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Extremely Loud and Incredibly Close (2011)
Stephen Daldry

« Won't somebody please think of the children!? »

Par Laurence H. Collin
Stephen Daldry est un réalisateur d’une grande intelligence. À en juger par sa filmographie, celui-ci est certainement en mesure de se vanter d’avoir toujours investi ses compétences dans des projets présentant un potentiel cinématographique et intellectuel non négligeable. Mentionné dans la course du meilleur réalisateur trois fois plutôt qu’une en huit ans par les membres de l’Académie, le cinéaste britannique n’a cessé d’accumuler les éloges à la sortie de chacune de ses oeuvres. Un certain consensus général place toujours The Hours, réalisé en 2002, comme le meilleur long métrage à son actif. En revisitant celui-ci, le constat m’apparut parfaitement légitime. The Hours fut adapté d’un roman de Michael Cunningham regorgeant de propos universels : vide existentiel, soif d’accomplissement, désir homosexuel, questionnements sur le suicide… bref, une vraie abondance de thématiques intrinsèques à la condition humaine et féminine. Telles qu’incarnées par un trio formé de certaines des plus grandes actrices du cinéma contemporain, les figures au coeur du récit surent extraordinairement mettre en lumière plusieurs mystères indicibles de la conscience. Voilà qui n’est pas mince affaire.

Il me paraît plutôt facile de mettre le doigt sur ce petit quelque chose que Daldry sut alors manier à son avantage pour en soutirer sa plus grande réussite artistique. C’est que le texte de The Hours ne porte pas l’ensemble de ses idées comme un diadème; sa complexité et ses nuances émergent d’entre les lignes, ou à travers les non-dits d’une mise en scène au lyrisme maîtrisé. Ce qui nous mène donc à Extremely Loud and Incredibly Close, et ultimement aux dédales à laquelle l’oeuvre en tant que telle doit fait face. En abordant un sujet sensible comme le deuil suite aux évènements tragiques du 11 septembre 2001 (racontés du point de vue d’un enfant, rien de moins), on peut d’emblée discerner une panoplie de pistes intéressantes à développer. Mais encore faut-il que les auteurs parviennent à formuler un discours, une méditation consciencieuse, à partir d’un tel fond. Car si le scénario de Extremely Loud and Incredibly Close, basé sur un livre du romancier Jonathan Safran Foer (à qui l’ont doit, entre autres, Everything Is Illuminated) présente peu de faux pas dans sa formulation des prémisses, ni ses développements ni l’exécution de Daldry ne se montrent capables d’élever leur parole au-delà des plus sommaires réflexions sur le thème.

Oskar Schell (Thomas Horn) se verra donc subitement plongé dans le deuil après que son père (Tom Hanks), dont la présence sera généreusement prolongée grâce aux pouvoirs du flashback), ait perdu la vie dans des attentats terroristes auxquels il ne parvient à trouver aucune signification. Suite à la découverte d’une petite enveloppe contenant une clé et sur laquelle est inscrit le mot « Black », Oskar suivra l’écho des paroles inspirantes du défunt en choisissant d’orchestrer sa propre chasse au trésor. À quoi pourrait bien donner accès cet objet caché dans sa demeure sans la moindre explication? Aux yeux du gamin aux tendances obsessionnelles, mais à l’imagination débordante, l’unique moyen de trouver un certain achèvement (et de supporter son immense chagrin) sera de s’introduire aux 472 citoyens de sa ville portant le nom de famille Black, puis de les interroger sur l’existence d’une serrure correspondant à sa mystérieuse clef. Au fil des rencontres et des découvertes inusitées, Thomas se distanciera de sa mère éplorée (Sandra Bullock), bien que son chemin lui pourvoira des constatations aussi douloureuses qu’essentielles quant à sa redécouverte du bonheur.

Vue d’un certain angle, la quête de sens d’Oskar pourrait aller de pair avec celle de Stephen Daldry. Ces deux natures excessivement minutieuses s’agitent dans tous les sens en espérant trouver réponse aux questionnements allant de pair avec des circonstances aussi insoutenables. Là où le bât blesse, c’est que Extremely Loud and Incredibly Close semble littéralement mortifié par le risque que son spectateur passe tout droit à côté des importantes leçons d’apprentissage au menu. Sur papier, il ne fait aucun doute que le monologue intérieur d’un enfant aux tendances autistiques permet ingénieusement de verbaliser l’agonie dans la perte d’un parent. La transposition à l’écran d’un personnage de la sorte naît cependant accompagnée de pièges évidents : risque-t-on la surenchère dramatique en doublant les confidences d’un garçon verbomoteur de sa propre narration sensible? Fort probablement. À force de signaler l’avènement de chaque parole ou geste significatif quant au processus de guérison d’Oskar, Daldry rappelle de plus en plus à l’auditeur qu’il est en train d’assister à la couture d’un conte initiatique. La démonstration se montre initialement proprette, puis réductrice,  puis racoleuse.

Presque toute illusion d’authenticité, aussi passagère soit-elle, est redevable au jeune Thomas Horn dans son premier rôle à l’écran. Remarqué lors de son passage à l’émission Jeopardy!,  celui-ci porte littéralement le film sur ses épaules. En tant que protagoniste, Oskar parait davantage création que réelle incarnation - d’une précocité souvent trop « écrite » pour sonner juste, et d’une candeur et d’une curiosité au cachet idéalisé agaçant. Mais alors que Daldry se voue à remplir l’écran des grands yeux bleus du jeune comédien, Horn transcende ses répliques lorsqu’elles sont plaquées, se replie dans le rôle lorsqu’il demande subtilité. Il est vrai que son interprétation ne parvient pas toujours à chasser le côté artificiel des situations dans lesquelles on le coince. Hanks, prisonnier du moule « meilleur papa du monde », ne fait guère oublier sa grandiose stature hollywoodienne, quoique Bullock y arrive de façon intermittente. Reste que Horn donne très rarement l’impression de jouer pour la caméra, ce qui ne peut être qu’une bonne chose lorsque le spectateur la sent constamment.

Le médium cinématographique présente des moments meilleurs que d’autres pour choisir d’invoquer la poésie. La chute au ralenti d’un corps s’étant jeté d’une des tours jumelles, peu importe ce que suggère la partition scintillante d’Alexandre Desplat, n’est pas l’un d’entre eux. Loin de moi l’idée que la vocation première de Extremely Loud and Incredibly Close ne relève que de l’exploitation des sentiments. Mais un procédé demeure un procédé.  Je souhaite en toute sincérité ne pas sembler être de mauvaise foi en affirmant que le film de Daldry n’a pas grand-chose à faire quant à l’introspection de l’âme. Extremely Loud and Incredibly Close se résume à une série de vignettes assemblées avec une compétence exemplaire, mais considérant la portée irréductible de son propos, cela est loin, bien loin, de suffire.
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Critique publiée le 25 janvier 2012.