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Innkeepers, The (2011)
Ti West

Une souricière à l'ancienne

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le travail de « critique » n'est pas toujours facile, surtout quand il se mêle à une vocation d'analyste comme c'est généralement le cas chez Panorama-cinéma. Les films n'interpellent pas tous le « critique » en moi. Certains, comme The Innkeepers, me donnent simplement envie de hurler mon enthousiasme avec la candeur d'un enfant ayant vu The Goonies ou Ghostbusters pour la première fois… Sentiment difficile à réconcilier avec le sérieux, la légère distance, qui devrait en théorie caractériser le regard critique. Le film de Ti West, loin d'être « essentiel » ou « exceptionnel », est de prime abord un modeste petit machin bien pensé et bien exécuté - point à la ligne. Qu'est-ce qui explique, dans ce cas, que plusieurs jeunes adultes normalement constitués se soient retrouvés à la fin de la projection de ce film à Fantasia pour en discuter avec un enthousiasme à peine voilé? Que de si vieux trucs aient marchés sur nos esprits pourtant conditionnés à ne plus réagir à ces coups fourrés, usés à la corde, auxquels carbure depuis trop longtemps le cinéma d'horreur? L'enfant naïf en moi aimerait simplement invoquer la magie du cinéma, mais le critique se doute bien que quelque chose de plus rationnel est à l'oeuvre ici.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que The Innkeepers n'impressionne pas par l'originalité de son synopsis. Dans un vieil hôtel réputé hanté, Claire (Sara Paxton) et Luke (Pat Healy) attendent patiemment les clients et les apparitions spectrales en s'ennuyant fermement. C'est un peu pour passer le temps qu'ils explorent les corridors de l'établissement armés d'une enregistreuse, espérant capter une quelconque manifestation surnaturelle pour prouver qu'ils ne perdent pas leur temps. The Innkeepers, c'est donc une histoire de fantômes apprêtée à l'ancienne - comme le laisse entendre cette affiche qui semble tout droit sortie des années 80. L'humour y est à mi-chemin entre celui de Ghostbusters et de Clerks, les dialogues étant ici minutés avec autant de soin que les séquences de tension. La première qualité du film de Ti West, c'est de ne pas en faire trop, de prendre le temps d'établir des personnages intéressants avant de les catapulter dans le feu de l'action. Restituant parfaitement l'ambiance morne d'un boulot minable piètrement rémunéré, The Innkeepers utilise à bon escient la comédie pour établir son univers et s'attire ainsi naturellement la sympathie du public. Excellents dans leur rôle respectif, Paxton et Healy confèrent au film une bonne partie de son charme. Paxton, en particulier, livre une prestation franchement attachante - juste, même dans son cabotinage.

Chez Ti West, tout est affaire de réserve, de dosage, d'équilibre. Sachant prendre son temps, plaçant avec une invisible ruse les pièges qui bientôt nous surprendront, le réalisateur de The House of the Devil se garde bien d'épuiser son spectateur, préférant le laisser mijoter, inscrire dans sa mémoire malléable les images qui, plus tard, le feront réagir. Habile manipulateur, West s'amuse à semer des indices pour qu'au moment voulu, l'effet de terreur soit décuplé. Les « sauts » ne sont donc pas inattendus. Au contraire, ils sont le fruit d'un dialogue constant entre le metteur en scène et son auditoire. Chaque clin d'oeil à une information précédemment divulguée implique la récompense d'une bonne frousse dans ce petit jeu savamment planifié où aucun détail ne semble gratuit. Le dernier acte du film est en ce sens carrément formidable : le spectateur, alors qu'il commençait à penser que toute cette histoire de fantôme n'était qu'un canular, sent l'étau se resserrer… puis, d'un coup sec, le film devient un véritable feu roulant de mises en tension et de relâches. Maître du rythme, West saute avec un malin plaisir d'un piège à l'autre, révélant ainsi l'ampleur de la souricière qu'il avait mise en place.

Formant au bout du compte une boucle, le film nous laisse sur un dernier plan particulièrement mémorable qui offre une parfaite synthèse de son ingénieuse architecture. La caméra, fixant le calme plat d'une pièce vide, laisse les appréhensions du spectateur prendre le dessus sur sa rationalité. Ici, la tension ne naît pas du néant, mais d'une accumulation de référents latents - tous présents sous la surface anodine du plan. Nous savons que cette pièce fut le théâtre d'un crime sordide, qu'il s'agit d'un lieu « hanté », et nous possédons même assez d'informations pour imaginer ce qui peut s'y manifester. Mais, plus encore, nous nous souvenons de cette vidéo montrée au début du film où une figure apparaissait subitement pour nous faire sursauter en même temps que l'héroïne. Rivés à l'écran à l'affût du moindre mouvement, nous attendons ce choc que le système même du film nous promet. Et West, vilain plaisantin, étire ce moment insoutenable jusqu'à ce que la tension horrifique devienne effet humoristique. Ne sachant plus sur quel pied danser, à bout de souffle, nous rions pour ne pas avoir peur; et c'est ce moment que le réalisateur choisit pour frapper. Voilà l'inestimable don de Ti West : une fine compréhension de la mécanique synaptique du spectateur, parfait complément d'une authentique affection pour les plaisirs primaires que procure ce genre de cinéma lorsqu'il est entre de bonnes mains.
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Critique publiée le 2 août 2011.