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Johnny English Reborn (2011)
Oliver Parker

Le ronronnement du public

Par Élodie François
Pourquoi allons-nous voir les suites, les énièmes adaptations, les sempiternelles bouffonneries des innombrables comédies que nous sert, année après année, l'industrie d'ici et d'ailleurs - mais surtout d'ailleurs - si ce n'est pour s'emmitoufler du ronronnement rassurant d'un public flatté par les lieux communs de l'humour? Ce cinéma-pantoufle usé jusqu'à la corde et dont on ne voudrait surtout pas se débarrasser nous ramène à ce besoin parfois inavouable d'un comique sans victimes, d'un cinéma non pas amoral, mais sans morale sinon celle de faire tout simplement rire. Il y a pour Baudelaire une analogie entre le sourire et le balancement de queue des chiens ou le ronron des chats, une « joie de contempler ». Si ce rapprochement est certain chez Tati, dont la rareté des mouvements de caméra et le rythme délicat du montage participent à la contemplation du spectateur, il demeure plus difficile à percevoir dans la forme commerciale d'un Austin Powers ou d'un Johnny English. Or, ce n'est plus dans la forme, le cadrage et le montage qu'il faut aller chercher (rares se font les cinéastes tels que Élia Suleiman et Roy Andersson), mais dans ce qui modèle le caractère des personnages habités par leurs interprètes. Après tout, ne nous souvenons-nous pas de Hulot pour sa démarche rebondie, son pantalon trop court, son parapluie, son chapeau-feuille et sa pipe?

Ce qui est caractéristique de Johnny English, et plus spécifiquement de Rowan Atkinson, c'est la façon dont son environnement ne lui sied guère. Déjà, dans Mr. Bean, Atkinson avait du mal à se fondre dans une file d'attente (à l'hôpital, à l'arrêt d'autobus, etc.), dans un lieu public (le parc, la salle de cinéma, etc.), voire même privé (son propre domicile). Qu'importe la situation (un examen, un rendez-vous chez le dentiste etc.), tout élément du décor peut - et doit - être sujet au détournement. Bien que le personnage de Mr. Bean ne soit pas celui de Johnny English (toute ressemblance serait fortuite nous dirait Atkinson), il y a en eux la même maladresse, le même geste décalé parfois déplacé qui révèle l'incommodité de leur environnement, l'inconfort des situations qu'ils doivent traverser coûte que coûte. Dans Johnny English Reborn, c'est cette fenêtre battante qu'il se sent obligé de fermer parce que le vent fait s'envoler les feuilles d'un dossier posé sur la table. Lorsqu'il la ferme, le chat, qui prenait l'air après s'être fait voler son fauteuil par English, tombe dans le vide. Or, si ce fauteuil avait été inoccupé, English n'aurait pas provoqué le départ du chat vers la fenêtre. Plus encore, si la fenêtre n'avait pas été ouverte, le chat ne se serait pas perché sur son rebord; si la fenêtre, enfin, n'avait pas été battante, elle n'aurait pas précipité le chat dans le vide.

Au rythme calibré de l'aventure plutôt surfaite de l'agent secret britannique se mêle donc celui d'un comique qui, inéluctablement, fait se plier les contraintes formelles d'un récit à l'ambition musclée. Car c'est dans le temps que se déploie le comique d'Atkinson. Il joue de la durée comme Leslie Nielson jouait de la mimique : plus c'est long et appuyé, plus c'est drôle. Et c'est dans la régularité de cette respiration que se trouve tout l'intérêt du film. Qu'English accomplisse ou non sa mission - empêcher un groupuscule terroriste de tuer le ministre chinois - n'a en somme pas grande importance. Tout comme dans la saga The Naked Gun, ce qui importe est moins le résultat que le moyen de s'y rendre.

L'intelligence de Johnny English, et donc de Rowan Atkinson (qui écrit ses gags), mais aussi sa (post)modernité viennent de sa capacité à détourner les objets, non pas de leur fonction d'origine, mais de la fonction que leur environnement - celui du film d'espionnage - leur a attribuée. En d'autres mots, nous pourrions dire qu'il rend aux objets détournés par James Bond, Larry Palmer ou, plus proche de nous, Jason Bourne, leur usage commun. De la pastille pour la gorge à base d'hélium qu'il déguste comme une confiserie au rouge à lèvre-arme à feu avec lequel il se badigeonne la bouche, les accessoires du parfait agent secret sont entre ses mains de simples objets du quotidien. Or, c'est justement de ce décalage entre le genre auquel le film fait référence et le détournement de ses codes classiques qu'émergent comédie et réflexion, non seulement sur le regain nouveau pour le film d'espionnage, mais aussi sur l'état d'une certaine manière de faire rire. Que Johnny English Reborn soit déjà un succès en Asie ne fait que confirmer le besoin toujours plus grandissant d'un rire qui ne soit pas celui de l'exclusion. Non que la langue doit être bannie du champ de la comédie mais bien que le burlesque - le rire du corps et non celui de l'esprit - doit être défendu, et ce, particulièrement à une époque qui se voit peu à peu perdre ses derniers représentants.
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Critique publiée le 21 octobre 2011.