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Trip, The (2010)
Michael Winterbottom

Voyage en compagnie d'un égoïste et d'un imbécile

Par Maxime Monast
Des amis, de la bonne bouffe, du vin, des histoires savoureuses et des imitations de gens célèbres. Voici les éléments de base constituant le dernier opus de Michael Winterbottom. Originalement diffusé sous la forme d’une télésérie sur les ondes de BBC2, The Trip - remonté en long métrage pour le public nord-américain - est un exposé sur les relations humaines. Autant dans la sphère privée que professionnelle, le présent tableau récupère la formule de Tristram Shandy: A Cock and Bull Story du même Winterbottom : une esquisse de la réalité présentant Steve Coogan et Rob Brydon dans le rôle de « Steve Coogan » et « Rob Brydon ». Les deux acteurs ne se retrouvent toutefois pas ici sur un plateau de tournage, mais bien au coeur d’une tournée des restaurants les mieux cotés et les plus romantiques du nord de l’Angleterre. Une activité que proposera Coogan après s’être fait larguer par sa fréquentation. L’aventure semblant des plus alléchantes, Brydon acceptera de le suivre.

The Trip nous présente deux collègues de travail. Ils se connaissent, mais pas vraiment. Alors que Brydon est un père aimant et un mari attentionné, Coogan, quant à lui, est un coureur de jupons individualiste. Chez ces deux hommes que tout oppose, c’est le sens de l'humour qui les unira. Et pour souligner leurs différences, ils emploieront la comédie chacun à leur manière : l’un pour faire rire le grand public (l’équivalent du « Is he having a laugh? » du personnage d’Andy Millman interprété par Ricky Gervais dans Extras), l’autre pour plaire à des spectateurs plus sophistiqués. Le public choisira naturellement de quel côté il penche : dans l’empathie et l’interrogation avec Coogan ou dans la bouffonnerie et l’insouciance avec Brydon. Deux options sur lesquelles repose le voyage proposé par The Trip.

En surface, le microcosme incestueux qu’est le cinéma se fait sentir chez nos deux protagonistes. On voit très bien les effets - tant négatifs que positifs - que le septième art a sur ses disciples : l’impatience, la vanité, l’excès, etc. C’est à partir de cette idée que Winterbottom forge son récit tout en donnant carte blanche à ses deux vedettes. Parce qu’ici, on veut jouer avec la spontanéité et l’improvisation des dialogues, similaires à la pratique de la série Curb Your Enthusiasm. Il n’y a aucun scénario. On joue sur le vif à partir de la simple idée de Coogan et Brydon effectuant une tournée de superbes restaurants. La confiance du réalisateur en Coogan et Brydon - pour trouver le bon sujet et les bonnes répliques - confère un certain charme à The Trip. Il est vrai qu’il est difficile d’omettre qu’ils ont déjà été Alan Partridge ou Keith Barret (les personnages les ayant rendus célèbres), mais ce petit périple à travers tous ces restaurants réussit presque à nous faire oublier leur filmographie.

Quel est donc l’élément principal de cette série remontée en film (nous rappelant ce qu’Ingmar Bergman préparait pour son public nord-américain avec Cris et chuchotements et Scènes de la vie conjugale)? Mis à part les différences entre nos personnages, The Trip se concentre énormément sur le talent d’imitateur de Coogan et Brydon. De Ray Winstone à Richard Gere en passant par Al Pacino, ce sont les voix et les tics d'acteurs de renom qu'ils s’amusent à décortiquer, leur imitation la plus mémorable étant celle du légendaire Michael Caine. Un triomphe qui ne fait que témoigner à la fois de la compétition évidente et du naturel dans la succession de répliques que se livrent les deux comédiens. Le tout est très révélateur. Nous sommes témoins de deux visions du même exercice. Imiter Caine, pour Brydon, est bel et bien un jeu divertissant, tandis que Coogan se retrouve rapidement en mode défensif en cherchant à être meilleur que son « adversaire ». The Trip est donc une compétition : l’un doit se prouver et l’autre se défendre.

Et c’est à partir de cette réflexion que l’on comprend encore mieux le but ultime du projet de Winterbottom. À l’abri des pressions des immenses studios, son essence - qui se concrétise au fil du récit - est d’explorer la quête existentialiste de Coogan. Une crise de la quarantaine, certes, mais qui ne se résout aucunement avec l’achat de gros bolides. Ici, c’est une rédemption que l’on recherche, une manière de se sentir confortable avec soi-même. Et c’est à travers son compagnon de voyage qu’il peut faire cette analyse. En effet, Coogan se compare sans cesse à Brydon, questionnant son attrait et sa popularité en l’analysant d’un oeil paternaliste et condescendant. Éventuellement, le tout se clôt sur la note de l'évidence, sur la réponse la plus sensée : une version de Coogan plus mature et prête à faire face à ses problèmes.

En somme, The Trip fonctionne sur deux niveaux. La relation et l’interaction entre nos deux protagonistes, qu’elles soient tendue ou plaisantes, offrent certains des meilleurs moments comiques de l’année. Ils jouent sur les faiblesses de l’un et de l'autre pour véhiculer un gag lorsque plusieurs l’auraient laissé tomber à plat. Mais cette sensibilité met aussi à nu l'acteur. Un drame évident - cette quête existentielle en amour et au boulot - qui ne présente pas Steve Coogan sous son meilleur jour. Bref, l’amalgame de ces deux aspects fait de ce projet une idée à la fois captivante, enivrant et, il ne faudrait pas l’oublier, carrément alléchante.
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Critique publiée le 1er août 2011.