivants au nombre toujours décroissant.

Nous devons d’ailleurs reconnaître la façon dont Joe Carnahan aura su élever son jeu d’un cran pour la mise en scène du présent long métrage. Celui qui nous aura habitués à des réalisations plus flamboyantes (Smockin’ Aces) ou musclées (The A-Team) aura trouvé ici un équilibre plus qu’efficace au niveau du style, proposant un traitement beaucoup plus sobre et réfléchi que par le passé - se permettant même quelques élans oniriques -, traduisant avec vigueur l’état d’urgence comme les sentiments de frayeur et de désespoir définissant le présent exercice. L’oeuvre est évidemment renforcée par la direction photo tout aussi précise, froide et élégante de Masanobu Takayanagi (Warrior) ainsi que par les élans musicaux de Marc Streitenfeld (Prometheus), dont certaines pièces figurent certainement parmi les plus mémorables des dernières années. Carnahan se montre tout aussi perspicace en ce qui a trait au traitement de l’intrigue en insistant toujours sur la valeur de ses personnages comme celle du défi à relever sans recourir inutilement à des stratagèmes au mandat simplement spectaculaire. Une approche qui expliquera cette coupe tout à fait adéquate en fin de parcours qui ne nous laissera pas voir le dernier combat entre le dernier survivant d’une meute et le chef d’une autre, lui qui sera de nouveau confronté au destin, mais qui sera bien déterminé cette fois-ci à lui faire face. Et c’est ce qui fait en définitive de The Grey une production qui tient étonnamment la route jusqu’aux tous derniers instants, malgré quelques décisions un peu plus discutables, abordant le récit de survie dans une optique où la vie elle-même ne semble pas toujours être l’ultime but à atteindre.
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Critique publiée le 27 janvier 2012.